Billet de blog 6 novembre 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Arras 2023 : "Par-delà les montagnes" (Oura el jbel) de Mohamed Ben Attia

Suite à une incarcération de quatre années après avoir mis en pièce son bureau de travail, Rafik kidnappe son propre fils à l'école et s'enfuit avec lui dans le but de lui montrer qu'il peut prendre son envol.

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Illustration 1
Par-delà les montagnes Oura el jbel de Mohamed Ben Attia © Nomadis Images

Film présenté au sein de la sélection "Cinémas du monde" de la 24e édition d'Arras Film Festival 2023 : Par-delà les montagnes de Mohamed Ben Attia

Après Hedi (2016) et Mon cher enfant (2018), le réalisateur et scénariste Mohammed Ben Attia retrouve son acteur fétiche Majd Mastoura dans une narration déstabilisante qui part du réalisme social pour aller vers le thriller psychologique avec pour couronner le tout une échappée fantastique.

Tout commençait pourtant dans le cadre d'une explosion de colère qui illustrait le mal-être d'un employé dans son travail, certainement à cause d'un management d'entreprise inhumain. Depuis ce moment, le protagoniste de cette histoire n'a plus qu'une obsession : s'échapper en prenant son envol, qu'il s'agisse d'une entreprise comme d'une prison. Cependant, tout se passe de manière hachurée sans lien de cause à effet et le cinéaste oblige son public à le suivre dans la situation inconfortable d'accepter des actions répréhensibles et toujours plus inattendues, du kidnapping de son fils à ce qui finit par ressembler à une prise en otage d'une paisible famille. Pour autant, le film ne plonge jamais vraiment dans le surréalisme car les personnages sont bien englués dans le réel du quotidien où une chute après une tentative d'envol reste douloureuse.

Le film se transforme cependant en road movie au moment où un berger décide de suivre le père et son fils, comme un disciple qui a trouvé son prophète. La question mystique voit ainsi le jour et pourtant contrairement au traitement similaire que l'on trouve dans Hors Satan (2011) de Bruno Dumont, le protagoniste n'a rien d'une incarnation mystique et ses attitudes sont plus proches d'un homme aux abois en cavale, mettant en péril la vie de son propre fils par ses décisions déconnectées de la prise en compte des personnes qui l'entourent.

Cet univers déstabilisant du fantastique où une figure superhéroïque de prophète surgit dans une réalité pourtant prosaïque n'est pas la première fois à s'emparer d'un cinéma d'auteur issu d'une industrie cinématographique nationale émergente puisqu'on le retrouve également dans La Lune de Jupiter (2017) de Kornél Mundruczó où un migrant se mettait à léviter.

Ainsi, Mohamed Ben Attia semble à première vue sortir d'une réalité tunisienne contemporaine post-révolutionnaire par son appel à un imaginaire déterritorialisé mais les confrontations sociales que son personnage amène conduisent in fine à dresser le portrait d'une société en état de choc. Le climax du film se trouve notamment dans la prise d'otage d'une famille dont le couple parental dans un premier temps victime se révèle bien plus violent une fois que celui-ci a les moyens de devenir à son tour bourreau. D'un côté, la peur du mysticisme qui perturbe l'apparente paix d'une famille modèle harmonieuse et d'un autre côté une quête sans horizon réaliste d'un père qui porte comme un mensonge auquel il croit peut-être la promesse d'une réunion familiale.

Si le film bouleverse par son évolution malaisante et inattendue, c'est qu'il touche aussi de près une société en état de choc face à un bouleversement profond. Jusqu'au bout le cinéaste conserve sa part de mystère sur laquelle il fonde la liberté de son cinéma d'auteur avec une affirmation aussi forte qu'irrévérencieuse à l'égard des attentes qu'il a pu générer dans sa propre filmographie.

Par-delà les montagnes
Oura el jbel
de Mohamed Ben Attia
Fiction
98 minutes. Tunisie, France, Belgique, 2023.
Couleur
Langue originale : arabe

Avec : Majd Mastoura (Rafi), Walid Bouchhioua (Yassine), Samer Bisharat (le berger), Selma Zghidi (Najwa), Helmi Dridi (Wejdi), Wissem Belgharak (Oussama), Ayoub Hedhili (l'enfant turbulant), Mondher Chouchen (le bébé), Amel Karray Amel Karray (la belle-mère), Ammar Chikha (le beau-père), Rania Agrebi (Yosr), Mahmoud Said (l'avocat), Walid Bel Haj Ammar (l'inspecteur), Jasser Oueslati (le détenu), Yosra Rebai (une institutrice), Mouna Bel Haj Zekri (une institutrice), Ala Hamed (l'agent de police), Bilel Ben Ghorbel (Lotfi), Abdelhamid Khaldi (le gardien de l'école), Khouloud Ben Abdallah (la jeune fille)
Scénario : Mohamed Ben Attia
Images : Frédéric Noirhomme
Montage : Lenka Fillnerova
Musique : Olivier Marguerit
Son : Ludovic Escallier
1er assistant réalisateur : Salem Daldoul
2nds assistants réalisateurs : Mustapha Belhassine et Houcem Slouli
3e assistante réalisatrice : Zeyneb Cherif
Directeur artistique : Fatma Madani
Casting : Ines Fehri, Houcem Slouli
Scripte : Emma Bouyahia
Société de production : Nomadis Images
Sociétés de coproduction : Les Films du Fleuve, Tanit, 010 Films
Production : Dora Bouchoucha, Lina Chaabane Menzli
Production exécutive : Lina Chaabane Menzli
Coproduction : Nadim Cheikhrouha, Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Lorenzo Rapetti, Giovanni Robbiano, Paolo Maria Spina, Delphine Tomson
Production associée : Felice Farina, Giovanni Giusto, Philippe Logie

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