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Film du focus Víctor Erice de la 20e édition de Cinémondes, Festival International du film Indépendant de Berck-sur-Mer 2024 : Le Songe de la lumière de Víctor Erice
Avec une grande liberté peu commune, Víctor Erice réalise à l'aube des années 1990 une expérience réflexive sur le cinéma, la création artistique, l'épreuve du temps sur le vivant, la rencontre dialoguée entre la peinture et le cinéma. Alors qu'un peintre, à partir de coings traversés par la lumière qui les anime, les fait vivre et évoluer, l'objet de sa représentation picturale, le cinéaste choisi l'artiste comme objet de son œuvre qui finira lui-même sur une toile grâce au dialogue amorcée avec son épouse.
Alors que Le Mystère Picasso (1956) d'Henri-Georges Clouzot tentait de filmer en temps réel l'acte créatif pour tenter d'en approcher le mystère à la manière d'une approche analytique quasi policière, Víctor Erice préfère quant à lui composer un récit au montage avec des descriptions plutôt associées à la fiction, avec notamment une absence totale de regards caméra, des plans associés à une même séquence qui appartiennent à des temporalités différentes alors que la diégèse est censée représentée un mouvement décomposé, celui de la main de l'artiste vers son objet de représentation tout autant que son objet représenté.
Même si les images égrainent une temporalité précise faite de dates, la réalité objective n'est qu'une première lecture tandis qu'au montage Víctor Erice multiplie les confrontations réflexives, associant le travail des ouvriers artisans participant à la rénovation d'une maison face au travail solitaire du peintre qu'on ne verra jamais manger face à un fruit connu pour sa succulente gelée ou encore sa pâte de coings. L'artiste seul en son jardin devant sa toile est mis en question par rapport au monde qui l'entoure alors que le hors champs sociétal sans cesse surgit, notamment avec une radio qui rappelle la chute du mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne, tandis que la ville en arrière-plan ne cesse de rappeler sa présence, comme dans Voyage à Tokyo (1953) d'Ozu, dans un dialogue entre modernité et tradition dans la manière des personnages de trouver leur place dans un milieu citadin. En l'occurrence pour le peintre que l'on ne verra jamais dans les rues de la ville, sa peinture semble être une manière de se rapprocher de la nature, lui connu paradoxalement pour être le peintre et le sculpteur de l'espace urbain.
Víctor Erice pose sur l'artiste considéré comme un alter ego à l'image, une réflexion métacinématographique sur le rôle du cinéma à saisir le réel immédiat par son souci du cadre et sa lutte constante contre le temps comme art funéraire de captation de ce qui n'est plus. Le coing, fruit que l'on ne peut croquer à pleines dents sans passer par une transformation culinaire anthropique, rappelle que sa beauté nécessite une intervention humaine pour pouvoir être digérée aussi bien intellectuellement que physiquement. Víctor Erice invite ainsi par son film à une lente et profonde méditation aux multiples pistes de l'appréhension humaine au monde, notamment à travers l'art.
Le Songe de la lumière
El sol del membrillo
de Víctor Erice
133 minutes. Espagne, 1992.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Antonio López García, Marina Moreno, Enrique Gran, María López, Carmen López, Elisa Ruiz
Scénario : Víctor Erice et Antonio López García
Musique : Photographie : Montage :
Images : Javier Aguirresarobe et Ángel Luis Fernández
Montage : Juan Ignacio San Mateo
Musique : Pascal Gaigne
Son : Daniel Goldstein, Ricardo Steinberg
Production : Ángel Amigo, Carmen Martínez Rebé, María Moreno
Production (structures) : Euskal Media, Igeldo Zine Produkzioak, Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales (ICAA), Maria Moreno P.C.
Distributeur (France) : Tamasa distribution