Billet de blog 3 mai 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Festival La Belle Ouvrage 2025 : "La Classe ouvrière va au paradis" d'Elio Petri

En véritable ouvrier stakhanoviste obsessionnel du travail en usine, Lulù impose un rythme à l'ensemble des travailleurs, jusqu'au jour où un incident le conduit à remettre en cause toute sa vie à la frontière de la folie.

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Illustration 1
La Classe ouvrière va au paradis La Classe operaia va in paradiso d'Elio Petri © Tamasa

Film programmé lors de la 1re édition du festival La Belle Ouvrage à l'Utopia Bordrouge à Toulouse : La Classe ouvrière va au paradis d'Elio Petri

Le chef d'œuvre inoubliable d'Elio Petri faisait partie de la première édition du festival La Belle Ouvrage à l'Utopia Borderouge de Toulouse. En se focalisant sur la santé mentale au travail, le festival permet d'aborder des problématiques essentielles pour le bien être de la société en posant des regards d'une profonde pertinence sur des règles du jeu rarement consenties par les intéressée.es alors que celles-ci dirigent notre quotidien.

La Classe ouvrière va au paradis (La Classe operaia va in paradiso, 1971) d'Elio Petri en tant que deuxième volet de sa trilogie consacrée à la névrose, après Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto, 1970) et avant La Propriété, c'est plus le vol (La proprietà non è più un furto, 1973) est un film parfait pour comprendre les dynamiques de travail qui déshumanisent complètement le protagoniste incarné avec une implication totale par Gian Maria Volonté. Ainsi, la folie s'empare toujours plus de Lulù, l'ouvrier modèle obsédé sexuel sans la moindre libido pour sa compagne, qui se trouve à la suite d'un accident, lui que ses collègues haïssaient pour son total manque d'empathie et de solidarité dans l'usine, en objet manipulé par les mouvements syndicalistes autour de lui.

Pendant ce temps, l'usine sous la neige est filmée comme un goulag, avec des ouvriers-prisonniers qui ne peuvent en aucun cas sortir de cet enfermement en dehors de la folie qui les conduit en un nouveau lieu de privation de liberté. La caméra ne cesse de filmer des grilles et des barreaux, de l'école à l'usine jusqu'à l'asile psychiatrique comme les trois âges de la vie d'un homme de la classe ouvrière. L'enfermement est total jusqu'à l'appartement où les occupants ne se parlent plus devant une télévision qui les empêchent de se regarder les uns.es et les autres. L'atomisation sociale est ainsi en cours dans le monde du travail comme dans la sphère familiale préparant ainsi le terrain à l'émergence de la société actuelle.

Le syndicalisme comme le communisme ne sont plus un horizon de la lutte pour Elio Petri en raison de ses manipulations et de son manque d'écoute à l'égard des demandes du monde ouvrier, tandis que la société de consommation régie par le capitalisme semble s'imposer comme un fatalisme digne d'une invasion de zombies. D'ailleurs, le film emprunte par son ambiance de plomb malaisante au film d'horreur, le tout au service de la satire sociale sans complaisance. L'omniprésence de la cacophonie avec des personnages qui ne cessent dE hurler leur mal-être sans jamais s'écouter, illustre encore l'étouffement de chaque individualité. Elio Petri met en scène un véritable cri d'alarme de l'individu broyé à tous les niveaux de sa vie dans un des rares films de l'histoire du cinéma à traiter de la condition ouvrière en usine.

Illustration 2

La Classe ouvrière va au paradis
La Classe operaia va in paradiso
d'Elio Petri
Avec : Gian Maria Volonté (Ludovico Massa, dit « Lulù »), Mariangela Melato (Lidia), Salvo Randone (Militina), Gino Pernice (le syndicaliste), Luigi Diberti (Bassi), Mietta Albertini (Adalgisa), Donato Castellaneta (Marx), Renata Zamengo (Maria), Adriano Amidei Migliano (le technicien), Guerrino Crivello (un chronométreur), Ezio Marano (un chronométreur), Giuseppe Fortis (Valli), Corrado Solari (Mena), Flavio Bucci (un collègue de Lulu), Luigi Uzzo (Napoli), Federico Scrobogna (Arturo), Ennio Morricone (un ouvrier en caméo dans le dernier plan du film)
Italie – 1971.
Durée : 125 min
Sortie en salles (France) : 31 mai 1972
Sortie France du combo Blu-ray/DVD : 28 janvier 2025
Format : 1,85 – Couleur
Langues : français, italien - Sous-titres : français.
Éditeur : Tamasa Distribution

Bonus :
« Petri de la névrose à la schizophrénie », par Aurore Renaut (32’)
Bande-annonce originale (1971)

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