Billet de blog 23 mai 2022

Collectif La Traverse

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Prendre les chemins de traverse… mais à plusieurs !

Nous sommes un collectif d'une petite dizaine de personnes, qui avons décidé, à la fin de nos études en politiques locales, de prendre à bras le corps les questions climatiques, énergétiques, sociales de demain, pour y trouver des réponses radicales. Voilà l'histoire de notre parcours, depuis notre rencontre en 2018, sur les bancs de l'université.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout commence en 2018, lors de notre entrée en master à l’école urbaine de Sciences Po (Paris). 2018, c’est l’année de la démission de Nicolas Hulot et de la sortie du rapport du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) sur les impacts catastrophiques d’un réchauffement à +1,5°C. 2018, c’est aussi l’année des premières grèves lycéennes, avec Greta Thunberg en figure de proue de la génération climat.

Or en 2018, sur les bancs de Sciences Po, nous n’apprenions pas grand chose ni sur les évolutions du monde dans un contexte de changement climatique ni sur les voies possibles pour le limiter. Pourtant, nous avions choisi l’école urbaine car l’échelle locale nous apparaissait comme un terreau fertile pour (ré)inventer des modes de vie compatibles avec la sobriété énergétique et la réduction des émissions. Au lieu de nous apprendre à préparer les territoires - tous les territoires - , aux conséquences du dérèglement climatique, de l'effondrement de la biodiversité, et de la raréfaction des énergies fossiles, nous apprenions à nous intégrer dans un monde professionnel pré-existant, qui intègre à la marge et lentement les mots d’ordre de “durabilité”. On nous apprenait à être les têtes pensantes des métropoles, les consultant.es en smart city, les responsables des grands projets d’aménagement, publics comme privés. 

Dépité·es face à l’inadéquation entre ces enseignements et l’urgence sociale et environnementale, nous avons créé - au sein de notre master - le collectif Villes et décroissance, pour porter un plaidoyer auprès de l’administration de Sciences Po et nous auto-former. Pendant deux ans, nous avons appris sur la transition écologique, le municipalisme libertaire, le développement local, la décroissance… Sur tous ces concepts qui s’intéressent à l’aménagement du territoire mais n’avaient pas droit de cité dans notre cursus. Ces courants de pensée nous ont permis d’explorer les alternatives :  là où on nous enseignait la smart-city, nous nous intéressions à la ville low-tech; aux pôles de compétitivité, nous préférions les villes en transition.

Fort·es de ces enseignements, nous avons eu nos premières victoires : introduire un module de deux heures sur la décroissance dans le cours d’économie, élaborer un voyage d’étude à Grande-Synthe pour une 30aine d’étudiant·es,organiser des conférences qui faisaient salle comble et des soirées de lectures collectives…

Et puis nous avons eu notre diplôme.

Comment pouvions-nous nous arrêter en si bonne route ? Retourner sur le “droit chemin” de la vie professionnelle ?

En 2019, nous créons l’association La Traverse, et nous y consacrons toute notre énergie. D’abord à trois et pendant un an, en partant en autostop sur les routes de France métropolitaine à la découverte des campagnes françaises et à la rencontre de celles et ceux qui renforcent leur autonomie et considèrent que la transition se fait non pas par les écogestes individuels mais par l’action collective locale.

Suite à cela, nous commençons à accompagner nos premiers territoires, en essayant de nous affranchir autant que possible des normes classiques du conseil. Aux objectifs de croissance économique et d’attractivité, nous voulions opposer celui de résilience. Comment améliorer la capacité des territoires à s’adapter aux effets des crises environnementales tout en diminuant leur contribution au problème, c’est-à-dire leurs émissions de gaz à effet de serre ? Comment répondre aujourd’hui aux besoins des habitant·es tout en anticipant les évolutions climatiques et énergétiques ? Nous avons développé un format de résidence en immersion dans les territoires pour fédérer élu·es et société civile autour d’une envie d’agir. Ces résidences nous permettent d'expérimenter des méthodes originales et sensibles, qui impliquent les habitant·es. Nous y repérons les vulnérabilités du territoire et les ressources dont il dispose pour y faire face.

Seulement 3 ans après sa création, la Traverse c’est une équipe salariée de 6 ami·es de master, basée à Poitiers et travaillant en temps partiel choisi, à 4 jours par semaine. 

Nous intervenons régulièrement dans des formations en master pour montrer que d’autres parcours professionnels sont possibles. 

Aujourd’hui, nous espérons pouvoir dire que nous influençons positivement les territoires avec lesquels nous travaillons. Nous ne prétendons pas que tout fonctionne à merveille et nous continuons de questionner notre impact. Si nous avons fait un pas sur le côté, nous restons contraint·es par le cadre  des marchés publics et l’inertie de certaines institutions. Dans cette situation, nous encourageons les élus à s’émanciper des cahiers des charges imposés par le haut, pour réfléchir par eux-même et avec la société civile aux besoins réels.  

L’avenir dira si ce que nous impulsons en local impacte durablement les territoires, mais nous faisons de notre mieux pour nous rendre utiles à ceux qui souhaitent prendre en compte les crises avec lucidité. Trois ans plus tard, même s’il n’est pas toujours facile de convaincre les collectivités de l’urgence à agir, nous restons persuadé.es d’avoir fait le bon choix. 

Et si nous restons bien (trop) minoritaires, nous sommes ravi·es de voir que d’autres viennent gonfler les rangs de celles et ceux qui remettent en question la doxa libérale et croissantiste. Nous sommes ravi.es de voir que des étudiant.es d’AgroParisTech ont le courage de casser ces moments de liesse collective que sont les remises des diplômes, pour créer la gêne et faire réagir. Ils rappellent que la transition écologique n’est pas un dîner de gala, et nécessite de poser un rapport de force entre celles et ceux qui souhaitent perpétuer un modèle destructeur et celles et ceux qui tentent d’inventer autre chose. 

Un article écrit par Maud Picart et Alexia Beaujeux 

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