J'ai parcouru un bout de chemin avant d'ouvrir les yeux.
Mon parcours est très classique : bonne élève, j'ai décidé lors de l'obtention de mon baccalauréat de continuer en classe préparatoire.
Je me suis donc retrouvée à préparer des concours pour des écoles de commerce, moi qui avais pourtant dit 2 ans plus tôt à ma maman "jamais !". C'était compliqué de s'orienter après le lycée, j'ai donc suivi la voie toute tracée : quel bonheur de s'assoir encore, pour une nouvelle rentrée, sur les chaises d'une salle de classe. Et j'ai rempilé l'année suivante, avant de passer les concours.
J'ai commencé à étudier dans une grande école de commerce en 2014 ; les cours ne me plaisaient pas, les gens que je rencontrais c'était assez aléatoire, je m'ennuyais un peu. Mais par une force indescriptible, et parce que tous les 6 mois il fallait soit changer de ville, soit changer de stage, j'ai complété mon cursus sans me poser de réelle question sur ce que je voulais et sur qui j'étais.
La première expérience professionnelle
Après l'obtention de mon diplôme, j'ai rejoint une grande entreprise qui construit des routes, des aéroports, et des bâtiments. Au début j'étais très heureuse, bien payée, dans une équipe jeune et dynamique. J'ai signé un CDI, j'ai commencé à payer mes impôts et je me suis que j'étais enfin adulte et intégrée.
Très vite dans cette entreprise, j'ai tout de même rejoint une petite asso interne pour essayer d'apporter des pratiques vertueuses au bureau, et sensibiliser mes collègues en continuant de développer des projets. Je passais pour l'écolo radicale à répéter à longueur de journée "prend ta tasse, plutôt qu'un gobelet en plastique" : c'était déjà trop restrictif en terme de libertés pour mes collègues.
Pendant 3 ans, je me suis évertuée à essayer de faire changer les choses de l'intérieur : j'ai rejoint le CSE, j'ai redirigé mes missions pour faire du numérique responsable et réduire l'empreinte environnementale de l'entreprise, je me suis formée, j'ai organisé deux semaines de l'environnement pour continuer à sensibiliser mes 500 collègues. Lorsqu'on me fermait une porte pour mettre en place un projet, je passais par la fenêtre.
Le jour où j'ai ouvert les yeux ...
Un matin, j'étais en réunion. A cette occasion, j'ai appris que mon entreprise allait déployer la 5G. Sans nous avoir consultées, ma collègue et moi, qui étions les seules formées aux pratiques de numérique responsable. Ce jour-là, on a pleuré toutes les deux. On s'est aperçu qu'on ne pouvait rien faire, que les mesures que l'on proposait et imposait pour réduire l'empreinte environnementale du numérique de l'entreprise ne serviraient à rien face au déploiement de la 5G. On a présenté des rapports à ce sujet, on a tiré des sonnettes d'alarme, mais nos dirigeants sont restés sourds.
J'ai commencé à rêver la nuit que la banquise tout entière fondait, que le monde était emporté dans des tsunamis. Mon éco-anxiété, qui grandissait depuis quelques années, était à son paroxysme. Je me sentais impuissante, et j'avais peur.
J'ai tenu encore 4 mois, puis j'ai craqué : je me suis littéralement écroulée. Je me disais pourtant qu'il fallait des personnes convaincues à l'intérieur du système pour essayer de faire changer les choses, pas de gros greenwashers. Mais je n'en pouvais plus de ramer à contresens. Je n'arrivais plus à me regarder dans la glace sans me dire que mon travail était inutile, que j'étais une caution verte d'une entreprise qui tentait de se donner bonne conscience.
... j'ai claqué la porte
Je suis finalement partie, et j'ai négocié une rupture conventionnelle pour être chom'activiste : activiste à temps plein ! J'ai rejoint Alternatiba Paris, et aujourd'hui je suis coordinatrice de campagnes, entourée de personnes qui partagent mes valeurs, et je contribue à pousser de l'extérieur pour que le système change.
Les grandes entreprises polluantes ne changeront pas, elles sont faites de telle manière à toujours mettre le profit au dessus des vies. Une fois que j'ai compris ça, je suis partie et je n'ai pas regretté un seul jour de ma vie depuis maintenant 2 ans, malgré la précarité de mon statut, la dureté des sujets que l'on traite parfois et la charge de travail énorme : la force collective, la lutte et les gens me portent. J'ai rencontré une famille militante, des ami·es. Et c'est précieux.
Faites vous un cadeau : si vous avez les conditions matérielles pour, quittez votre emploi qui n'a aucun sens. Rejoignez des collectifs, aidez-les à se structurer, faites leur des dons : nous n'avons plus le temps, en tant que société et humanité, de perdre du temps à arracher des "victoires" comme la fin des gobelets en plastique dans les entreprises. Le temps presse. Le changement doit être radical et systémique, et ensemble, nous sommes une force immense.