Billet de blog 11 octobre 2022

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cinémondes 2022 : "Capitale parenthèse" de Nadia El Fani

La réalisatrice Al Fani qui s'apprêtait en mars 2020 à partir en Tunisie poser un regard rétrospectif sur les dix ans de la Révolution, se voit comme tant d'autres personnes assignée à domicile pour 55 jours. Dès lors commence une introspection personnelle autant qu'une observation fine du sens politique en temps de crise.

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Cinémondes, 18e du Festival International du film Indépendant de Berck-sur-Mer 2022 : Capitale parenthèse de Nadia El Fani

Il y a tout juste deux ans et demi s'est produit un événement majeur inattendu qui a bouleversé le rythme quotidien d'une société poussée à marche forcée vers la production intensive aux quatre coins de la planète et qui se retrouva du jour au lendemain dans une sensation de profond effarement figée dans le temps. En France, le retour à l'ordre après les remises en cause par les Gilets jaunes de la démocratie représentative éminemment jupitérienne s'est imposé avec une lecture martiale avec un président qui renouait de manière décomplexée avec la France de la peur et de l'inquiétude dirigée par le couvre-feu et des contrôles policiers généralisés par un maréchal sénile.

Illustration 1
"Capitale parenthèse" de Nadia El Fani © Les Films d'Ici

Contrainte à résidence, Nadia El Fani s'empare de sa caméra comme une prolongation de son être pour enregistrer et interroger le monde, qu'il s'agisse de ses plans pris des fenêtres de son appartement personnel au sixième étage dans une résidence située dans la capitale parisienne, les enregistrements radiophoniques en toile de fond, le rythme d'une création photographique par jour et les échappées belles dans ces quelques moments journaliers autorisés à descendre dans la rue. Nadia El Fani consacre intégralement son film à comprendre de l'intérieur ce que furent ces jours de confinement à travers une lecture analytique critique où elle puise dans les ressources narratives du cinéma, notamment Jean-Luc Godard et sa dystopie Alphaville (1965) comme lecture trouble d'une présence au temps. L'éveil des consciences politiques et de la dignité de la révolte intellectuelle prend la forme des mots d'Annie Ernaux dans un élan sans cesse de lutte contre une sidération collective. Elle invite également Brigitte Fontaine dans ses passages radiophoniques à poser un regard de révolte qui ne mâche pas ses mots sous couvert de politesse indigeste.

Alors que la forme de l'engagement de la cinéaste Nadia El Fani fait appel au collectif, elle va également puiser dans la forme de récit intimiste à la manière d'Agnès Varda pour saisir les petits éléments de son microcosme saisi en objectif macro et plonger dans une audacieuse introspection de son propre rapport au réel et aux personnes qui croisent son quotidien.

Il en découle une analyse critique du temps de l'effarement et de la sidération face au constat d'apnée de l'engagement politique où la réalisatrice se sert caméra au poing de son outil de travail pour comprendre le monde qui l'entoure.

Ainsi Capitale parenthèse de Nadia El Fani rejoint Retratos del futuro de la cinéaste argentine Virna Molina parmi les rares analyses politiques profondes du côté du cinéma de ce que fut la « parenthèse » confinée dont la société actuelle dominée par le déni porte encore les traces profondes.

Capitale parenthèse
de Nadia El Fani
Documentaire
70 minutes. France, Tunisie, 2022.
Couleur
Langue originale : français

Ave Nadia El Fani, Claudia Aglione, Nadou BenRachid, Vero Prost dans leurs propres rôles
Scénario : Nadia El Fani
Images : Nadia El Fani
Montage : Johan Folqué
Son : Nadia El Fani
Mixage : Karim Toukari
Production : Serge Lalou (Les Films d'Ici)
Coproduction : Ben Mlouka (CTV Tunisie)
Directrice de production : Sophie Cabon

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