Billet de blog 4 mai 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Le cinéaste italien Damiano Damiani en trois films

Ce coffret édité par Artus Films réunit trois films réalisés par Damiano Damiani autour des thématiques de l'injustice, de la corruption et de la violence masculine, offrant un portrait plus large de l'Italie des années 1970.

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Sortie du coffret combo Blu-ray/DVD :), Justice . Politique . Corruption - La Trilogie de Damiano Damiani : Nous sommes tous en liberté provisoire + Comment tuer un juge + Goodbye & Amen

Au moment où resortent en salles les copies restaurées de trois films de Carlo Lizzani, San Babila : un crime inutile (San Babila ore 20: un delitto inutile, 1976), Storie di vita e malavita (1975) et La Chronique des pauvres amants (Cronache di poveri amanti, 1954), Artus propose de redécouvrir avec Damiano Damiani un cinéaste qui partage plusieurs points communs dans son engagement politique et sa dénonciation du fascisme avec Carlo Lizzani. En effet, du western (El Chuncho) à la comédie en passant par le poliziottesco, le regard politique du cinéaste sur la société italienne contemporaine de ses tournages est omniprésent et rappelle la singularité et la liberté de ton de l'industrie effervescente du cinéma italien contrairement à Hollywood qui s'est rarement aventuré avec une telle assurance au premier plan dans le cinéma politique.

Illustration 1
Nous sommes tous en liberté provisoire L'istruttoria è chiusa: dimentichi de Damiano Damiani © Artus Films

Nous sommes tous en liberté provisoire (L'istruttoria è chiusa: dimentichi, 1971) est un film carcéral qui vient subtilement décrire de l'intérieur d'une prison le bouillonnement politique d'une société italienne gangrenée. Ainsi, la prison devient le reflet exacerbé des tensions et des luttes de classe à partir du regard déceptif de la classe bourgeoise incarnée par un architecte qui ne cesse de vouloir retrouver incidemment ses privilèges du monde extérieur grâce à son pouvoir économique comme ascendant sur ses camarades de cellule. L'humanisme culturel de la bourgeoisie ne fait pas long feu par rapport à la conservation d'un confort de vie. Damiano Damiani livre son regard sceptique sur la cohésion sociale dans une force politique au pouvoir qui n'est pas prête à partager ses privilèges. L'intrigue passe de la survie d'un homme en milieu carcéral avec ses règles, ses corruptions, ses violences omniprésentes en tant que zone de non-droits à une intrigue aux enjeux qui dépasse la seule destinée individuelle. C'est la force de la mise en scène de Damiano Damiani d'amener progressivement de tels enjeux ambitieux. Le film ne se contente pas seulement de dénoncer l'inhumanité des conditions carcérales, ce qu'il réussit avec force et conviction, puisqu'il invite à penser les problématiques de la tension des années de plomb en Italie où chacun s'organise au mieux pour survivre. Cela passe notamment par l'acceptation complice du retour de l'ordre fasciste auquel se réfère le chef des gardiens de prison, tandis que le directeur de la prison, la plupart du temps absent, est la représentation factice de l'humanisme et du respect des droits de l'homme vis-à-vis du monde extérieur. Si Franco Nero n'est pas toujours convaincant, son jeu décalé par rapport aux autres acteurs lui permet d'interpréter à merveille l'architecte qui se veut en dehors de la société pour mieux imposer son ordre du monde reposant sur ses privilèges.

Des trois films de ce coffret, Nous sommes tous en liberté provisoire est le plus percutant par sa force de propos qui restera encore longtemps en mémoire après sa projection, par l'efficacité de sa narration qui continue à interroger avec vigueur la société actuelle.

Trois ans plus tard dans Comment tuer un juge (Perché si uccide un magistrato, 1974), l'acteur Franco Nero est encore au centre de l'intrigue mais autour d'un personnage opposé non pas par sa classe sociale mais dans sa liberté de mouvement puisqu'il peut se mouvoir d'une classe sociale à une autre, tout en étant respecté. Ce personnage de réalisateur de gauche peut ainsi être considéré comme un alter ego de Damiano Damiani mais avec une distance assumée car la mise en scène proposée par le cinéaste dans la fiction est plus proche du symbolisme de la représentation filmique du pouvoir d'Orson Welles que de Damiano Damiani. Ce qui peut décontenancer avec ce film, tout comme d'ailleurs pour Goodbye & Amen (1977), c'est que ceux-ci commencent avec un genre filmique, enquête politique pour l'un, film d'espionnage pour l'autre et abandonnent en cours de route cette promesse initiale. Les deux films suivent une intrigue où les surprises se multiplient en captant l'attention du public qui, lui peut se sentir floué pour ne pas être face à un développement souhaité. Dans Comment tuer un juge c'est seulement le dénouement final qui vient surprendre en enlevant toute la dénonciation politique attendue pour une histoire plus individuelle même si le regard critique se trouve ailleurs, notamment dans une surprenante critique de la presse de gauche pour laquelle la fin justifierait les moyens.

Quant à Goodbye & Amen, cette fois-ci sans Franco Nero et sans vraiment un protagoniste central, en dehors de la figure ambiguë de l'agent de la CIA John Dhannay, le film d'espionnage n'est abandonné que pour jouer avec malice avec les attentes, puisque la prise d'otage qui arrive au centre de l'attention peut toujours servir à la problématique annoncée initialement. Là encore, il faudrait attendre l'ultime dénouement pour comprendre tout l'enjeu de ce récit et le positionnement d'un cinéaste qui se libère sans cesse des contraintes d'un récit attendu. Ainsi, les quelques incohérences de l'intrigue (il suffit d'entendre le chef de la police qui annonce avec conviction (?) au kidnappeur : « rendez-vous, nous vous promettons que nous ne vous ferons aucun mal ») ne semblent plus importer au cinéaste qui se situe dès lors dans un regard éminemment critique du récit filmique comme imposition d'un ordre du monde alors que la société italienne au même moment est éminemment divisée.

