Il y a longtemps que cette édition n'a pas été alimentée et l'on pourrait croire qu'il ne se passe rien à Bordeaux, ce qui serait tout à fait faux - tous les bordelais sont suspendus aux sondages qui mesurent la popularité de leur maire et ses chances de devenir président de notre beau pays en 2017, ils voient dans les rues se presser un nombre toujours croissant de touristes, ils continuent de slalomer entre des crottes de chien et des poubelles débordantes d'ordures - comme si le basculement à droite de la CUB n'avait guère eu de conséquences sur ce point ! (Mais qu'ai-je dit ? La CUB est morte. Vive Bordeaux Métropole !) - ils assistent à la baisse des budgets culturels et des budgets sociaux, et, selon leur sensibilité personnelle, s'en indignent ou s'en accommodent, ils se résignent à voir sur la place Pey Berland une patinoire à côté de la Cathédrale, comme s'il n'y avait pas d'autres endroits où l'on pourrait tout aussi bien se casser la gueule sur la glace au son d'une musique, d'une musaque, dirait Michel Serres - mais cette juxtaposition doit faire post-moderne.
Bon, laissons cela. Ce n'est pas de cela que je voulais parler. Mais de deux livres consacrés à Bordeaux, à sa beauté, à la richesse des trouvailles qu'un promeneur attentif peut y faire et qui mettent un bémol à mes râleries.
Le premier est une réédition. Les éditions Confluences avaient inauguré, en 1994, une collection précieuse de petits livres qui associaient un écrivain et un photographe autour de la célébration d'un élément du paysage bordelais. Cette collection s'appelait, par hommage à Julien Gracq, la forme de bordeaux. Dix-huit textes furent ainsi publiés, de Jean-Marie Planes sur le Jardin public, sur les Quinconces, de Jean Lacouture sur le Pont de pierre, de Yves Harté sur le parc Lescure, de Françoise Taliano-des Garets sur le Parc bordelais...., je ne vais pas tous les énumérer. Ces livres étaient devenus introuvables. Eric Audinet a eu la bonne idée de les réunir en un seul volume.
Vingt ans après, Bordeaux a changé - les tempêtes ont abîmé ses parcs, mais ses jardins secrets sont toujours là, la ville sombre s'est éclairée, on y circule dans un tramway que le monde entier nous envie, Alain Juppé a, c'est incontestable, changé quelque chose de la forme de Bordeaux, sans pour autant en perdre l'esprit - il s'en explique dans un texte qui sert de contre-point aux textes réédités et évoque les préoccupations qui étaient les siennes :"la question du patrimoine et de sa mise en valeur ; la question du rôle stratégique de ces sites emblématiques qui ne se sont pas implantés ex nihilo mais sont intégrés dans un quartier qu'il s'agit, lui aussi, de mettre en valeur ; et enfin la question des usages qui se pratiquent ou pourraient se pratiquer dans ces sites ou ces bâtiments." Et celles qui sont les siennes aujourd'hui :"le moment est désormais venu de mettre en oeuvre le troisième projet urbain de la ville, celui qui va faire passer Bordeaux de quartier de lune à pleine lune (...) Comment faire grandir Bordeaux sans plagier la ville ancienne et sans faire banlieue ?"
Les amoureux de Bordeaux doivent trouver leur compte dans ce livre - éditions confluences, 25 euros. De même qu'ils pourront s'enchanter du beau livre consacré aux portes de Bordeaux par Henri Colombani et publié par les Editions de l'Entre-deux mers, lesquelles, depuis des années, se sont lancées dans l'édition de livres de grande qualité consacrés au patrimoine de la Gironde, en particulier au travail de Leo Drouyn, infatiguable dessinateur, graveur, peintre de toutes les richesses architecturales de Bordeaux et des cantons avoisinants. Colombani rassemble des aquarelles qu'il fait depuis vingt ans des portes de Bordeaux, des plus anciennes aux plus classiques, des plus humbles aux plus nobles et la promenade à laquelle il nous invite permet de regarder d'un oeil neuf cet élément essentiel de l'architecture.
Les aquarelles sont superbes et enrichies d'un texte descriptif et historique tout à fait passionnant. On passe de la poésie d'un détail au constat parfois désolé du peu de respect avec lequel certains ont traité ce qui sans doute leur paraissait n'être qu'un détail. Je ne vais plus marcher dans Bordeaux sans y vérifier les connaissances que je viens d'acquérir et je suis sûr, comme le recensement de Colombani ne peut être exhaustif, d'y faire des découvertes qui lui auront échappé. Il ne s'agit pas d'être nostalgique, mais de savoir lire le paysage urbain pour y découvrir des traces d'histoire à côté desquelles on aurait pu passer sans les remarquer.