Billet de blog 16 juillet 2022

laurent becquart

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Passer de l'aéronautique à de l'écologie intérieure

Les conditions de travail étaient excellentes, j'appréciais mes collègues, mes missions étaient techniquement passionnantes... mais je perdais de plus en plus tous mes moyens, car au fond je n'en pouvais plus d'aider ces industries. Il était urgent que je redonne du sens et de l'espoir dans ce à quoi je contribue.

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Bonjour !
D'abord merci pour cet appel à témoignage, une occasion de faire entendre un peu plus nos voix :)


Je suis diplômé de l'Institut Supérieur d'Electronique de Paris (ISEP) depuis 2011 et j'ai exercé pendant 8 ans le métier d'ingénieur développeur en informatique, spécialisé dans le JAVA et le traitement massif de données. Mon travail consistait essentiellement à construire des applications de gestion de données en industrie ou en finance. J'ai exercé pendant 2 ans et demi à Paris, puis je suis rentré "chez moi" pour travailler à Toulouse, avec une pause de 9 mois entre les deux en 2014 où j'ai choisi de faire un tour d'Europe à vélo (blog écrit à l'époque : http://www.jonglavelo.com).

Je crois que j'avais la plus haute sécurité d'emploi (du genre où j'étais contacté régulièrement en entendant "Bonjour, nous savons que vous avez un emploi actuellement, et nous voudrions savoir si vous êtes satisfait ou si d'autres opportunités vous intéresse". Même pendant mon tour d'Europe, un "chasseur de tête" n'a pas cillé quand je lui ai dis que j'étais en Croatie à vélo et voulait prévoir un rendez-vous à mon retour... Il m'a suffit de mettre à jour mon profil linkedin une fois à Toulouse pour avoir 3 entretiens dans la semaine. Ce genre de sécurité... Et un salaire de 40k en partant de Paris, et à peu près autant après 4 ans de plus à Toulouse.


Quatre ans, car en 2018 et encore plus 2019, j'ai remarqué qu'il y avait des projets sur lesquels je m'éclatais et j'étais très performant alors que pour d'autres projets... où j'avais beaucoup de mal à m'impliquer, à apprendre l'utilisation de logiciels spécifiques, sans comprendre pourquoi. Je voyais pourtant que j'allais de plus en plus mal, à avoir des crises d'angoisse d'effondrement, à percevoir un désespoir intense et toujours prêt à me tomber dessus. En mai 2019, j'ai demandé un congé sans solde pour l'automne, de deux mois et demi, dans l'espoir de me remettre sur pied. Avancer sur mes projets perso, me reposer, ralentir... Et espérer reprendre forme. Avec le recul, j'appelle désormais ça un "congé maladie autogéré", où je n'avais pas à convaincre un médecin de quelque chose que je n'arrivais pas à identifier.


Il m'a été accordé, j'ai pu souffler et c'était quand même franchement très dur. Très peu de personnes - y compris des très proches - étaient au courant de mon état intérieur. Et avec les rares personnes qui le savaient, je pouvais me mettre à trembler et pleurer rien qu'avec la question "comment ça va en ce moment ?".

J'ai repris : nouveau projet, je connais le lieu, la moitié de l'équipe, mon chef d'équipe et de service, j'apprécie et j'ai confiance en tout le monde. La première mission était très technique, c'est ma grande préférence et je m'en réjouis. Première journée, aucune pression, rien d'autre à faire qu'installer les logiciels pour coder efficacement, récupérer des mots de passe etc. Pourtant, à partir de 14h, je me suis fait écraser. Ma concentration a complètement dégringolé, rien de plus d'une minute, un mal de crâne éreintant. J'ai tenu très douloureusement jusqu'à la fin de la journée, à me dire qu'il allait falloir que je dorme aussitôt pour avoir une chance de tenir la semaine.


Le matin même, j'y allais pourtant confiant, et je n'avais jamais imaginé quitter ce métier. En rentrant et en retrouvant ma famille (parents, ma soeur et son mari), le constat était bien différent : je ne PEUX PLUS travailler là-dedans. Car j'avais identifié la raison pour laquelle ça allait bien ou pas selon les projets : en gros, quand j'arrivais à oublier que je travaillais pour faire des avions plus rapidement, ou des hélicoptères etc, je m'amusais à faire mes algorithmes. Si je me mettais à gérer des infos trop explicites, j'avais des blackout de plus en plus forts. Et celui-là m'a complètement balayé : j'allais démissionner dès le lendemain.


J'y suis retourné, par respect et parce que j'apprécie beaucoup mes supérieurs, et je leur ai expliqué individuellement et en larmes pourquoi je ne pouvais plus rester. J'ai été très soutenu, et invité à prendre aussitôt un congé maladie. Trois mois plus tard, il était acté que je quittais l'entreprise et, pour moi, le métier.


J'ai cherché un peu des pistes où mes compétences pourraient être mises au service de quoi que ce soit qui me donne de l'espoir pour l'humanité et la planète... mais je n'ai pas trouvé pour l'informatique. Dans la multinationale ayant 350 000 employé·es dans le monde pour qui je travaillais, il n'y avait pas un seul client qui contribuait significativement à la préservation de notre climat. Je suis terriblement navré d'avoir rencontré tant de personnes dont j'admire l'intelligence, le goût pour relever des défis techniques/fonctionnels et de coopération à grande échelle (jusqu'à 250 personnes dans un seul projet, avec de nombreux liens de dépendance) et... que tout cela soit mis au service de ça : des productions qui nous font aller vers toujours plus de pollution, de consommation.


Je suis désormais auto-entrepreneur en tant que formateur, médiateur de conflits en Communication NonViolente et j'accompagne individuellement des personnes par l’écoute empathique. Je suis également engagé dans un collectif pour mettre ces outils au service de plus de justice sociale et soutenir les militant·es qui s'impliquent là dedans. J'anime des stages sur le consentement, l'entraide et la coopération. J'avais commencé à me former en 2015, et j'y avais consacré beaucoup de mes weekends ainsi que la grande partie de mes vacances quand j'étais encore ingénieur. Une activité très différente donc, où j'ai beaucoup à apprendre notamment au niveau administratif mais qui ~ ELLE ~ me donne l'impression de contribuer maintenant à quelque chose qui a vraiment du sens pour moi ET qui m'aide à développer des compétences qui, je crois, pourront être beaucoup plus utiles en cas d'effondrement social, économique et/ou structurel.


Il ne se passe pas une seule seconde où je pourrais regretter mon choix. C'était un gouffre sans fond que de mettre mon temps, mon énergie et mes compétences au service d'une industrie qui - je crois - nous fait aller encore plus vite droit dans le mur. Maintenant, au contraire, je me régale de contribuer à ce que je voudrais plus voir dans le monde. :)
Voilà pour moi, à vous les studios !
Laurent Becquart

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