Billet de blog 7 octobre 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Berck-sur-Mer 2024 : "Ossos" de Pedro Costa

Dans le quartier défavorisé d'Estela d'Africa dans les marges de Lisbonne, un bébé est passé de bras en bras tandis que sa mère tente à plusieurs reprises de se suicider.

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Illustration 1
Ossos de Pedro Costa © DR

Film du focus Pedro Costa de la 20e édition de Cinémondes, Festival International du film Indépendant de Berck-sur-Mer 2024 : Ossos de Pedro Costa

Dans cette plongée vertigineuse dans le quotidien d'un quartier de l'extrême précarité près de Lisbonne, Pedro Costa tente de saisir la vie qui se déroule plutôt que d'en adapter une histoire. Autour de ce garçon-père et de ces jeunes femmes aux ressemblances mimétiques par leurs longs cheveux et leurs silhouettes, se joue un récit choral où des scènes en viennent à se répéter comme si la chronologie elle-même était fracturée en raison d'un quotidien qui peine à construire une embarcation capable de sortir les personnages de leur isolement insulaire.

Ossos (1997) est une étape supplémentaire de l'affirmation de l'exigence du cinéaste à se concentrer sur la question des déshérités, les personnages en marge de la société qui construisent contre vents et marées un quotidien fondé sur la survie. Les interactions entre les personnages qui jouent leur propre rôle sont saisies dans des regards et surtout des gros plans où la mise en scène s'affranchit complètement des traditionnels champ-contre-champ. Dès lors, au montage, Pedro Costa construit un récit détaché d'un scénario originel préalable pour mieux enregistrer au moment du tournage la force expressive des personnes qu'il filme et leur propre inscription au monde. En ce sens, nul n'est besoin pour lui de forcer le cours de l'histoire autour d'une lecture propre du monde comme tentative maladroite d'un discours moralisateur extérieur. Pedro Costa propose ainsi un cinéma éminemment politique en déconstruisant la complaisance du regard du cinéaste qui a le pouvoir d'orienter le récit à ses fins en laissant les corps, los ossos (littéralement « os ») exprimer leur propre devenir. Il en résulte une expérience déconcertante de cinéma comme affirmation d'une indépendance à saisir la vie et ses histoires là même où celles-ci émergent.

Autour de cette histoire de bébé passant de bras à d'autres, le cinéaste construit un film manifeste où la morale ne détermine plus ses choix de cinéaste et trace un nouveau sillon qui prend ses distances par exemple avec le regard sur la réalité sociale du cinéma des frères Dardenne. Ossos est un film qui se suffit à lui-même tout en s'intégrant pleinement dans la filmographie de Pedro Costa où chaque œuvre constitue l'épisode d'une longue série à embrasser dans son ensemble kaléidoscopique.

Ossos
de Pedro Costa
94 minutes. Portugal, 1997.
Couleur
Langue originale : portugais

Avec : Vanda Duarte (Clotilde), Nuno Vaz Nuno Vaz (le père), Mariya Lipkina (Tina), Isabel Ruth (Eduarda), Inês de Medeiros (Whore), Miguel Sermão (le mari de Clotilde), Berta Susana Teixeira (l'infirmière), Clotilde Montron (un ami), Zita Duarte, Beatriz Lopez, Luísa Carvalho, Ana Marta, Carolina Eira, Ricardo Tavares, Anna Carvalho
Scénario : Pedro Costa
Images : Emmanuel Machuel
Montage : Jackie Bastide
Décors : Zé Branco
Son : Henri Maïkoff
Montage sonore : Jean Dubreuil
Mixage sonore : Gérard Rousseau
Costumes : Isabel Favila
Assistant réalisateur : José Maria Vaz da Silva
Production : Paulo Branco
Production (structures) : Madragoa Filmes, Gemini Films, Zentropa Productions

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