
Film en compétition long métrage documentaire lors de la 43e édition de Cinemed, Festival de cinéma méditerranéen de Montpellier : All-in de Volkan Üce
Le temps d’une saison de travail dans un lieu de vacances conçu comme le paradis du consommateur, la caméra de Volkan Üce se place du côté de ceux qui ont dû mettre leur vie privée en retrait pour être au service des consommateurs qui proviennent majoritairement ici de Russie. Plus particulièrement, le réalisateur suit deux parcours liés par une amitié. D’un côté, Hakan, qui souffre des relations humaines mais qui est féru de littérature et de philosophie qui se retrouve à jouer les maîtres-nageurs pour des familles de touristes russes assez irrespectueux. De l’autre, Ismaïl est un jeune garçon sorti de son village qui découvre des responsabilités inattendues en travaillant à la cuisine.
La petite équipe de réalisation du film sait ici toujours se faire discrète à tel point qu’en l’absence totale de regard caméra, la fiction devient une forme de récit documentée. Il s’agit de suivre et saisir les histoires de chacun pour comprendre les contraintes de cette activité salariée du point de vue des salariés eux-mêmes. Le réalisateur laisse émerger les situations en fin observateur au regard anthropologique qui ne cherche pas à accentuer quelques traits du réel, en refusant par exemple d’utiliser ses personnages comme des victimes d’une organisation. Même si la gestion du personnel affiche quelques traits paternalistes avec des employés considérés comme des enfants capricieux, la critique sociale n’est pas immédiate mais apparaît de la vision d’ensemble qu’offre le film.
Ainsi, la Turquie contemporaine n’est ici accessible qu’à travers le regard des protagonistes alors que le lieu de villégiature est précisément une négation totale de la société turque dans une mise en scène de la surabondance au profit des touristes consommateurs. C’est là un choix perspicace de la part de Volkan Üce de se tenir en retrait autour de compositions soignées de l’image pour laisser apparaître à partir du point de vue même de ses protagonistes leur propre position critique. Insidieusement commence notamment à apparaître pour Hakan une expérience du travail semblable à celle de Charlot dans Les Temps modernes puisqu’il en ressort amorphe et vidé du sens de la vie à répéter des gestes et assumer des responsabilités avec lesquels il ne se retrouve aucunement.
All-in est ainsi un regard poignant sur le rapport à l’autre qui ne se fait pas dans une telle offre de non rencontre proposée et vécue par le consommateur-touriste qui perd toute possibilité de vivre son expérience de citoyen du monde. Il apparaît particulièrement ici l’épuisement individuel qui s’opère au travail lorsque se développe une telle inégalité à jouir du monde immédiat pour les mêmes personnes qui se retrouvent en un même lieu.
All-in
de Volkan Üce
Documentaire
77 minutes. Belgique, France, Pays-Bas, 2021.
Couleur
Langue originale : turc
Scénario : Volkan Üce
Images : Joachim Philippe
Montage : Els Voorspoels
Musique : David Boulter, Darius Timmer
Son : Gedeon Depauw
Production : Cassette for Timescapes, Halal, Little Big Story, Magellan Films, Onomatopee Films
Productrices : Emmy Oost, Magalie Dierick, Valérie Montmartin