Le débat sur la LGV, Ligne à Grande Vitesse censée faire gagner une vingtaine de minutes pour le trajet entre Toulouse et Bordeaux que l'on croyait abandonné, tant il appartient au siècle dernier, rejaillit depuis que le Gouvernement qui n'est pas à une volte-face près l'a remis, si j'ose dire, sur le rail et depuis que le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic a dit haut et clair son opposition.
Voici le billet que j'écrivais, ici même, il y a plus de dix ans. Il n'a malheureusement pas pris une ride :
Article publié le dimanche 21 février 2010
"Au Moyen-age, les pauvres avaient le droit de faire paître leurs quelques animaux sur des zones de terre des Landes qui n’appartenaient à personne. Vint une époque où les riches propriétaires s’indignèrent de cet obstacle à la rationalisation de l’agriculture et, puisqu’ils étaient les plus forts, ils s’ emparèrent des “vacants”. Il y eut des procès. Certaines communes purent se porter acquéreurs de ces terrains. Les conflits durèrent longtemps.
Pourquoi rappeler cette histoire qui semble n’intéresser plus que quelques érudits locaux ? parce qu’elle a laissé des traces dans la mémoire collective et lorsqu’il a été question de revenir sur certains droits de passage, lors du projet de création d’une LGV, un vent de jacquerie a soufflé sur les Landes et Côteaux de Gascogne.
Association de sauvegarde des landes et côteaux de Gascogne, c’est le nom de la jeune association qui s’est constituée en décembre 2009, mais qui est déjà forte de quelques centaines de membres, pour poser des questions, embarrassantes, aux promoteurs de ce projet. Après tout, la population avait été consultée sur le principe d’une telle ligne et une majorité s’y était montrée favorable - qui refuserait de gagner du temps lors d’un voyage,et qui pourrait s’opposer à un développement des transports ferroviaires en une période de pétrole cher ? personne, à l’image des politiques qui, du PS à l’UMP en passant par le PC et quelques autres, présentaient la LGV comme l’occasion de désenclaver ( ?) la région, de créer des emplois, d’impulser le développement économique.
Quel fut donc le déclencheur de la révolte ? la découverte que RFF (Réseau Ferré de France) avait décidé de ne pas suivre le circuit existant mais d’en créer un de toutes pièces - ce qui allait entraîner la destruction de 3600 hectares de côteaux et de forêts. Sans raisons valables. Suivons l’argumentaire que présente l’Association.
1◦ La LGV est inutile : en effet, le TGV passe déjà entre Bordeaux et Hendaye, entre Bordeaux et Toulouse. Il s’agit simplement de le faire aller plus vite. On pourrait raisonnablement penser qu’il suffit de transformer les voies existantes pour y parvenir. Tous cal- culs faits, les nouveaux tracés ne feraient gagner, respectivement, que 5 et 15 minutes sur les tracés existants et rénovés. On peut s’en étonner à juste titre.
2◦ D’autant que la LGV est ruineuse. Qu’on en juge! Bordeaux/Hendaye : 12,5 milliards d’euros (1 seul milliard pour l’aménagement des lignes déjà existantes) Bordeaux/Toulouse,7 milliards . Sans compter que la facture grimpera nécessairement au fil des ans. (A titre de comparaison, je rappelle que l’on estime à 14 milliards de dollars le coût de la reconstruction de Haïti ! ! !) Ruineuse donc pour l’Etat, mais également pour les collectivités locales qui devront participer à hauteur de 50% au prix de ces investissements. Pour exemple, le Lot-et-Garonne, qui ne roule pas sur l’or, devra s’acquitter d’une centaine de millions d’euros - ce qui correspond à son budget annuel (combien de maisons de retraite auraient pu être construites, combien d’établissements scolaires et sportifs, combien de logements sociaux ?)
Le contre argument avancé par les promoteurs de la LGV est qu’elle va permettre de développement des TER qui s’y raccorderont. Belle réponse, qui oublie seulement que ce sont les régions qui ont en charge les TER - que leur développement donc ne peut s’effectuer que par l’augmentation de l’impôt et la disparition des lignes de proximité et des lignes réservées au frêt.
3◦ Elle est dévastatrice pour l’environnement : 3600 hectares de côteaux, forêts, vignes, terrains fonciers - ce n’est pas rien. A quoi s’ajoutent les atteintes portées à l’environnement, les nuisances sonores importantes qu’atténueront peu les murs de béton que l’on édifiera pour s’en protéger, les obstacles apportés à la circulation des animaux sauvages, les risques encourus par des zones marécageuses riches en flore et en faune. Grenelle de l’environnement, qu’es-tu devenu ? on a vite oublié que si le développement du trafic ferroviaire y était prôné, il était bien spécifié qu’il devait se faire par les voies déjà existantes.
Le contre argument se veut imparable : le LGV va avoir des re tombées économiques pour les régions qu’elle traversera et elle va créer des emplois. Pour les emplois, on sait que les grandes entreprises qui vont s’occuper du chantier viennent avec leurs propres ouvriers. Quant aux retombées économiques, elles restent à démontrer.
4◦ Elle représente une conception du développement et du progrès qui date du siècle dernier et elle ne fait aucun cas du contexte de crise que nous connaissons en ce début de siècle et qui va nous contraindre à repenser tous nos modèles. Défendre des infrastructures aussi lourdes et dispendieuses est un véritable contre-sens, alors que ce sont les autoroutes informatiques qu’il faudrait développer. L’important n’est pas d’aller plus vite, mais de multiplier les interactions - et cela seul le Net le permet. D’ailleurs, les cadres qui seraient les principaux utilisateurs de la LGV, se déplacent de moins en moins et le développement des vidéo-conférences en est la preuve. On va favoriser une minorité qui aura un accès facile à la LGV, sans penser que le reste de la population devra, pour rejoindre les gares LGV, prendre sa voiture ! On présente comme modèle de développement urbain une concentration de la population dans des métropoles où la vie va devenir impossible - ce qui aura comme conséquence un assèchement, une désertification des campagnes. On a vraiment l'impression que les experts, une fois de plus, foncent, tête baissée, dans le mur.
5° Enfin, les décisions prises l'ont été au mépris de respect des pratiques démocratiques les plus élémentaires. tout se passe comme si la consultation n'était que de la frime - on parle de vagues principes, mais on évite soigneusement de dire quels seront les moyens utilisés. Et lorsqu'on les découvre, on se heurte à la toute-puissance des experts, qui représentent, en notre ère technico-scientifique, l'incarnation même de la Raison (...)"
Relisant, hier, Les cinq sens de Michel Serres j'y découvre ces lignes prémonitoires et qui datent de 1991. Serres vient d'évoquer le Sauternais et Eyquem en un vibrant et poétique hommage et il poursuit :" l'Yquem porte la marque de la forêt persistante, garde le souvenir du lointain armagnac, cite les graves, son voisin ; voici le déséquilibre, le bord extrême de la nappe (...) son instabilité ou catastrophe, alliances repoussantes comme les mercaptans, puanteurs de mazout, de goudron et d'égouts, soufre, que se passe-t-il, fermez la porte au vent d'est, la raison monodrome de l'autoroute a piétiné, horde immonde et sotte de Huns, déraciné le vignoble de Sauternes, a tranché l'écu de sa noblesse, a déchiré sa carte, coupé sa langue. Elle traverse la vigne sainte en l'indiquant par un panneau : pour ceux qui passent vite, à cheval sur le tonnerre et laissant, derrière, un panache d'immondices gazeux, le donné se réduit au langage écrit, peint sur la pancarte (...)" (P.171) Il voyait juste, comme toujours, le Serres !