Billet de blog 2 mars 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien autour de la 11e édition de Ciné-Palestine Toulouse Occitanie

La 11e édition de Ciné-Palestine Toulouse Occitanie se déroulera du 3 au 11 mars 2025. Pour présenter cet événement, Samir Arabi, responsable de la programmation, et Colette Berthès, membre du comité de sélection, responsable des relations presse et intervenante, mettent en valeur la singularité du festival et ses engagements quant à la réalité actuelle des Palestiniens et Palestiniennes.

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Cédric Lépine : Pouvez-vous rappeler le contexte de la naissance de ce festival de cinéma à Toulouse ?

Samir Arabi : En 2013, la Compagnie Ici, Là-Bas et Ailleurs a souhaité organiser un événement cinématographique orienté principalement sur la Palestine et son cinéma. Le succès de la première édition en 2014 nous a encouragé à poursuivre l’aventure.

C. L. : Depuis 11 ans, comment a évolué le festival pour devenir ce qu'il est à présent ?

S. A. : Ciné-Palestine Toulouse Occitanie a développé un important réseau de partenariats à Toulouse et en région. Je pense en particulier à la cinémathèque de Toulouse. En Palestine, nous avons tissé des liens en Cisjordanie avec les milieux universitaires comme l’Université Dar Al Kalima, institutionnels comme l’Institut du film palestinien et ONG (Shashat). Nous sommes également en relation à Gaza avec des artistes plasticiens, des photographes et des cinéastes.

Le début a été marqué par les films des cinéastes palestiniens mondialement connus (Hany Abu -Assad, Rashid Masharawi, Mai Masri, etc.). Nous avons par la suite réservé une place de choix à la nouvelle génération de cinéastes (Farah Nabulsi, Muayad Alayan, Maha Haj, etc.), aux jeunes cinéastes (Ammen Nayfeh, etc.) et aux étudiants du cinéma.

C. L. : Entre la programmation des films, les expositions photo, les rencontres avec les équipes des films, les interventions d'universitaires sur les séances, comment se construit une édition aussi foisonnante ? Avec quels objectifs ?

S. A. : Nous sommes bouleversés par la situation en Palestine et en particulier pas la tragédie de Gaza. Il était à nos yeux nécessaire de consacrer une partie importante de notre programme à Gaza.

Outre l’exposition Gaza, vie quotidienne dans les décombres du photographe Hussein Jaber, nous proposons un itinéraire cinématographique autour de Gaza. Voyage à Gaza de Pierro Usberti permet de mesurer l’étouffement de la jeunesse vivant dans une situation de blocus. Vibrations from Gaza de Rehab Nazzal offre un aperçu des expériences douloureuses des enfants malentendants à Gaza. Upshot de Maha Haj aborde délicatement une situation post-traumatique née de la guerre. From Ground Zéro est composé de 22 courts métrages. Ce documentaire « a vu le jour en partant du constat que la parole des Gazaouis est difficilement audible, qu’il est nécessaire d’avoir des traces de ce qui est vécu pour que la mémoire soit conservée, que l’histoire de l’occupation de la Palestine ne puisse être réécrite sans prendre en compte celle des Palestiniens et particulièrement ceux de Gaza. » Le focus sur Gaza permet aussi d’entendre les paroles de Mahmoud Darwich Silence pour Gaza.

Notre objectif est de faire découvrir l’incroyable vitalité de la création artistique et culturelle palestinienne et tout spécialement de son cinéma. Un cinéma de témoignage, un cinéma de combat mais aussi un cinéma qui touche à l’universel et aux valeurs de notre commune humanité.

C. L. : Alors que le discours politique à la tête des institutions, notamment à l'Assemblée nationale et au sein du gouvernement, devient ouvertement et sans complexe palestinophobe depuis le 7 octobre 2023, comment le festival s'est positionné pour faire vivre un message de tolérance et de soutien face aux populations opprimées ?

Colette Berthès : En organisant Ciné-Palestine Toulouse l’association Cilba se situe, depuis ses débuts, sur le plan du cinéma avec des clins d’œil vers d'autres formes artistiques. Nous pensons que la culture construit des ponts entre les individus et les civilisations ; dans le cadre de cet événement, nous relayons et faisons connaître les témoignages des cinéastes palestiniens sans porter une volonté autre que celle du soutien à leur combat qu'ils ou qu’elles ont choisi de mener dans le domaine culturel.

En conclusion, malgré ou en raison des événements tragiques qui se déroulent et s'amplifient, le public vient de plus en plus nombreux, prêt à échanger, discuter. Nous souhaitons ainsi que les messages des cinéastes palestiniens ou proches des Palestiniens rencontrent de plus en plus d'écho.

C. L. : Quel regard avez-vous sur la difficulté à faire connaître la réalité de la Palestine en dehors des médias dominants en France ?

C. B. : Les médias dominants déforment la réalité ou plutôt n'entendent en général qu'un son de cloche ! Ils sont proches, quoi qu'il arrive, d'Israël (et les journalistes ou chroniqueurs pensant un peu différemment sont bridés ou menacés). Nous ne passons pas par eux car il n'y a aucune chance qu'ils aient même un peu d'attention pour nous – si on parle là des grands journaux, télés, radios. Il reste les médias alternatifs, les radios associatives, Internet, les divers réseaux, etc.

