Depuis sa création Cent Paroles se pose, en tant que petit média alternatif et indépendant, la question de son isolement
Pour en sortir, nous avons eu l’idée, dans un premier temps, d’organiser une fête pour nous faire connaître et rencontrer nos lecteurs. Puis a germé en nous l’idée beaucoup plus intéressante de l’organiser, non pas seuls, mais avec les autres médias indépendants de la région.
Quelle ne fut pas notre joie de voir un assez grand nombre de ces médias répondre à notre appel et se joindre à nous lors d’une réunion commune le 22 février 2012. Cette réunion fut un bonheur : voir des personnes poursuivre tout à fait les mêmes buts que nous, avec la même éthique d’indépendance, d’expression démocratique et échanger avec elles sur les difficultés communes rencontrées dans la réalisation de ces objectifs, nous a fait chaud au cœur. Et du même coup, comment ne pas se reposer la question, dans l’après-coup, de notre isolement ? Ces médias géographiquement et politiquement si proches de nous, comment avions-nous pu ne les connaître que de nom, que de loin, sans avoir jamais collaboré avec eux, alors que notre équipe est composée majoritairement de vieux militants aixois ?
Une occasion peut-être de méditer ces paroles de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot à la fin de leur livre « Le président des riches »[1] :
« Il faut faire des riches notre exemple. Leur puissance est due à leur solidarité. Elle est leur atout essentiel dans cette guerre des classes qu’ils sont en train de gagner. Une solidarité fondée sur la communauté des intérêts de ceux qui composent la classe, au-delà des concurrences marginales et des rivalités secondaires. Voilà de quoi inciter les vraies forces de gauche, multiples et divisées, à devenir unies et conquérantes. Autant d’inégalités et d’injustices ne peuvent être abattues sans créer une force homogène offensive. »
Cette fameuse réunion du 22 février 2012 fut riche en informations et enseignements de toutes sortes
En se présentant, « Cent Paroles » a proposé des axes de réflexion en fonction de son propre questionnement et chacun des médias s’est présenté à son tour, en suivant volontiers ces mêmes thématiques assez ouvertes pour nous occuper encore longtemps, en particulier pendant les tables rondes que nous organiserons pour la fameuse fête…
- l’indépendance, son importance, ses exigences et ses limites,
- le métier de journaliste (comment l’exercer quand on n’est pas un professionnel ?)
Sébastien Boistel a présenté ensuite son journal le « Ravi’ , un mensuel qui a maintenant bientôt 10 ans et qui réussit à assurer son équilibre budgétaire. Grâce à cet équilibre, non seulement le journal est indépendant, mais encore il a pu embaucher 3 personnes sur des contrats aidés. Leur journal couvre 3 départements le 13, le 83 et le 84. Sébastien par exemple, qui a travaillé autrefois 10 ans au journal l’Humanité, s’occupe du 13, de Marseille et surtout d’Aix où il « trouve beaucoup de choses intéressantes à raconter en matière de politiques économique, sociale et culturelle ».
Sébastien témoigne que, lorsqu’ils ont eu vent de la renaissance de Cent Paroles au Ravi, leur réponse a été tout de suite « oui à une fête des médias indépendants en région Paca. « Notre souhait, dit-il, est de voir aussi comment on peut fédérer les différentes publications. Le Raviest avant tout un jounal-papier, mais il a aussi un site Internet alimenté de plus en plus régulièrement pour des informations rapides et urgentes » (l’accès en est gratuit). Le Ravi est avide de liens avec les autres et à déjà fait cette démarche avec rue 89 Marseille (quand il était là) et Médiaspart (avec Louise Fessard) sur la région.
Comment le Ravi arrive-t-il à s’en sortir financièrement ? Son point fort, ce sont les abonnements et les ventes (par les réseaux associatifs et aussi au cours des débats).
Ils gagnent aussi un petit peu d’argent avec des publicités culturelles et institutionnelles qu’ils acceptent avec beaucoup de vigilance par rapport à leur politique éditoriale. Quant aux subventions, elles ne leur viennent que de leur travail (voilà qui est courageux, non seulement d’exercer ce métier difficile de journaliste, mais encore de travailler ailleurs et en plus, pour qu’il soit rendu possible dans des conditions déontologiques acceptables !). Ils organisent des ateliers de presse dans les lycées et les collèges sur les thèmes suivants :
- Qu’est ce qu’un journal ?
- Qu’est ce qu’un journal indépendant ?
- Qu’est ce que la liberté de la presse ?
Certains de leurs ateliers consistent aussi à aider les élèves à réaliser un journal.
C’est par ce biais qu’ils obtiennent des subventions du Conseil Régional et du Conseil Général.
