Je suis fier d'être ouvrier et je me suis assez bien fondu dans le personnage bourru et solide, qui tait son mal au quotidien jusqu'à parfois en perdre totalement la parole.
J'ai accepté un poste, il y a un peu moins d’un an et encore une fois, je retrouve des objets à hauteur de ma tête sur mes trajets et mon espace de travail, dont une poutre mal placée. Bon, je fais deux mètres,ajoutez à ça un couvre-chef et des chaussures de sécu... j'ai dû m'habituer à faire avec durant plus de 10 ans à arpenter des cuisines ci et là, mon activité ayant été principalement saisonnière, et vous comprendrez que je suis plutôt adapté et friand de conditions extrêmes et ardues. Autrement, je n’aurais pas accepté le CDI qu’on me proposait pour l’ouverture de ce restaurant en tant que pizzaiolo.
J'accepte donc parce que j'ai besoin de stabilité étant donné la situation catastrophique du marché saisonnier et sachant que je peux être logé par mes parents. En plus la période d'inactivité prolongée m'a plongé dans une terrible période de solitude, d'ennui et d’alcoolisme. Alors, je quitte les Pyrénées Orientales pour Toulouse où je me sens heureux d'intégrer une petite équipe dans un restaurant tout neuf appartenant à un grand groupe…
Je travaille jusqu'en février 2022 quasiment sans souci, mise à part, un rappel à l’ordre pour avoir haussé le ton sur un collègue. Signe manifeste et récurrent, ces dernières années, d’un sentiment réfréné et d’un désordre psychique.
Cette colère, intériorisée depuis longtemps n'attendait qu'une chose pour s’exprimer : un petit coup sur la tête,celui de trop. Et ce qui devait arriver arriva, un jour en marchant un peu vite avec ma tournée de pâte dans les bras je me prends la poutre, comme d'habitude, je ne fais rien tomber, par contre j'ai mal entre les omoplates, très mal, et un peu au front aussi. Ce jour-là, j’ai craqué comme ça. J'ai décidé d'aller consulter un médecin et lui de me mettre en arrêt. Je reprends mon poste au bout de 4 jours, obsédé par la poutre, incapable de retravailler, je repars après un esclandre devant mon équipe. Je retourne voir le médecin qui me fait une prolongation au lieu d’un nouvel arrêt. Je n'ai plus le contrôle, je perds pied, je leur dis que je n’en ai plus rien à cirer et que de toute façon arrive bientôt le moment où ils vont juste décider de nous mettre dans des camps et de nous exterminer. La propagande a fait son travail. La société a fait le reste. Je me retrouve face à moi-même et à mes idées noires, mes pensées suicidaires qui sont liées à une souffrance sourde au point de préférer en finir que de continuer de vivre et de travailler dans ces conditions.
Cette condition d'empoisonneur public, qui rappe des montagnes de truffes de chine sans aucun goût pour les recouvrir d'huile aromatisée pour parfaire l'illusion qui brasse des tonnes de farines qu'on ne sait même plus d'où elles viennent, des tonnes de viandes des pays de l'Est comme si on n’en avait pas ici, mais surtout qui sait que tout cela, tout ce poison est encore réservé à ceux qui peuvent se le payer, car les autres on les laisse mourir de faim purement et simplement… même ce poison on ne leur donnerait pas. De toute façon, ils le refuseraient. J’ai décidé de me laisser mourir ou en tout cas j'avais cela en tête, visiblement.
Après deux semaines d'arrêt pendant lesquelles je cherche désespérément une issue je décide de créer ma société et de quitter mon employeur qui pendant ce laps de temps n'a rien trouvé de mieux que de me mettre une procédure de licenciement aux fesses en prétextant mes hausses de
ton. Il me menace de motiver une enquête auprès de la sécu au sujet de mon arrêt maladie... j’ai dû leur rappeler qu’en début de contrat, j’ai été gravement blessé au doigt. Je suis parti seul aux urgences. Le médecin urgentiste voulait m’opérer, j'ai refusé. Le lendemain j'étais à mon poste de travail malgré une blessure sérieuse.
J'ai joint une lettre de démission en renonçant à mes droits et à l'envie d'engager une procédure contre mon employeur.
Un mois plus tard, j'ai investi mes quelques économies dans la création d’une société, pris contact avec banques et investisseurs potentiels, fait un business plan, une étude de marché, passé des heures à cultiver mon "éco-anxiété" en me mettant à jour sur les évolutions du monde
agroalimentaire confronté à la crise climatique et à la guerre. Je prends des décisions pour orienter mon projet, sollicite un ingénieur en énergie renouvelable pour qu'il m'aide à y voir plus clair et me conseille sur les problématiques de l'énergie que je pourrais intégrer dans la conception de ma cuisine, je me mets à jour sur les problèmes de santé publique liés à l'alimentation pour pouvoir répondre aux attentes de la clientèle sans mettre leur santé en danger et si possible en intégrant des aliments qui aident dans la prévention de certaines pathologies. Je travaille un peu, enfin pour moi, mais quelque chose ne va pas. Les services de l’État ne m’octroient pas l'aide à la création d'entreprise, je n'ai pas droit aux allocations chômage puisque j'ai démissionné, malgré les heures cumulées sur mon dernier contrat. Cela doit passer en commission et prendra quatre mois selon pôle emploi qui me fait comprendre que de toute façon, je n'aurais pas droit aux aides.
