Témoignages de femmes :
Ce lundi trois décembre, le groupe « femmes » de l’ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) est réuni à 10h dans son local « Le Pollux » au Jas de Bouffan.
Il règne d’habitude, dans ces réunions, une ambiance de joyeux désordre et de rires partagés. Aujourd’hui, l’enjeu est de taille : il s’agit avant tout d’être efficaces et partant disciplinées. Les femmes s’organisent pour préparer le couscous de l’ATMF, pour la bagatelle de 150 personnes ! Lorsque j’arrive, on est en train de régler le problème de la répartition des tâches : la fabrication de la semoule, tâche la plus difficile n’avait été confiée qu’à une personne : on rectifie le tir. Plusieurs personnes s’en occuperont. Voilà un problème réglé.
Puis, on règle le problème du café, des gâteaux, du prix auquel ils seront proposés (sachant que le couscous sera gratuit). On se préoccupe ensuite du service : les graines, la sauce, les légumes. Qui tiendra la caisse ? Qui fera le tri ? Qui fera les courses, quel jour exactement, pour que tout reste le plus frais possible ?
Tout est soigneusement noté, chacune sait à quoi elle s’engage. On se rappelle le premier des principes du groupe : « on travaille ensemble et on est ensemble pour s’aider »
Sont présentes : Safia, Saïda S, Louisa, Adda, Zemorda, Haïcha, Saïda N. Quand tout est réglé, elles acceptent de répondre à mes questions sur ce que représente pour elles cet anniversaire de l’ATMF.
Adda prend la parole la première : pour moi la fête des trente ans de l’ATMF, représente tout ce que cette association m’a apporté, depuis que je l’ai découverte (en 1985, il y a donc presque trente ans). J’étais jeune quand j’ai connu l’ATMF, mon mari y était militant et c’est grâce à lui que je suis là. Longtemps, je suis allée au siège, au centre ville. Les gens de mon âge qui ont vu naître l’ATMF, ont bénéficié d’une aide énorme pour les papiers, pour s’intégrer, trouver du travail. Nous étions heureux de nous retrouver là-bas. Algériens, Marocains, Tunisiens, TOUS ont été aidés. C’est une association familiale, il y avait mon mari, mon frère, mes enfants. Saïda N.qui fréquente l’ATMF depuis longtemps aussi, partage totalement l’avis de Adda.
Pour Zemorda, plus jeune, « aujourd’hui l’ATMF, c’est aussi des tas de choses nouvelles. Elle nous permet d’apprendre la lecture, l’écriture, à se servir d’un ordinateur. Elle nous permet aussi de voyager, de voir des choses que nous n’avons jamais vues (Nous avons découvert Strasbourg, la Bretagne), de faire des fêtes et d’y rencontrer des gens, de faire de la philosophie. C’est cela pour moi aujourd’hui l’ATMF ».
Chacune prend la parole après l’autre autour de la table. C’est au tour de Saida S. , référente de l’espace femmes et salariée de l’ATMF : « Avant, il n’y avait que des hommes au conseil d’administration de notre association. Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux, les autres membres sont des femmes. L’ATMF a apporté beaucoup aux femmes et aujourd’hui, ce sont elles qui poussent et qui font avancer l’ATMF. »
Puis Latifa, qui fait partie, avec Louisa, des plus jeunes salariées (animatrices polyvalentes) de l’ATMF, prend la parole : « Je suis ici depuis deux ans. L’ATMF m’apporte beaucoup en termes d’échanges, d’ouverture et de rencontres entre nous. Moi j’apporte les cours de français, de couture, les sorties ».
Safia enchaîne : « Oui, les occasions sont multipliées et élargies de rencontrer des gens d’autres villes, d’autres ATMF. Nous avons aujourd’hui la possibilité d’avoir, dans ce grand regroupement d’ATMF des échanges sur nos idées, sur nos façons de voir les choses, ce sont des échanges humains avant tout. Trente, c’est un gros chiffre, c’est un gage de résistance, de capacité à durer. J’habitais entre 1982 et 1991 rue Félibre Graut, où l’ATMF a son siège. C’est là que j’ai rencontré cette association. J’allais discuter. J’envoyais les gens qui en avaient besoin.
Quand j’ai rejoint le groupe ici, ce fut comme si je replongeais dans mes études. Je replongeais dans la philosophie (j’ai fait une terminale S, j’aimais la philosophie). Je me suis remise à la couture, au patchwork. J’ai fait plusieurs voyages avec l’ATMF qui m’ont vraiment marquée (dont Strasbourg).
