Billet de blog 3 décembre 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Catherine Catella, coréalisatrice du film "Un paese di resistenza"

"Un paese di resistenza" réalisé par Catherine Catella et Shu Aiello sort en salles en France à partir du mercredi 4 décembre 2024. Le film raconte le combat de la population commune derrière son maire Domenico Lucano inculpé, arrêté et mis en résidence pour aide à l'immigration clandestine suite à la politique anti-migratoire portée par le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini.

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Un paese di resistenza de Catherine Catella et Shu Aiello © VraiVrai Films

Cédric Lépine : Pouvez-vous rappeler ce qui vous a conduit à découvrir Riace et à y consacrer un premier film Un paese di Calabria ?

Catherine Catella : Nous étions en train de réfléchir à un film sur la solidarité et l'hospitalité en Italie lorsque nous avons entendu l'émission de Daniel Mermet "Là-bas si j'y suis" au printemps 2012 et on y parlait de Riace en Calabre. Nous avions été surprises et fascinées par l'histoire de ce village. Issues toutes les deux de l'immigration italienne, nous découvrions que ces terres pauvres que nos parents avaient fuies pouvaient devenir des terres d'accueil. Il faut se souvenir que l'Italie a été le pays d'Europe qui a connu la plus forte émigration.

C. L. : Quel est le contexte des élections électorales en Calabre autour de la tradition politique et la place de la mafia gangrenant les institutions ?

C. C. : La Calabre est une terre contrastée où l'on trouvait des bastions du PCI, surtout dans les zones ouvrières de Catanzaro, Reggio di Calabria, Crotone, comme de la Démocratie Chrétienne dans les villages qui vivaient de petite agriculture. Après la guerre et la réforme agraire qui a démantelé la noblesse locale, d'autres familles ont pris le pouvoir et continuent de l'exercer, des familles mafieuses qui constituent la 'Ndrangheta. Fatalement cette 'Ndranghetta a contribué à faire de la Calabre une terre déshéritée, oubliée des pouvoirs publics.

C. L. : Par rapport à la démarche du journalisme, qu'attendez-vous de la réalisation d'un film comme le vôtre ?

C. C. : Notre approche est avant tout une approche de cinéaste et de raconteuses d'histoires (un peu comme les cantastorie). Plus qu'une enquête journalistique, c’est la destinée exemplaire de ce lieu que nous voulions célébrer. Malgré la contrainte liée aux étapes de la procédure judiciaire, nous avons choisi de raconter cette histoire comme une épopée, comme une fable.

C. L. : Pourquoi avoir fait le choix d'un narrateur qui a apporte une distance propre au récit de fiction ?

C. C. : Justement pour donner cette dimension épique au récit et s'inscrire dans la tradition du conteur, qui encore aujourd'hui arpente les villages de Calabre.

C. L. : La situation de Riace en matière d'accueil migratoire est-elle un cas unique en Italie ?

C. C. : Bien sûr que non, elle a fait beaucoup d'émules en Italie, ce qui explique en partie la violence de l'attaque dont il a fait l’objet. Riace de plus a servi de modèle et sa notoriété a franchi les frontières du pays.

Mimmo a reçu le prix pour la paix à Dresde et a été désigné par les magazines Forbes et Fortune en 2015 ou 16 comme étant une personnalité remarquable. Peut-être que cette reconnaissance du modèle de Riace a donné le coup d'envoi de l'attaque sans précédent qu'il a subi.

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Un paese di resistenza de Catherine Catella et Shu Aiello © VraiVrai Films

C. L. : En quoi l'évolution de l'Italie dans sa politique migratoire est-elle la conséquence d'une histoire nationale mais aussi d'une réalité géopolitique transnationale ?

C. C. : En Italie comme en Europe, il nous semble que l'immigration est un sujet prétexte pour imposer une idéologie d’extrême droite. L'opportunisme de Matteo Salvini en est l'exemple, lui qui a su transformer sa haine pour le sud de l'Italie en haine contre l'immigré.

C. L. : Au début du tournage de votre film Un paese di resistenza aviez-vous une idée claire de la place que vous pouviez avoir par rapport à la mobilisation du maire inculpé ?

C. C. : À ce moment là, non. Nous y sommes allées spontanément, en solidarité pour ce lieu et ces habitants que nous avions bien connus.

Et puis nous avons très vite pressenti que dans cette mécanique de destruction de l'accueil, il y avait aussi l'objectif de détruire l'image positive liée à Riace et l'entacher de manière définitive. Nous avons décidé alors de restituer la vérité du récit, notre vérité. 

C. L. : Quelles difficultés et soutiens avez-vous rencontré durant la production et le tournage ?

C. C. : Aucune difficulté particulière pour la réalisation en elle-même mais en revanche il a été difficile pour notre productrice de trouver des financements pour un film dont la fin n’était pas connue. Pour notre coproductrice italienne le contexte a été si défavorable qu'elle n'a trouvé aucun financement en Italie.

C. L. : La coproduction européenne du film entre la France, l'Italie, la Belgique et Suisse est-elle le reflet d'une préoccupation européenne des thèmes que vous abordez ?

C. C. : Absolument et ces coproductions ont été précieuses pour mener le film jusqu'au bout.

C. L. : Quel espoir voyez-vous qu'il est possible de développer entre une réalité politique locale à l'échelle d'une municipalité résistante face à des volontés xénophobes nationales et supranationales ?

L'espoir, c'est la force de Riace, c'est ce qui lui a permis de renaître au moment où le village semblait retourner à ses fantômes. Comment avec conviction et ténacité une petite poignée de citoyens a su résister à la force d'un État. 

Un paese di resistenza
de Catherine Catella et Shu Aiello

Documentaire
96 minutes. France, Italie, Belgique, Suisse, 2023.
Couleur
Langue originale : italien

Scénario : Catherine Catella et Shu Aiello
Images : Emiliano Barbuccio, Steve Calvo
Son : Simone Casile, Raphael Roche
Montage : Luc Plantier, Philippe Boucq, Catherine Catella
Musique : Roland Catella
Productrices : Muriel Sorbo, Serena Gramizzi, Quentin Noirfalisse
Coproduction : Les Films du Tambour de Soie (France), Bo Film (Italie), Dancing Dog Productions (Belgique), RTBF (Belgique), RTS (Suisse)
Distributeur (France) : VraiVrai Films

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