Leur budget se répartit donc de la façon suivante : plus de 50% de leurs entrées proviennent de leurs ventes, 30 à 40 % proviennent des subventions (le reste provient des contrats aidés).
Leur situation financière est plus ou moins tendue, mais ils ne sont pas endettés. Ils cherchent des partenariats avec des « associations relais» du Ravi et des abonnements avec ces mêmes associations qui leur font d’ailleurs remonter de l’information.
Sébastien est employé à temps plein et voit régulièrement les associations des différentes villes. Le Ravi est basé à Marseille, terrain qu’il connaît le mieux. Il emploie des dessinateurs pigistes et les autres sont des journalistes. Pour obtenir des informations, le Ravi organise des tribunes libres ouvertes aux associations, qui viennent exprimer leurs problèmes. Ils ont des partenariats avec des radios, par exemple avec Radio Grenouille ; avec une autre radio, ils participent à une revue de presse depuis le début de l’année ; ils ont aussi maintenant un temps de parole régulier sur Radio Zinzine.
Le deuxième média à prendre la parole fut O2zone par la voix de Jean-Marie Carlier : une télévision associative et participative, libre et indépendante avec 2 antennes, une à Aix et une à Salon-de-Provence. Elle s’est créée à partir des centres sociaux. Jusqu’à maintenant elle émet sur le net, mais à partir de septembre, elle émettra sur le câble, avec une diffusion plus régulière.
. Dans un prochain article consacré à O2zone, nous vous parlerons des difficultés financières qu’ils ont à effectuer ce passage. Une télévision offre un moyen de participation citoyenne beaucoup plus importante, comme nous l’expliquera a une autre réunion, et plus en détail, Antoine Dufour, responsable de ce média. Aujourd’hui, c’est sur des plateaux qu’O2zone se retrouve le mieux et le plus souvent, en s’exprimant de plus en plus en direct.
S’en est suivie, par la voix de Wladimir Cerda, la présentation de Radio Zinzine Aix qui existe depuis 1998 (via l'association Aix Ensemble créee en 1997) soit depuis 14 ans. Wladi réaffirme son envie de collaborer avec Cent Paroles et son offre d’un créneau tenu à la disposition de notre média dont personne ne s’est servi jusque-là.
Cette radio aujourd’hui n’as plus qu’un seul salarié (trois ont été licenciés) mais plus de 50 bénévoles. Depuis 6 ans, le bilan financier s’équilibre grâce à des dons. La radio émet d’Aix jusqu’à Briançon et sur Internet. Wladi insiste : « il faut remplir l’espace Cent Paroles, le monde associatif nous manque ainsi qu’une ligne rédactionnelle de ce style. Il y aurait un espace entre 18 h à 19 h avant les infos et les émissions peuvent être préenregistrées ». Et à Cent Paroles, nous sommes très touchés de cette invitation. *En fin d’article, nous revenons sur Radio Zinzine.
Thierry Michel vient à son tour nous présenter la Fédération des Vidéos des Pays et des Quartiers (VDPQ). C’est une fédération nationale dont nous apprenons que le siège est à Aix et les fondateurs Aixois (que de richesses dans notre belle ville d’Aix !). Cette fédération défend un audiovisuel de proximité. On trouve des télévisions associatives sur toute la France. La fédération organise des rencontres, elle forme ses bénévoles, conseille les porteurs de projets. « La raison pour laquelle les télévisions associatives ne diffusent que sur le Web et pas sur la télévision herzienne, nous explique Thierry, est que le CSA a refusé toute autre chose car c’est la fiabilité économique seulement qui l’intéresse » (voir www,vdpq,org). Cette fédération est apparue au milieu des années 70 avec l’arrivée des vidéos légères et le mouvement des centres sociaux, MJC etc. Ces deux milieux arrivent ensemble à la télévision participative (par l’intermédiaire des professionnels qui connaissent les milieux associatifs). Dans le 13 il y a 9 adhérents, dont O2zone, Airelles Vidéo, Anonymal, Opsy-video, Tabasco-video (au Panier à Marseille) Les Têtes de l’art (à la Belle de Mai). Sur le plan financier, cela va de structures totalement bénévoles jusqu'à des structures à budget de 300 000€ par an (« ce qui représente très peu pour une télévision, mais cela permet de faire quand même quelque chose »). 60% des entrées proviennent des collectivités, 40% arrivent par des prestations, et certaines structures ont des sponsors. Les villes, les Conseils Généraux, les Conseils Régionaux financent, mais quand il s’agit de politique, il y a des risques (voir les ennuis qu’a rencontrés Anonymal à Aix, qui s’est vu supprimer drastiquement des subventions pour n’avoir pas été conformes à ce que l’on attendait d’eux). « L’indépendance se gagne tous les jours, affirme Thierry. Notre démarche est d’aller voir les élus et de leur expliquer que le développement local et la participation citoyenne ne sont pas forcément des contre-pouvoirs mais avant tout la possibilité pour chacun de s’exprimer. « Parfois ça marche, mais parfois il y a des retours de bâton ». Les financements sont accordés souvent dans le cadre des développements de la ville et de la région : des financements transversaux se font plus sur des projets. Jusqu'à il y a plus de deux ans maintenant la fédération était bien soutenue par le ministère, après elle a été de plus en plus précaire : il n’y a qu’un seul salarié, lui-même, Thierry Michel.