Être ensemble me sort de mon isolement, parce que j’ai toujours été solitaire, j’étais trop refermée sur moi-même. J’avais besoin de cette énergie des autres. Ça m’a aidée à combattre ma timidité et remise aussi en connexion avec le théâtre que j’avais déjà découvert au lycée »
Louisa, salariée animatrice elle aussi,donne son témoignage la dernière. « Un jour à l’occasion de la fête des femmes, ici, il y a 6 ou 7 ans, il y avait des débats avec des journalistes et j’ai donné mon avis. J’ai connu Saïda, les femmes et ça m’a plu. On m’a proposé des ateliers d’enfants, de scolaires, je me suis mise à disposition, j’ai fait du bénévolat. Puis Saïda m’a proposé un contrat et j’ai intégré mes enfants au centre aéré de l’ATMF. Ce travail m’apporte beaucoup : je fais des voyages (Bretagne, Strasbourg), je découvre des coins de France, je fais la connaissance de femmes qui sont devenues des copines. Ça m’a fait du bien. Cela fait 4 ou 5 ans que je suis là.Trente ans, ça fait plaisir, une association qui a donné tant de temps …
Arrivée plus tardivement, Haïcha, reprend l’idée de cette association familiale qui est bien pour les enfants et les familles et bien pour les voyages qu’on peut y faire.
Et toutes de s’égayer à nouveau : Ca va être une GRANDE FÊTE ! On va DANSER, DANSER !
Saïda S. reprend la parole pour rendre plus clair le message de cette fête : « On n’a pas cessé de sensibiliser et de motiver d’autres militants. C’est pour cela qu’on est encore là après trente ans de luttes, menées sans relâche par des militants et des militantes, dont beaucoup sont partis déjà ; on rappelle ces luttes en ce jour d'anniversaire des trente ans . Et moi, en tant que référente femmes et jeunes filles, je considère que tout ce que l’on fait , fait partie de ces luttes. Nous considérons que les ateliers dont le but est de faciliter l’accès à la citoyenneté, de même que les voyages (nous avons fait la visite du Parlement Européen, de l’Assemblée Nationale), ce sont aussi des luttes, comme le sont le travail en faveur des « Chibani » (des « Anciens ») et le soutien aux Palestiniens. Le travail de proximité auprès du public fait aussi partie de ces luttes.
L’ATMF se caractérise par la combinaison du travail de proximité et du militantisme
Comme l’a bien souligné Zakya Daoud dans son livre consacré à l’ATMF, intitulé « De l’immigration à la citoyenneté » Itinéraire d’une association maghrébine en France : l’ATMF, 1960, 2003.
Dans le groupe femmes, continue Saïda, on a réussi à faire de la mixité sociale et culturelle. Nous sommes solidaires, nous partageons les mêmes désirs, les mêmes rêves de filles, de femmes ». On se forme et on s’informe et cela nous donne une ouverture sur le monde, au-delà des considérations culturelles, religieuses.
La permanence sociale : la base historique et la valeur sûre de l’ATMF
Ce même trois décembre à 14h, me voici auprès de Kalid, autre salarié de l’ATMF, qui tient sa permanence d’aide au public, rue Félibre Graut dans le centre d’Aix.
Il ne chauffe pas toute la salle, mais seulement un petit bureau derrière où il a son ordinateur et où il reçoit ceux qui ont besoin d’aide. Cette fête des trente ans de l’ATMF, pour lui, « c’est toute une existence de l’association depuis sa création, ces trente années de lutte pour l’égalité des droits. Moi je ne suis pas un des fondateurs, mais je suis là depuis une quinzaine d’années. Le but de notre association a toujours été de lutter pour les droits, de la première à cette trentième année, à l’époque, particulièrement pour ceux des immigrés. Puis on a travaillé auprès des familles défavorisées, plus tard auprès des jeunes, toujours pour l’accès aux droits, contre les discriminations. »
Puis, Kalid continue en apportant deux bons cafés qui nous réchauffent : « Notre champ d’action s’étend à ce public varié, également à travers nos activités de proximité. C’est un travail de centre social, mais nous touchons avant tout un public défavorisé, issu de l’immigration, maghrébine ou autres (Africains, Asiatiques, Turques) et aussi des Français. Aujourd’hui, nous touchons ce public défavorisé de plus en plus à travers des actions d’accompagnement de la population vieillissante, des retraités, avec un travail de soutien et d’accès à leurs droits (c’est une population fragile, qui a vu ses droits confisqués par des employeurs malhonnêtes au fil du temps, qui ne les ont pas déclarés correctement ou insuffisamment.) Il y a aussi ceux qui sont maltraités par la loi. Ils sont privés de leurs droits et même discriminés. La retraite des immigrés et celle des Français, en effet, ne se déroulent pas dans le même contexte. Les immigrés ont des problèmes de sécurité, de santé, de soins. Ils sont astreints à résidence : si un retraité rentre chez lui, dans son pays, plus de six mois, certains de ses droits disparaissent (retraites complémentaires, aides de l’État). On ne demande pas à un Français où il se trouve pendant sa retraite. On harcèle ces immigrés en leur demandant leur passeport. On a même osé leur demander des remboursements pour « trop-perçu ». Et ces lois sont toujours là, on se bat donc sur le plan législatif, par conséquent, politique. C’est le problème de ceux qu’on appelle les « Chibani », en français les « Anciens ».
