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Bifurquons ensemble !

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Billet de blog 3 juin 2022

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Paysan maraicher

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De l’Agro à l’action paysanne et collective

Le rythme des médias étant bien éloigné de celui des champs, j’ai l’impression que peu de camarades agro installé-es paysan-es ont eu le temps de témoigner de leur bifurcation. Pourtant, nous sommes nombreu-xses dans ce cas, et ce temps que je prend en plein mois de Mai (plantations légumières, foins, désherbage) a pour espoir de faire entendre une voix que je crois partagée.

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Tout d’abord, que ça fait du bien d’entendre un tel discours ! Et de voir que les choix que l’on a fait quelques années auparavant sans grande publicité ont aujourd’hui une audience nationale grâce à ces huit jeunes personnes.

Pourtant, je ne me retrouve pas intégralement dans les termes utilisés. En m’installant paysan, je n’ai pas eu l’impression de déserter ce pour quoi j’ai été formé à l’agro. Mes études m’ont convaincu qu'il faudrait des millions de paysans pour faire vivre une agriculture écologique et nourricière, pour une souveraineté alimentaire loin de la spéculation des marchés internationaux et de ses crises inévitables. Le métier de paysan est il indigne de quelques années d’études ? Qui ose s'indigner de cette pseudo désertion ? Il faut croire que le mépris des paysan-nes n’a pas disparu, et qu’il est sous jacent et ne se dit plus au grand jour. Sinon comment expliquer que l’on ose parler de gâchis quand une personne quelle qu’elle soit ré-embrasse la condition de paysan-ne pour nourrir ses semblables sainement et dans le respect de la terre ?

Il est toujours plus facile de vouloir changer un système en incitant les autres à le faire et à prendre les risques. Qui est prêt-e à lâcher son revenu pour faire ce en quoi ielle croit ? Et plus difficile encore, ce en quoi la société croit sans en être convaincu ielle même? C’est ce qu’on demande aux agriculteurices, après leur avoir demandé historiquement comme seul objectif de produire au maximum. La notion d’agribashing, sans me rallier le moins du monde à cet étendard, a de juste que l’on fait porter la responsabilité de l’agriculture industrielle aux seules agriculteurices. C’est trop facile. Changeons de volonté politique, changeons de mode de consommation et rémunérons au juste prix la nourriture saine, et Ielles changeront de mode de production sans attendre.

Pour revenir à mon parcours à l’agro et en quoi il est lié étroitement à ce que je suis devenu, j’ai eu vraiment l’impression de pouvoir choisir les cours qui alimentaient mes réflexions (Agroparistech 2009). Certains cours obligatoires étaient bien évidemment liés à l’idéologie industrielle. Mais le cursus à la carte à partir de la 2ème année m’a permis d’avancer et préciser la place que je voulais avoir dans le monde agricole. J’ai essayé de me convaincre qu’une position de technicien neutre existait, produisant un savoir non orienté utilisé par la population et les décideurices. Une année de césure au Sénégal m’a détournée de cette voie. J’ai réalisé un film qui retrace mes réflexions sur ce lien entre agents techniques, développement et démocratie

J’en ai conclu que je ne me sentirais légitime dans le processus de transition agricole qu’en étant moi même producteur, et non pas en accompagnant d’autres personnes. Militer et m’engager ne me convenait que d’un point de vue incarné (comme paysan), et non pas d’un point de vue absolu et idéal sans pouvoir l’assumer (comme technicien neutre). Dans le meilleur des mondes j’aurais sans doute pu trouver ma voie plus tôt. Un monde avec un système éducatif qui proposerait à ses enfants de réfléchir réellement à leurs aspirations. Être à l’aise ou non en maths n’est pas une aspiration, et c’est pourtant le critère principal qui oriente les conseils d’orientation tout au long de nos cursus scolaires...

Alors depuis je suis devenu maraîcher. Aujourd’hui je travaille en collectif sur une ferme à Marseille . L’organisation est horizontale, bien que les responsabilités soient réparties en pôles, et nos salaires sont tous égaux. Mes collègues partagent des bouts de ma vie privée et inversement. Ma vie privée déborde dans les champs et inversement. La voie paysanne est un tout, un projet de vie, un rapport au monde et aux autres. Le projet paysan, porté par son syndicat, la confédération paysanne, a une portée universelle bien exprimée par la charte de l’agriculture paysanne.

J’ai d’abord appris le maraîchage des ancien-es, pour comprendre les bases du métier. Puis j’ai évolué vers des pratiques récentes, une agriculture qui essaye de stocker du carbone au lieu d’en émettre. Quoi de plus actuel ? Comment peut on ramener cette agriculture à celle du moyen-âge où le changement climatique n’était pas encore amorcé ? Les enjeux et le contexte sont incomparables. Cette agriculture nouvelle est à la pointe de la science des sols même si la recherche dans ces domaines est encore très parcellaire. Par contre, les réseaux agricoles qui se sont attrapés ces sujets sont très dynamiques. Quelques exemples : A2C (Agriculture de conservation) Agroof (Agroforesterie), MSV (maraichage sol vivant)….

A l’échelle globale, j’imagine que mon intention est de changer le système agricole en essayant d’incarner une alternative. Plus ces exemples seront nombreux, plus la transition paraîtra réalisable. On a déjà observé ce phénomène avec l’agriculture biologique. Aujourd’hui plus personne ne conteste sa crédibilité. Mais la logique industrielle n’est pas incompatible avec le bio. L’érosion, la concentration d’animaux, la spéculation sur les denrées alimentaires font malheureusement parties du monde biologique, autant que l’agriculture familiale, de circuit court et respectueuse de ses travailleureuses humain-es et animales.

Malheureusement, nombre des alternatives sont épuisantes physiquement et moralement dans le contexte socio-économique actuel. Trouver du foncier, vendre sa production a un prix juste ou encore prendre quelques jours de repos relèvent trop souvent de la gageure. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun frein technique à la transition vers une agriculture qui piège du carbone, des milliers de fermier-ères le prouvent tous les jours avec leurs produits. Les freins sont politiques, et ne peuvent être levés que par une décision collective. Une de ces décisions pourrait être le projet de sécurité sociale de l'alimentation.

Ce beau projet place le droit à l’alimentation comme bien commun, par analogie avec le système de santé. Tout le monde peut être soigné quelque soit ses revenus (même si l’actualité nous montre à quel point il faut encore défendre ce droit). L'alimentation de qualité, qui est entre autre le premier facteur qui influe la santé, devrait pouvoir être accessible à tou-tes quelque soit ses revenus. Mutualiser l’accès à l’alimentation paysanne de circuit court résout à la fois les problèmes de difficultés d’accès à cette alimentation et le problème du juste prix qui doit être payé au producteur pour son travail.

« Le XXIe siècle sera paysan ou ne sera pas. » Silvia Pérez Vittoria, Manifeste pour un XXIe siècle paysan

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