Billet de blog 1 mai 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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"La Chronique des pauvres amants" (Cronache di poveri amanti) de Carlo Lizzani

En 1925 à Florence dans la modeste Via del Corno, l'effervescence des liens entre les habitant.es est soudain assombrie par les manifestations de force des Chemises noires. Comment l'innocence des premiers amours résistera-t-elle à ce contexte ?

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Sortie nationale (France) du 26 avril 2023 : La Chronique des pauvres amants de Carlo Lizzani

Dans le cadre de la nouvelle sortie au cinéma de trois films de Carlo Lizzani en copie restaurée 4K, cette adaptation du roman éponyme de Vasco Pratolini témoigne de la force avec laquelle le cinéaste a su dénoncer le fascisme en revisitant l'histoire récente de l'Italie comme l'époque contemporaine dans San Babila : un crime inutile (San Babila ore 20: un delitto inutile, 1976).

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La Chronique des pauvres amants Cronache di poveri amanti de Carlo Lizzani © Les Films du Camélia

L'histoire de la montée en puissance du fascisme dans les années 1920 à Florence est ici retranscrite avec une grande subtilité autour du choix de la condensation du récit sur un microcosme symptomatique : celle de la Via del Corno, une rue de Florence. Le scénario coécrit par Sergio Amidei, scénariste des premiers films néoréalistes de Roberto Fellini, et Carlo Lizzani réussit le tour de force de relever le défi du récit choral pour rendre compte de la vie d'un modeste quartier où la solidarité de la grande famille est sournoisement ternie par l'arrivée des chemises noires fascistes qui reprennent les procédés de la mafia pour imposer par la violence ses impôts aux commerçants et s'immiscent sournoisement dans la vie de chacun et chacune.

L'innocence des jeunes amoureux transis se transforme en même temps au fil du récit en un apprentissage politique et de l'engagement courageux dans un contexte social particulièrement périlleux. Marcello Mastroianni dans l'un de ses premiers rôles dramatiques est particulièrement touchant en passant du statut de fanfaron au héros tragique face au fascisme.

Cette chronique historique flamboyante ouvre un dialogue avec Rome, ville ouverte (Roma città aperta, 1945), l'œuvre maîtresse du néoréalisme italien dans un lien de continuité tout en adoptant une approche plus profondément psychologique de ses personnages. La romance des personnages entre dans le récit non pas seulement pour apporter de la lumière au cœur des ténèbres mais bien aussi pour questionner l'engagement individuel nécessairement politique face à un avenir incertain.

Carlo Lizzani réussit sa peinture très fine de tout un microcosme social avec divers enjeux de pouvoir en fonction des positionnements politiques de chacun et chacune où les femmes ne sont pas oubliées, notamment avec la figure inédite de La Signora qui dans l'ombre ne se positionne ni pour les communistes ni pour les fascistes mais qui par ses prêts financiers conserve un rôle prépondérant.

Produit de manière indépendante avec une coopérative et des fonds communistes, le film effraya en son temps le gouvernement italien qui fit pression sur le jury du festival de Cannes où le film était présenté pour l'empêcher de recevoir le prix principal. Alors que cela aurait pu le conduire dans les limbes de l'histoire du cinéma, la remise en avant près de sept décennies plus tard offre non seulement une compréhension de l'histoire de l'Italie d'il y a tout juste un siècle mais permet par ricochets d'ouvrir une réflexion sur la montée de la privation de libertés dans la société civile contemporaine et comment l'État de droit se positionne dangereusement dans la criminalisation de la contestation citoyenne. Un film d'une vibrante actualité !

La Chronique des pauvres amants
Cronache di poveri amanti
de Carlo Lizzani
Fiction
107 minutes. Italie, 1954.
Noir & Blanc
Langue originale : italien

Avec : Anna Maria Ferrero (Gesuina), Cosetta Greco (Elisa), Antonella Lualdi (Milena), Marcello Mastroianni (Ugo), Bruno Berellini (Carlino Bencini), Irene Cefaro (Clara), Adolfo Consolini (Corrado alias Maciste), Giuliano Montaldo (Alfredo Campolmi), Gabriele Tinti (Mario Parigi), Eva Vanicek (Bianca Quagliotti), Wanda Capodaglio (La Signora), Andrea Petricca (Nanni), Garibaldo Lucii (Staderini Mario Piloni), Mario Piloni (Osvaldo Liverani), Ada Colangeli (Fidalma), Graziella De Roc (Maria), Maria Mannelli (Clorinda), Francesca Uberti, Pasquale Martino, Pasquale Martino, Fosco Cecchi, Paola Maggiorani, Domenico Maggio, Giuseppe Angelini, Rolando Sbrocchi, Aldo Collalti
Scénario : Sergio Amidei, Giuseppe Dagnino, Carlo Lizzani, Massimo Mida, d'après le roman de Vasco Pratolini
Images : Gianni Di Venanzo
Montage : Enzo Alfonsi
Musique : Mario Zafred
Son : Raffaele Del Monte, Franco Groppioni
Assistants réalisateur : Enzo Alfonsi, Giuseppe Dagnino, Paolo Russo
Décors : Pek G. Avolio
Coiffure : Renata Magnanti
Maquillage : Libero Politi
Costumes : Werther
Scripte : Anna Maria Montanari
Production : Giuliani G. De Negri, Antonio Greco, Alberto Puccini pour Cooperativa Spettatori Produttori Cinematografica
Distributeur (France) : Les Films du Camélia

Sortie salles (France) : 26 avril 2023

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