A l'issue des 11èmes Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence qui se sont tenues du 8 au 10 juillet 2011 sur le thème « Le monde dans tous ses États », le Cercle des Économistes a publié, comme il est de tradition, une déclaration finale1 que l'on pourrait titrer « l'État, le retour ? »
Un État pourquoi ?
La réponse est simple : parce que l'État est la seule entité à détenir la capacité « d'appliquer des règles sur un territoire donné par l'usage de la force. »2. Traduit en langage du Cercle des Économistes cela devient : « il est possible de réformer l'État et de concilier interventionnisme public et redressement budgétaire, tout en faisant accepter ces changements par les populations »3.
La sauvegarde du système de domination par la finance et par l'argent a un prix :
- l'austérité généralisée : « dans les pays développés, la réduction des déficits publics va entraîner mécaniquement une baisse du revenu disponible moyen des ménages....... Dans le débat sur l'évolution de la protection sociale il faut donc réintégrer l'urgence qu'il y a à protéger les 20% des revenus les plus faibles »,
- un « État providence » pour les marchés financiers, les banques, et le CAC 40 : « il faut mettre en place une assurance publique contre les risques systémiques. L'investissement de long terme doit associer privé et public par un mécanisme au sein duquel la prise de risque « catastrophe » est prise par l'État.... »
Le Cercle des économistes souhaite « voir se dessiner un équilibre entre les États, les organisations internationales, les marchés et les sociétés civiles plus harmonieux et davantage porteur de croissance durable »4.
On peut être quelque peu surpris de voir mettre sur un pied d'égalité, d'un côté les États et les institutions internationales, de l'autre les marchés qui agissent en toute indépendance pour les intérêts des plus riches et les sociétés civiles qui subissent le poids de la dictature des marchés.
Réformer l'État mais par quel processus ?
Au niveau mondial installer le G20 comme instance de coordination économique mondiale et le FMI comme banquier central.
Au niveau européen rien à changer sinon créer un poste de ministre européen des finances et investir le FMI (« seule autorité neutre et compétente ») de la fonction de notateur des États.
Au niveau national austérité et intervention de la puissance publique au profit des entreprises.
Et la démocratie dans tout ça ?
Le G20 n'a aucune légitimité. Composé de 20 pays parmi les plus riches au mépris de tous les autres, il s'est autoproclamé garant de la stabilité économique et financière mondiale au lendemain de la tempête financière de 2008, mais n'a en rien protégé les peuples de cette grande crise. Au contraire, il a maintenu la dictature de la finance.
Le FMI dominé par les États-Unis (qui avec 17% des droits de vote peuvent bloquer à eux seuls toute décision de l'institution) a généré depuis des décennies les politiques criminelles d'ajustement structurels dans les pays en développement particulièrement en Afrique et en Amérique latine. Il y a tout lieu de se défier de ce Diafoirus qui, on le voit avec le cas de la Grèce, entend appliquer des remèdes de même nature à toute la planète.
Au niveau européen, on sait comment sont systématiquement bafoués les votes des peuples notamment le vote des français contre le Traité Constitutionnel Européen.
Enfin, au niveau national, Nicolas Sarkozy a été, est, et restera « le président des riches »6. Dans le système politique français actuel l'État est au service d'une oligarchie dominante. C'est une démocratie dévoyée qui s'est installée.
Le Cercle des Économistes semble étranger à ces préoccupations. En fait la crise étant la norme, l'objectif permanent est de sauver le système avec des aménagement à la marge en restant, en ces temps préélectoraux sarko-socialo compatible. Presque rien ne change et c'est « globalement positif » .... pour une classe dominante.
« En tout état de cause, on peut penser que nous sommes plongés dans une situation nouvelle, celle d'un mode d'organisation et de gestion des économies mondiales plus adaptée au caractère imprévisible du fonctionnement des marchés. »7
Pour qui roulent les Rencontres économiques d'Aix en-Provence ?
« Festival d'Aix : la rencontre de l'art et des affaires » titre le supplément gratuit des Échos du 8-9 juillet 2011 « SPÉCIAL AIX-EN-PROVENCE FESTIVAL D'ART LYRIQUE - LE CERCLE DES ÉCONOMISTES ».
« Cela ressemble à une université d'été du patronat, l'opéra en plus »déclare Christophe de Baker, Directeur Général de HSBC France qui dit par ailleurs « Ces débats orchestrés avec le soutien de 42 grandes entreprises, et animés par des personnalités issues des sphères politiques, économiques,médiatiques transforment Aix en un « Davos provençal ».
Donc la démarche des « rencontres » est sans ambiguïté au service du grand patronat.
Et l'organisateur de ce service est le Cercle des Économistes associé à l'Université Paul-Cézanne. Chacun y trouve vraisemblablement un bonus de notoriété.
Le « cercle » est communément présenté comme un aréopage de brillants professeurs dans les plus brillantes institutions d'enseignement françaises : École Polytechnique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ou Paris Panthéon-Assas ou Paris-Dauphine, École Normale Supérieure, École d'Économie de Paris, Sciences Po Paris, HEC .......