Bien conscient qu'un film reste une modeste production de récit, Damiano Damiani assume au fil de ses réalisations au cours des années 1970 son rôle de faiseur de spectacles pour rappeler que les vraies questions ne se révèlent jamais à première vue et qu'il faut toujours attendre le dénouement pour comprendre le sens de l'Histoire. On trouve là le sens plutôt défaitiste du regard politique du cinéaste comme une affirmation profonde et sincère qui traverse ses œuvres.

En bonus de cette édition, un livret analyse et présente chacun des films réalisés par Damiano Damiani, tandis que les bonus audiovisuels proposent des entretiens exclusifs avec le monteur du cinéaste.

Nous sommes tous en liberté provisoire
L'istruttoria è chiusa: dimentichi
de Damiano Damiani
Avec : Franco Nero (Vanzi), Riccardo Cucciolla (Pesenti), Georges Wilson (Campoloni), John Steiner (Biro), Ferruccio De Ceresa (Warden), Antonio Casale (Ventura), Daniele Dublino (le brigadier), Piero Nuti (le docteur), Luigi Zerbinati (Zagarella), Patrizia Adiutori (Milena), Renata Zamengo (Sabina), Vincenzo Basile (un gardien de la prison), Gianpiero Bettega (un prisonnier), Ennio Colaianni (un gardien de la prison), Ricciardetto Desimone (Ricciardetto Simonetti), Claudio Nicastro (Salvatore Rosa), Simone Santia (Armando), Corrado Solari (Crotta), Enzo Andronico (l'avocat de Pesenti), Daniele Tedeschi (le magistrat), Turi Ferro (le chef des gardiens de prison), Damiano Damiani (l'avocat de Vanzi), Cristina Peruzzi, Vittoriano Petrilli
Italie, France – 1971.
Durée : 106 min
Sortie en salles (France) : 4 janvier 1973

Comment tuer un juge
Perché si uccide un magistrato
de Damiano Damiani
Avec : Franco Nero (Giacomo Solaris), Françoise Fabian (Antonia Traini), Pierluigi Aprà (Guidice di Tonarre), Giancarlo Badessi (le sénateur Derrasi), Ennio Balbo (le magistrat), Luciano Catenacci (Meloria l'avocat), Giorgio Cerioni (Dr. Valgardeni, Tano Cimarosa (Tano Barra), Mico Cundari (l'éditeur de La Sicilia Notte), Eva Czemerys (Sibilla), Enrico DiMarco (le journaliste aux lunettes), Giovanni Lo Cascio (Giovannino), Damiano Damiani (l'avocat de Giacomo Solaris), Claudio Gora, Marco Guglielmi, Salvatore Moscardini, Claudio Nicastro, Renzo Palmer, Elio Zamuto, Gianni Zavota, Giovanni Miceli, Michelangelo Di Benedetto, Sergio Valentini, Luigi Ursi, Elio Di Vincenzo, Sandro Arlotta, Andrea Busalacchi, Vincenzo Norvese, Vincenzo Patti, Maurizio Di Liberto
Italie – 1974.
Durée : 110 min
Sortie en salles (France) : 5 octobre 1977

Goodbye & Amen
Goodbye & Amen
de Damiano Damiani
Avec : Tony Musante (John Dhannay), Claudia Cardinale (Aliki), John Forsythe (l'ambassadeur américain), John Steiner (Donald Grayson), Renzo Palmer (Parenti), Angela Goodwin (l'épouse de l'ambassadeur), Anna Zinnemann (Renata), Fabrizio Jovine (l'inspecteur Moreno), Wolfango Soldati (Harry Lambert), Gianrico Tondinelli (Jack), Luciano Catenacci (Vincent), Francesco Carnelutti (Agostino), Piero Palermini (Berto), Ruggero De Daninos (De Mauro), Giovanni Di Benedetto, Sergio Doria, Mauro Barabani, Massimiliano Baratta, Chris Esposito, John P. Dulaney, Damiano Damiani
Italie – 1977.
Durée : 103 min
Sortie en salles (France) : inédit

Illustration 2


Sortie France du coffret Blu-ray + DVD + livre : 2 mai 2023
Couleur
Langue : italien - Sous-titres : français.
Éditeur : Artus Films


Bonus :
Blu-ray et DVD « Nous sommes tous en liberté provisoire » :
« Le Fantôme de la liberté » : présentation par Curd Ridel (2023, 23’07”)
« Derrière les barreaux » : entretiens avec Enrique Bergier, Corrado Solari et Antonio Siciliano (2022, 27’08”, VOST)
Diaporamas d’affiches et photos (1’24”)
Bande-annonce (3’05”, VO)
Blu-ray et DVD « Comment tuer un juge » :
« Justice sauvage » : présentation par Curd Ridel (2023, 23’07”)
« Les Ciseaux d’or » : entretien avec Antonio Siciliano (2023, 25’14”, VOST)
Diaporamas d’affiches et photos (1’)
Blu-ray et DVD « Goodbye & Amen » :
« Dieu reconnaitra les siens » : présentation par Curd Ridel (2023, 18’58”)
« Pour un grain de beauté » : entretien avec Antonio Siciliano (2023, 24’10”, VOST)
Diaporamas d’affiches et photos (0’48”)

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