La Cour d’appel de Szeged, la grande ville du sud de la Hongrie, proche de la frontière serbe, a livré son verdict définitif ce jeudi peu avant midi. Ahmed Hamed, un homme syrien et chypriote, a été une nouvelle fois condamné à des charges de terrorisme. Il a reconnu avoir jeté des projectile sen direction des forces de l’ordre lors d’une émeute avec des migrants à la frontière serbo-hongroise en septembre 2015. Cette lourde charge représente une défaite pour la défense qui voulait requalifier les faits en « tentative d’agression sur personne dépositaire de l’autorité publique ».
Pour le reste, le verdict rendu ce jeudi est une victoire pour Ahmed Hamed et ses nombreux défenseurs, mobilisés par l’ONG Amnesty International. Condamné en première instance à l’automne 2016 à dix années d’emprisonnement, sa peine a été revue un peu à la baisse en appel, en mars dernier, condamné à sept années de prison. Avec ce nouveau verdict de cinq ans d’emprisonnement, dont il a déjà effectué trois années en préventive, il pourra théoriquement sortir aux deux-tiers de sa peine, donc au début de l’année 2019.
« Je ne suis pas un terroriste. J’ai quitté ma maison à cause des terroristes. Ma famille a quitté la maison pour les mêmes raisons. […] Je ne suis pas extrémiste, ma femme est chrétienne », a dit Ahmed Hamed dans sa dernière déclaration avant le verdict de la Cour d’appel. « Je sais que j’ai commis un crime, mais je ne suis pas un terroriste, j’étais en colère et je suis vraiment désolé. Je voudrais présenter mes excuses à la police. […] Je demande à la Cour de me juger pour ce que j’ai fait. »
Une pétition de plus de cent mille noms déposée par Amnesty
Amnesty International, qui alerte depuis plusieurs années sur le sort réservé au condamné, a remis, mardi, au ministère de la Justice une pétition comportant 109 000 signatures, recueillies dans 163 pays, demandant sa remise en liberté. Face à la presse, son porte-parole en Hongrie, Áron Demeter, a insisté auprès de la presse : « Ahmed H. n’est pas innocent, c’est une infraction délibérée que d’avoir jeté des pierres, cela peut être jugé comme une tentative de violence contre une personne dépositaire de l’autorité publique. » Mais pas comme du terrorisme.
Ahmed Hamed a-t-il eu droit à une Justice indépendante des pressions politiques d’un gouvernement qui divise désormais le monde entre pro et anti-immigration ? Nombreux sont ceux qui en doutent, à commencer par le porte-parole d’Amnesty en Hongrie, interviewé par Le Courrier d’Europe centrale : « le Premier Ministre Viktor Orbán ne cesse de déclarer depuis les attaques de Charlie Hebdo que l’ensemble des migrants et réfugiés venant en Europe sont des terroristes. Du coup, c’est plutôt pratique pour le gouvernement de pouvoir enfin présenter un terroriste en Hongrie. Nous avons donc l’impression qu’Ahmed H est un bouc-émissaire ».
Le ministre de la Justice, Lászlo Trócsányi, s’offusque systématiquement de cette accusation : « en Hongrie, les tribunaux sont indépendants, ni le gouvernement ni aucune autre organisation ne peuvent intervenir dans la prise de décisions ». Dans un communiqué, il développe : « Nous sommes choqués par cette demande de libération d’un terroriste qui a joué un rôle clé dans l’attaque de Röszke, de la part d’Amnesty International, connue pour soutenir les activités d’immigration. Cette organisation exerce une pression non seulement sur les tribunaux hongrois indépendants, mais aussi sur la protection de la frontière hongroise. »
La "bataille de Röszke"
Les faits reprochés à Ahmed Hamed remontent à septembre 2015. Le 15, le gouvernement de Viktor Orban avait fait sceller sa frontière avec la Serbie pour bloquer le flux des migrants sur la « Route des Balkans ». Une foule s’était amassée le long des barbelés dans les heures suivantes. Quelques dizaines d’hommes s’en étaient pris aux forces de l’ordre en lançant des projectiles en leur direction, échaudés par la tension latente et par des déclarations de la chancelière allemande Angela Merkel interprétées trop rapidement comme des laisser-passer. Retranchées de l’ordre de l’autre côté de la barrière, celles-ci avaient répliqué avec des gaz lacrymogène et des canons à eau, blessant légèrement une centaine de personnes. Dans la confusion, plusieurs dizaines de personnes avaient réussi à pénétrer sur le territoire hongrois, dont Ahmad. Il sera arrêté plusieurs jours plus tard à Budapest, en possession des passeports de ses proches, ce qui sera abondamment présenté dans la presse pro-gouvernementale comme la preuve que la police tient un terroriste.
Le Courrier d'Europe centrale a publié une dizaine d'articles sur cette affaire depuis l'automne 2015. Vous pouvez les retrouvez ici.