Mais les compétences de ces « universitaires » ne se limitent pas à l'enseignement. En effet un certain nombre d'entre eux sont des employés de banque. Ainsi Patrick Arthus est Directeur de la Recherche et des Études de Natixis, Jean-Paul BETBÉZE Chef économiste & Directeur des Études Économiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA, Laurence BOONE Chef économiste chez America Merrill Lynch, Anton BRENDER Chef économiste de Dexia Asset Management, Jean-Hervé LORENZI Conseiller du Directoire de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, Président du Conseil de Surveillance de la Société Edmond de Rothschild Private Equity Partners, Olivier Pastré Président de IMBank (Tunisie) qui a des « références significatives en matière de privatisation » notamment « quatorze mandats vendeurs de conseil au gouvernement pour des opérations de privatisation »8 sous la dictature de Ben Ali, .......
Et nous ne nous attarderons pas sur les membres de conseils d'administration divers : Total, IPSOS, Pineau-Printemps-Redoute.......
Quant à l'Université Paul-Cézanne elle présentait lors de la cérémonie d'ouverture des « Rencontres » le vendredi 8 juillet 2011 les nouveaux projets et partenaires de sa« Fondation Universitaire » :
- La Caisse des Dépôts et Consignationsqui devient membre fondateur de la Fondation au travers d'une chaire « Innovation et brevet »et d'un master II « Droit et économie de l'innovation de la recherche et des brevets ».
- La Caisse d'Épargne Provence-Alpes-Corsequi devient le 2ème membre fondateur avecla mise en place d'une chaire d'excellence intitulée « Banque et développement », centrée sur des problématiques locales de nature démographiques et économiques.
- Le Crédit Agricole Alpes-Provencequi travaille à un projet de chaire« Banque mutualisme et relations interpersonnelles »visant à analyser les valeurs du mutualisme dans le domaine bancaire.
- L'entreprise Véolia qui se prépare à devenir membre fondateur avecun projet de chaire pluridisciplinaire.... celui dela gestion de nos ressources en eau.
Une préfiguration de l'université de demain au service des entreprises et des banquiers ?
Le Festival d'Aix en Provence est-il lui même la vitrine d'un modèle économique dans lequel les entreprises jouent un rôle important en matière de financement. Vont-elles en contrepartie imposer la présence de leurs logos, leurs dirigeants, leurs invités ..... ? Est-il si éloigné le temps du Festival « VIVENDI » d'Aix en Provence ? Avec les noms des sponsors sur les costumes des artistes, comme on le fait sur les maillots des footballeurs ou des cyclistes professionnels ?.
Ne sombrons pas dans la caricature. Force est de reconnaître que le montage de spectacles d'opéras rassemblant des vedettes internationales est un exercice complexe qui nécessite de mobiliser des capitaux et des talents d'origine diverses. De plus le festival est une PME qui emploie des salariés à temps plein toute l'année. Mais si les mécènes privés apportent environ 17 % des 20 millions d'€ du budget du festival, il ne faudrait pas, pour autant, oublier que les collectivités publiques (État, région, département, communes), c'est à dire les contribuables, y participent pour plus de 30%. Et s'il y a tentative d'ouverture du festival à des publics plus populaires il ne faut pas y voir un signe de la grandeur d'âme du président du festival (PDG de la banque Lazard) mais un juste retour des choses.
En conclusion ces « rencontres de l'art et des affaires », ce « parallèle entre exigence artistique et exigence intellectuelle » (ainsi que le déclare modestement Jean Hervé Lorenzi dans le supplément des Échos), sont révélatrices du pouvoir qu'entendent s'attribuer les puissances financières et économiques sur l'ensemble des activités humaines, de l'économie et de la politique mais aussi de l'art et de la connaissance.
1 http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr/IMG/pdf/Declaration_finale_Aix_2011.pdf
2 Francis Fukuyama d'après le résumé par Luc Alain de la séance inaugurale http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr/spip.php?article498
3 La déclaration finale complète du Cercle des économistes, qui a conclu les Rencontres Économiques d'Aix‐en‐Provence 2011
4 ibidem
5 Les États-Unis sont le contributeur principal du FMI, et possèdent ainsi 16,79 % des droits de vote. L'Union européenne possède 32,1 % des droits de vote. Les 10 premiers pays, qui représentent plus de 50 % du PIB mondial, ont la majorité des droits de vote alors que le FMI compte 185 pays membres.
6 Lire « Le président des riches. » de Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot Parution : 09/09/2010 Édition revue et augmentée septembre 2011
7 Hervé Lorenzi Président du Cercle des Économistes dans « Les Échos SPÉCIAL AIX-EN-PROVENCE FESTIVAL D'ART LYRIQUE - LE CERCLE DES ÉCONOMISTES » supplément gratuit au numéro 20970 Vendredi 8 et samedi 9 juillet 2011
8 http://www.immbank.org/privatisation.php