Tout est parti de l’expérience d’Air Bel (2003-2004) il y a donc 10 ans. (« quartier de Marseille très défavorisé » précise Jean Marie Carlier). L’équipe qui était à Air Bel s’est déplacée ensuite à Salon et a crée l’association O2zone qui donne la possibilité d’avoir un outil d’expression. À partir de là beaucoup de centres essaiment et beaucoup d’associations adhèrent à VDPQ. Il n’y a pas de ligne éditoriale, mais un socle, une charte des valeurs, avec une grande vigilance de leur part afin que ce socle soit respecté.
Le principe d’adhésion à la fédération est d’être parrainé par deux associations et d’adhérer à la charte des valeurs. Chaque association à aussi sa charte.
Marielle Gros, qui fait partie aussi des fondateurs de cette fédération, prend la parole au nom de son propre média Airelles Vidéo. Ce média vient des revendications des femmes des années 80. Il s’agit d’une production audiovisuelle à la marge. Ce média travaille beaucoup avec des associations, des jeunes et à la fac. Il y a des croisements avec les problèmes sociaux. On traite du handicap, de la question des frontières. Il y a des catalogues d’archives. (Marielle donne l’exemple d’un film tourné en 96, un des premiers films sur les femmes sans-papiers à Marseille).
Aux autres réunions nous ont rejoints Radio Galère et Anonymal, sur qui nous pourrons compter aussi, ainsi qu'Antoine Dufour, principal responsable d'O2zone
Notre collaboration dans l’avenir
À l’issue de cette réunion passionnante, les participants commencent à réfléchir à ce que va être cette fête des médias indépendants de Paca dont nous vous parlerons largement à la rentrée. (Retenez déjà la date du samedi 13 octobre 2012, au CREPS) Mais notre collaboration ne s’arrêtera pas là et tous s’accordent à penser qu’il faut mettre en marche notre collaboration qui prendra la forme, avant la fête, de micro évènements en commun. Depuis nous nous sommes revus une fois par mois et nous avons mis en place ces micros évènements.
Pour ce qui concerne Cent Paroles, nous avons organisé plusieurs émissions avec Radio Zinzine :
1 - Une présentant Cent Paroles et le Repaire du Pays d’Aix (co-rédacteur de Cent Paroles) avec une invitée que nous avions fait venir l’an dernier conjointement avec plusieurs associations de Cent Paroles (Attac, l’Université Populaire et le Repaire du Pays d’Aix) : Marie Louise Duboin rédactrice en chef d’un journal-papier national complètement indépendant «La Grande Relève», voir notre article : un journal pas comme les autres
http://blogs.mediapart.fr/edition/cent-paroles-d-aix-journal-local-alternatif/article/070512/un-journal-pas-comme-les-aut
2 - Une autre présentant Cent Paroles et ses nouveaux partenaires médias indépendants ainsi que le projet de la fête.
3 - Une dernière au Repaire du Pays d’Aix où Radio Zinzine est venu enregistrer la présentation (par Vincent Guillot) et le débat sur l’intersexualité. Ce sujet nous a touchés, voire bouleversés et Radio Zinzine en fera une très belle émission.
Et Cent Paroles a aussi écrit, à la demande du Ravi, une tribune présentant la Fête des Médias Indépendants, qui paraîtra en septembre dans ce journal.
Les choses ont donc beaucoup avancé. Non seulement nous allons organiser cette fête ensemble, non seulement nous coopérons sur de multiples évènements avant cette fête, mais encore et surtout, nous allons réunir toutes nos forces pour *défendre Radio Zinzine, qui risque de mourir à la fin du mois d’août (car il risque de perdre son studio fixe). Nous avons appris cela au début de l’été et un Collectif de défense de Radio Zinzine est en train de se créer, avec la collaboration de Cent Paroles et beaucoup d’autres, nous allons continuer à vous tenir au courant de cette résistance et de ce combat. Restez vigilants, ne manquez aucun de nos articles !
[1] Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Zones, Éditions la Découverte, Paris, 2010