Nous continuons à parler de ce problème révoltant : L’essentiel, affirme Khalid, est de les impliquer en leur posant des questions. Il faut que ce soient eux, les concernés, qui parlent et qu’il y ait des enregistrements, comme à Perpignan où l’ATMF a organisé une grande manifestation au printemps[1]. Nous, ici, on les touche à travers la permanence sociale. On les soutient, on les oriente, on les aide dans leurs démarches administratives (ils ne savent ni lire ni écrire)
On reçoit aussi les sans-papiers, pour régularisation, les travailleurs saisonniers. Sur ce point, on traite au cas par cas.
C’est parce qu’il y a des besoins et du travail à accomplir, que l’association a tenu le coup.
Ce travail se traduit par ces luttes pour l’égalité des droits et aujourd’hui pour l’accès à la culture. Aujourd’hui, en effet, les droits existent mais comment y accéder ? Notre public a des droits mais :
- Il les ignore,
- Il manque d’information et de communication
- Il n’a pas les moyens d’y accéder (en termes de culture) : pas les moyens d’aller au théâtre, au cinéma, à la neige, de voyager.
Et quand il arrive que les droits n’existent pas, la lutte est double.
Ici au 27, rue Félibre Gaut, il y a une permanence tous les matins de la semaine. Avant on avait une secrétaire l’après-midi, mais maintenant on ne peut plus, on n’a plus assez d’argent, regrette Kalid. D’une façon générale, il y a eu une baisse dans la subvention du FASID, devenu ACSÉ (qui donne des subventions pour l’égalité des droits et des charges). Au Pollux aussi, il y a une permanence sociale, qui s’occupe des habitants du Jas. Ici les gens viennent des environs, d’assez loin même (par exemple, une fois, d’Avignon…)
La fête telle que l’a voulue et organisée l’ATMF
Pour nos trente ans, il doit s’agir d’une rencontre d’anniversaire, cette journée doit être plus festive qu’autre chose, conclut Kalid, il ne faut pas ennuyer les gens, ni que ce soit trop lourd ou trop formel.
Les militants et amis qui participeront à la table ronde pourront manger gratuitement sur place (un couscous leur sera servi) et ainsi rester pour enchaîner sur la grande soirée ouverte à tous, qui commence à 20 h.
Quant au concert, il sera assuré par l’Ensemble Al OUNS, amis de l’ATMF, qui interviennent dans d’autres sections et sont eux-mêmes militants. Ce sont d’excellents musiciens par ailleurs. Leur répertoire est, pour partie, un répertoire de chanteurs classiques arabes et, pour partie, un répertoire plus léger de Raï (plutôt algérien, moderne, expression des jeunes d’aujourd’hui) et de « chabi » ( "populaire " en Français), qui existe partout au Maghreb, depuis longtemps et qui raconte des histoires.
La thématique choisie est « L’apport des associations issues de l’immigration à la société française »avec la participation de nos partenaires associatifs, institutionnels et politiques qui parleront de leur expérience et témoigneront comme ils le veulent,explique le président, dans l’entretien qui suit :
Dernier entretien avec Nacer El Idrissi, président de l’ATMF d’Aix et membre permanent de l’ATMF nationale.
Nacer, qui partage son temps entre Aix et Paris, est heureux de ce trentième anniversaire.
Il représente notre résistance, dit-il avec détermination : nous sommes restés combattifs, malgré les difficultés :
- les problèmes imputés à l’immigration,
- la crise
- le racisme.
Nous avons su rester mobilisés et acteurs de terrain. Personnellement, je suis à l’ATMF depuis 1992. Trente ans, ça fait un âge. Cet anniversaire va nous donner envie de continuer notre combat pour l’égalité des droits, pour notre travail de proximité, autant au niveau local que national. L’association nationale est composée de 18 associations, L’ATMF d’Aix est une des plus anciennes. (En effet, L’ATMF nationale a fêté ses trente ans l’année dernière.)
Pour notre anniversaire, nous allons honorer l’ un des premiers membres fondateurs de notre association locale, qui sera avec nous : M. AMARA BAGDAD
L’idée, c’est qu’il n’y ait pas de conférence débat. On va présenter notre association et nos partenaires qui parleront de l’apport d’associations comme la nôtre, issues de l’immigration.
L’essentiel est de faire la fête pour se ressourcer, échanger et repartir de plus belle. D’autant plus que nous avons du pain sur la planche avec
- La crise,
- Les nationalismes (repli sur soi, « c’est la faute de l’autre »),
- les problèmes dans nos pays d’origine et l’issue de leurs révolutions
- Le combat local (en France et en Europe)
- La solidarité avec les peuples qui souffrent, en particulier les Palestiniens.
Cent paroles souhaite un bon anniversaire à cette association toujours puissante dans son pouvoir d’agir et toujours aussi modeste.
[1] Manifestation relayée par Cent Paroles