Faire connaître la réalité palestinienne et ses artistes, c'est un travail artisanal, qui se fait petit à petit et toute l'année d'où aussi Ciné Palestine hors saison.

C. L. : Quelles sont les activités du festival à l'année ?

S. A. : Nous avons développé Ciné-Palestine Toulouse Occitanie Hors Saison. Nous accompagnons la sortie de nouveaux films et répondons aussi aux demandes des associations et/ou des salles de cinéma qui souhaitent programmer des films palestiniens ou sur la Palestine durant l’année.

Pour la période 29 septembre 2023-6 juin 2024, nous avons organisé 12 projections à Toulouse et dans la région.

C. L. : Avez-vous une idée du public qui compose le festival qui s'est nourri et élargi chaque année et de ses attentes ?

S. A. : Nous n’avons pas réalisé une enquête sur la composition du public et de ses attentes.

Notre public est composé de personnes sensibles à la situation en Palestine, des cinéphiles, des jeunes (lycéens, collégiens, étudiants, etc.), des habitants des quartiers populaires.

Nous avons remarqué lors de la 10e édition, le désir du public de découvrir la culture palestinienne, accompagné, pour beaucoup, du besoin de se retrouver solidaire dans les moments dramatiques que vit le peuple palestinien.

Les salles de cinéma ont souvent affiché complet autant à Toulouse qu’en région. La fréquentation en 2024 était en hausse de 56 % par rapport à 2023.
C. L. : Comment le festival s'est enraciné dans les dynamiques de territoire et la réalité sociale propre de Toulouse ?

C. B. : La ville de Toulouse nous a soutenue dès le début et la région et le département ont suivi. Ciné-Palestine Toulouse Occitanie a pris sa place parmi les divers festivals de cinéma qui scandent l'année culturelle.

Quant à la réalité sociale de Toulouse, nous avons su y faire une petite place, maintenant solide, en faisant migrer Ciné-Palestine Toulouse Occitanie vers divers quartiers de la ville et en dehors dans la zone du Grand Toulouse en lien avec divers partenaires : associations, cinémas, écoles, lieux culturels, médiathèques, salles de spectacles, etc.

C. L. : Quelles sont les orientations choisies pour mettre en valeur le public jeune et scolaire ?

S. A. : Aller vers le public jeune et scolaire est important pour nous. À titre d’exemple, nous organisons depuis 2014 des rencontres et master-class avec les élèves du Lycée des Arènes de Toulouse.

Nous avons organisé de nombreuses projections destinées aux élèves des collèges.

Pour la 11e édition, nous avons initié un nouveau partenariat avec le Centre Municipal des Arts du Cirque, le Lido. Elle prendra la forme d’un Ciné-Cirque.

Nous envisageons de réserver dans notre programme lors de la prochaine édition une section spéciale pour le jeune public.

C. L. : Face aux réductions budgétaires drastiques touchant actuellement l'ensemble du monde de la culture, quelle stratégie avez-vous mise en place pour maintenir la qualité et l'exigence du festival ?

S. A. : Il convient de rappeler que l’équipe est composée entièrement de bénévoles. Une équipe dévouée et déterminée. Elle a su enrichir ses compétences.

Ciné-Palestine Toulouse Occitanie sera affecté durement par les réductions budgétaires et si la tendance actuelle se poursuit, cela risque de mettre en péril notre événement.

Nous avons été contraints de réduire les invitations des cinéastes qui résident à l’étranger. Nous avons eu recours aux compétences disponibles en France afin de préserver la qualité des interventions.

Nous avons parfois bénéficié de la générosité des distributeurs et cinéastes. Ils nous ont accordé un tarif spécial pour les droits de projections.

C. L. : Que faire selon vous du mécénat d'entreprises comme notamment BNP Paribas responsable actif du financement de l'armement militaire israélien à hauteur de plusieurs milliards d'eurs dans sa guerre colonisatrice contre la Palestine et génocidaire, comme l'a reconnu l'ONU, contre les Gazaouis ?

C. B. : Nous n'avons pas ce genre de mécénat et ne le recherchons pas. Bizarre d'ailleurs, ils ne nous ont pas approchés pour nous proposer de l'argent...


C. L. : Quels sont les temps forts de cette année ?

S. A. : L’exposition organisée à l’ENSAV Palestine : les journalistes pris pour cible nous tient à cœur. Elle est combinée avec la projection de deux courts métrages à l’ENSAV Shattered Memory et Out of Combat et une rencontre avec la journaliste palestinienne Arin Al Amleh

La journée de samedi est riche de rencontres avec Rami Abbas (Hide and Seek), Dima Hamdan (Blood Like Water) et Rashid Masharawi (From Ground Zero).

Le mardi 11 mars, nous réserve un moment particulier avec le film de Majdi El Omari Mar Mama et le remarquable documentaire d’Edward Said et Geoff Dunlop The Shadow of the West.

Le public toulousain aura le privilège de découvrir lors de la clôture mardi 11 mars le film de Farah Nabulsi The Teacher. Une projection unique avec une présentation vidéo par la réalisatrice.

Le programme complet : http://cine-palestine-toulouse.fr/programmation-e11/

C. L. : Qu'attendez-vous de cette nouvelle édition ?

S. A. : Rendre visible les Palestiniens à travers leur culture sous toutes ses formes, le quotidien de leur vie, autour de rencontres riches, et bien évidemment une fréquentation exceptionnelle.

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