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Les semaines passent et les Républicains n’ont toujours pas digéré l’arrêt rendu par la Cour Suprême en faveur de l’Affordable Health Care Act. Une cible : le Chief Justice John G. Roberts, conservateur patenté, nommé à la Cour par George W. Bush, mais vote décisif en faveur de cette décision controversée. Et si par la force de la jurisprudence, John G. Roberts n’avait que fait perdre une bataille au camp conservateur, mais pas la guerre ?
C’est en effet une théorie qui circule tout aussi bien dans les rangs démocrates, circonspects d’avoir reçu les bonnes grâces d’un de leurs meilleurs ennemis, que dans les rangs républicains, qui se raccrochent aux branches afin de se rassurer.
Le premier argument en faveur de cette théorie est plus stratégique et politique que juridique. Un arrêt en défaveur d’ObamaCare aurait eu une effet ravageur sur l’image de l’Institution, jugée trop partisane et légiférant en lieu et place du Parlement. Avec des Justices comme Samuel Alito ou Clarence Thomas, la Cour était suffisamment mal en point comme ça. Dès lors, disent les tenants de cette théorie, regardez-donc le calendrier de la SCOTUS[1] : mariage homosexuel, maintien de la discrimination positive dans les universités, Voting Rights Act de 1965, lois anti-immigration illégale de l’État d’Arizona…
John G. Roberts pourra laisser libre court à son orthodoxie conservatrice, fort de sa toute nouvelle aura d’homme de compromis, non partisan, n’ayant pas hésité à sauver une réforme d’Obama. Réforme qui n’aurait jamais dû susciter une telle controverse juridique soit dit en passant.
Il faut toutefois se garder de céder au travers journalistique[2] voulant que tout événement politique se traduit en gagnants et en perdants. Qui a gagné, qui a perdu grâce à la Cour Suprême, victoire pour Obama, victoire pour Romney, blah blah bullshitty-blah ?
Le premier réflexe de Fox News et des stratèges Républicains a été bien évidemment de dire que c’était une grande victoire pour leur camp, malgré la traîtrise de Roberts. Non seulement la Cour Suprême était « obligée » de suivre la ligne du Parti pour les prochaines décisions, mais maintenant, l’élection allait vraiment être un référendum contre la politique socialiste de santé d’Obama ! Pendant ce temps, l’équipe de Mitt Romney tire une tête de six feet de long en essayant de faire oublier que son candidat était en faveur du mandat individuel[3] lorsqu’Obama voulait, lui, un système universel public (« single payer »). Mandat qui a fini par être la solution retenue par l’administration démocrate, une solution que Mitt Romney[4] avait déjà expérimentée lorsqu’il était Gouverneur du Massachussetts. En bref, comme d’habitude, Mitt Romney est dans la panade.
La Cour quant à elle n’en est toujours pas moins politisée. L’épouse de Clarence Thomas continue d’être à la tête d’un think tank/cabinet de lobbying menant la charge contre la réforme du système de santé et le réchauffement climatique, généreusement financée par les frères Koch, Antonin Scalia participe toujours aux réunions du Tea Party Caucus de la Chambre des Représentants, quant à Alito, on préfère ne pas savoir ce qu’il fait de sa bouche.
Ainsi, John G. Roberts n’a pas signé un blanc-seing au Président Obama et l’argumentaire qu’il a développé pour valider la réforme n’est pas sans arrières pensées. C’est ici que réside le second argument en faveur de la thèse peignant le Chief Justice comme un joueur d’échecs. Le perdant du moment est cette fois-ci le Parlement, et c’est rudement plus grave.L’argument développé dans son opinion par le Chief Justice est que le Congrès était dans les limites de son pouvoir de taxation lorsqu’il a voté en faveur du mandat individuel. L’argument peut paraître spécieux, puisque le mandat individuel ressemble plus à une amende qu’à une taxe puisque seuls ceux qui se soustraient à l’obligation sont tenus de payer quelque chose au gouvernement tandis que les autres payent une cotisation santé à une mutuelle privée. La fin justifiant les moyens, passons.
En revanche, John G. Roberts a rejoint les quatre autres Justices conservateurs dissidents pour ce qui est de l’interprétation de la Commerce Clause. Celle-ci, dans son article 1 dispose depuis 1937 et le New Deal que le Congrès est libre d’adresser les problèmes économiques de la nation en régulant les activités commerciales. Le New York Times propose un article très clair sur l’argumentation juridique développée par Roberts pour en réduire la portée, consultable à cette adresse. L’idée est que le commerce repose sur une forme « d’activité » et que le fait de ne pas acheter une assurance santé est une forme « d’inactivité » qui de fait ne peut pas être concernée par la Commerce Clause. « La Commerce Clause n’est pas une licence générale donnée au gouvernement pour réguler la vie d’un individu du berceau à la tombe » écrit ainsi Roberts. Voilà la frange anti-étatique du Parti Républicain armée de la force du précédent constitutionnel pour restreindre la portée du pouvoir fédéral.
En déplaçant le curseur du pouvoir de régulation vers le pouvoir de taxation, John G. Roberts rendra beaucoup plus difficile toute initiative législative reposant sur la logique de mandat individuel : le pouvoir de taxation est beaucoup plus codifié et restreint par la loi que le pouvoir de régulation prévu par la Commerce Clause. Le pouvoir législatif se trouve pieds et poings liés par 75 ans de jurisprudence balayés au détour d’un arrêt.
En somme, John G. Roberts n’est ni un champion de l’indépendance, ni un héros de la santé publique, ni un visionnaire de la Droite mais bel et bien un bon politicien conservateur ; le Président Obama a certes gagné, mais surtout du temps ; Mitt Romney continue simplement de se tirer de jolies balles dans le pied ; mais surtout et avant tout les Républicains vont pouvoir restreindre les pouvoirs du gouvernement.
S’il y a un gagnant immédiat ressortant de ce mic-mac juridico-politique, c’est bien, une fois n’est pas coutume[5], le peuple américain et les 50 millions de citoyens de plus qui vont enfin bénéficier d’une couverture santé décente.
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[1] SCOTUS est un acronyme pour Supreme Court of the United States, i.e Cour Suprême des États-Unis
[2] Pour le plaisir, on peut lire “Six lessons from the misreporting of the health-care decision” http://www.newyorker.com/online/blogs/closeread/2012/07/scotusblog-and-fox-news-reporting-health-care-verdict.html
[3] Chaque citoyen a pour obligation de souscrire à une mutuelle de santé sous peine d’une amende. La couverture santé est fournie soit par l’employeur, soit par une “bourse d’échange publique” mettant en concurrence des mutuelles privées à bas prix.
[4] Dont le vrai nom est “Willard Mitt Romney”. Willard. Willard !
[5] Il fait chaud, ma bière est vide, je me laisse aller à de petits accents poujadistes pour flatter mon lectorat en guise de conclusion.