Lorsqu’il n’y a plus d’issues. Lorsque les portes se ferment les unes après les autres, on se retrouve devant le néant, alors on pense à s’anéantir… C’est cette pensée qui a traversé mon esprit. J’ai écrit à ma conseillère pôle emploi pour lui signifier qu’elle n’aurait plus à traiter mon cas puisque j’ai pris la décision d’en finir. Un peu avant que je ne parte avec un jerrican d'essence et la ferme intention de m'immoler, les gendarmes alertés étaient déjà là, inquiets. Ils m’ont pris en charge et m’ont confié d’urgence au service psychiatrique de l’hôpital Purpan.
Je dois reconnaître que j’étais dans un piteux état physique et psychique mais grâce à l’intervention et l’aide de plusieurs médecins et soignants, je suis actuellement en voie de rémission. Je suis en arrêt maladie pour dépression jusqu’à la fin du mois de juillet. A terme, j'espère pouvoir reprendre mon projet dans de bonnes conditions et obtenir une aide pour le mener à bien et créer mon café/pizzeria de quartier, pas loin du canal du midi, dans une commune proche de Toulouse où j’ai passé une partie de mon enfance. Ce lieu sera tout d'abord un lieu de vie, de restauration simple, populaire, de cuisine méditerranéenne, de partage. Un refuge pour discuter autour d'un café ou se plonger dans un des livres de la bibliothèque mis à disposition. J'espère pouvoir trouver un partenaire avec qui faire tourner ce four et régaler les locaux et les gens de passage.
En tout état de cause je n'accepterai plus un travail qui ne correspond pas à mes valeurs. Un travail avilissant où ma personne est réduite à exécuter les ordres, même les plus aberrants, des propriétaires. Mon énergie et mes pensées sont désormais dirigées vers un objectif précis : je
veux une cuisine de partage, innover dans la restauration de proximité, faire la paix avec moi-même et redonner du sens au métier de cuisinier, de restaurateur, d’aubergiste.
Alors Panoramix, n'est-il pas une belle image, avec son secret, cet amour pour tous les villageois qu'il cristallise dans une potion magique, de notre patrimoine culinaire, de nos savoir-faire, de ce personnage si particulier qu'est le cuisinier en France, curieux, ouvert sur le monde et toujours capable de préparer une bonne soupe et une miche de pain avec trois fois rien pour le plus grand bonheur de ses convives, de sa famille, de sa tribu. Je pense que notre druide est encore un peu perdu, après le menhir qu'il a pris sur la tronche. On a du pain sur la planche…
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NEMESIS GANDALF
Au delà des images, au delà des opinions, au delà des mers, des déserts, des montagnes, là, quelque part sur une île de l'océan indien, je me souviens mon premier bain, ce n'est pas ma mère qui me lave mais Sidonie, notre bonne, cinq litres d'eau, chauffés sur le gaz, suffiront largement, j'ai 4 ans. Le lendemain je me brisais les os pour la première fois en tombant de haut à l'école, poignet droit fracturé, l'hôpital de Tananarive me soignera au milieu d'enfants qui souffrent de choses bien pires, je n'ai aucune conscience à l'époque, de la sécheresse endémique que l'île traverse, je ne connais pas la faim, l'avocatier et l'oranger sur lequel est accroché le hamac, sont généreux, en dessous rôdent des petites tortues, les motifs de leur carapace me fascinent, comme d'habitude, bercé par le balancement, enivré par le parfum des fruits, je m'endort.
Une douzaine de fractures plus tard, j'ai connu la faim, j'ai travaillé avec des membres fracturés, non pas par plaisir masochiste, mais par nécessité, je me suis déshumanisé, je suis le rouage d'une machine réglée pour fonctionner uniquement à plein régime, sans demi-mesure, je suis un être binaire, vivant, ou mort.
Là et maintenant, je suis les deux à la fois, témoin de l’indécence, de l'injustice globale, meurtri par le déni, par les innombrables fois où j'ai entendu que l'on ne peut pas accueillir la misère du monde, que ce n'est pas à moi de porter le monde sur mes épaules... J'ai bien peur que si, et ce n'est pas une revanche que je veux pour mes camarades d'école abandonnés à la misère et aux cataclysmes pour le profit et le confort de certains, c'est la justice. Je sais que ces derniers mot risquent de focaliser sur moi les foudres des puissants qui ne veulent surtout pas que les gens en bas se connaissent, s'aiment et partagent. Quand je pense mettre fin à mes jours c'est aussi pour limiter l'impact du nord sur le sud, et annihiler le sentiment de culpabilité du néocolonialisme dans lequel j'ai vu le jour, j'ai malheureusement aussi des pulsions dirigés vers des gens dont j'ai l'impression qu'une élimination brutale pourrai soulager énormément certains peuples, un Némésis avec lequel je dois me battre pour ne pas lui céder mon corps, mon esprit et leur potentiel de destruction.
Tout ceci, depuis ma prise en charge médicale, jusqu’à cette pratique cathartique de l'écriture, presque quotidienne aujourd'hui, je le dois à une éducation, à ma famille, mes proches, un peu à vous tous aussi que j'ai croisé ci et là et qui m'avez redonné foi en l'humain, et un peu confiance en moi aussi. Je vous demande de considérer le fait que très peu d'ouvriers, d'employés du commerce, de gens en bas de l'échelle n'ont pas les moyens ou le temps de s'exprimer ainsi et de faire entendre leur voix, ils n'en sont pas moins solidaires, conscients, et tant qu'ils vivent, capables d'aimer, sans conditions.