Longue histoire d'amour que celle entre Eric Audinet et Félix Arnaudin. Commencée voilà près de quarante ans quand Audinet découvre les photographies et les textes de celui qui fut l'infatigable ethnologue – folkloriste – de la Grande Lande. Il lui consacrera une partie importante de son travail d'éditeur en rendant accessibles les textes et les photographies d'Arnaudin (1844-1921) : Oeuvres Complètes (huit tomes entre 1994 et 2007), Oeuvre photographique (2015), Félix Arnaudin, photographe de la Grande-Lande (2021). Cette somme impressionne qui rend justice à ce personnage hors norme qu'est Arnaudin auquel Guy Latry a consacré, toujours chez Confluences, une biographie passionnante.
Après tous ces livres, la surprise vient d'un petit texte dans lequel Eric Audinet prend la parole, pour la première fois, sur Arnaudin. Il choisit, pour ce faire, d'évoquer 6 de ses photographies, parmi les plus connues, pour mieux comprendre la nature des liens qui l'unissent à Arnaudin. Au cœur de cette fascination pour l'homme et son œuvre, une commune nostalgie pour une nature d'avant ce que nous connaissons maintenant et qui est le résultat « de la révolution paysagère, sociale et industrielle qui (s'est opérée) en cette fin du XIX° siècle. »
Arnaudin a encore sous les yeux les traces de ce que fut la Grande Lande – l' infini de la route d'Escoursolle, vers Labouheyre dont Audinet dit qu'elle « témoigne du goût irrépressible pour ces paysages dont il cherche à conserver le souvenir, loin de toute anecdote, à l'inverse des cartes postales folkloriques ou pictorialistes qui deviennent, en cette fin de siècle, le gagne-pain des photographes. » - mais aussi cette fascinante croix de bénédiction du bétail qui s'élève dans le désert de la lande pour indiquer par sa double direction le chemin des hommes et celui des croyants.
Mais ces traces s'estompent ou n'existent plus, Arnaudin recompose les travaux et les jours avec des figurants comme dans cette vue panoramique d'un airial - photo de 1892 -. Les hommes et les femmes posent devant son objectif avec une dignité tranquille, « Portrait d'une famille sous l'auvent. »
Audinet a placé, au début de son livre, deux photos – celle de Marie, l'amour de la vie d'Arnaudin et celle d'Arnaudin lui-même, l'une et l'autre solitaires puisque cet amour fut longtemps contrarié par la famille d'Arnaudin. « Il est remarquable, écrit-il, qu'après 1880, Marie revenue et Félix définitivement engagé dans le processus de l'oeuvre à mener, l'un comme l'autre disparaissent au profit de celle-ci. Les portraits de Marie autour de la maison comme les autoportraits dans la lande étaient des exutoires à la douleur. Quand celle-ci se mue en carburant pour le travail, le recours narcissique n'est plus nécessaire. »
Le temps d'avant est celui d'un pays très ancien. Les photos d'Arnaudin matérialisent « une sorte de rendez-vous avec soi-même, sinon un retour à une matrice originelle. »