Arras 2022 : "Burning Days" d'Emin Alper

Film de la section « Cinémas du monde » de la 23e édition d'Arras Film Festival 2022 : Burning Days d'Emin Alper

Sous la forme d'un thriller politique rural, Emin Alper propose une métaphore de la montée inquiétante du populisme autoritaire en Turquie comme ailleurs dans le monde. La noirceur de la description sociale doublée d'un portrait vertigineux de la corruption des notables autour de l'accès à l'eau, plante un décor qui n'est guère éloigné du Chinatown (1974) de Roman Polanski où le protagoniste dans son enquête était largement malmené à l'instar du jeune procureur.

La perspicacité du scénario original d'Emin Alper consiste à éviter le manichéisme du chevalier blanc partant en croisade contre la corruption, la xénophobie et l'homophobie de la part des politiques populistes autoritaires. Ainsi, le jeune procureur issu de la ville se montre condescendant et ne cache pas ses propres méfiances à l'égard des traditions rurales. L'intrigue permet de désamorcer ce regard tout puissant de ce jeune procureur qui sera étroitement lié à la responsabilité d'un crime au cœur d'une scène de beuverie nocturne aux lourdes conséquences.

Plutôt que le film dossier, Emin Alper assume la fiction et les références du cinéma de genre et prend de la distance avec l'approche documentaire du réel. Le film devient ainsi une métaphore politique d'autant plus forte qu'il ne s'enferme pas dans une réalité locale, même si le contexte politique turc notamment imprimé par le « système Erdogan » est une véritable toile de fond.

Autour de son personnage principal, Emin Alper multiplie les sous-intrigues, les fausses pistes, les manipulations à un rythme au rythme d'un récit dont les chapitrages tombent avec autant de violence que la lame d'une guillotine sur la société.

La puissance de l'ambition scénaristique n'est cependant pas toujours bien portée par ses acteurs parfois laissés à eux-mêmes et les seconds rôles inquiétants sont plus réussis que les personnages plus positifs, comme si ceux-ci intéressaient moins le cinéaste. Ainsi, le procureur mène une enquête qui manque de cohérence et de crédibilité, au détriment de la perspicacité du témoignage politique qui aurait pu avoir la force de conviction d'un Francesco Rosi. Le film aurait gagné aussi en efficacité avec un montage qui aurait pu réduire la durée totale même si la séquence du repas alcoolisé dans sa longueur est un enjeu incontournable à l'intrigue. Il n'en reste pas moins également que le film est une expérience inoubliable et offre une belle perspective par la force de sa mise en scène au cinéma turc aux côtés de Nuri Bilge Ceylan.

Burning Days
Kurak Günler
d'Emin Alper
Fiction
128 minutes. Turquie, France, Allemagne, Pays-Bas, Grèce, Croatie, 2022.
Couleur
Langue originale : turc

Avec : Selahattin Pasali (Emre), Ekin Koç (Murat), Erol Babaoglu (Sahin), Erdem Senocak (Kemal), Selin Yeninci (Zeynep), Sinan Demirer (İlhan), Enver Husrevoglu (Avci), Hatice Aslan, Ali Seçkiner Alici, Eylül Ersöz, Nizam Namidar, Görkem Ipek, Onur Gürçay, Ismail Bahadir Peker, Mehmet Kervanci
Scénario : Emin Alper
Images : Christos Karamanis
Montage : Özcan Vardar, Eytan İpeker
Son : Krešimir Rodic
Décors : Nadide Argun
Musique : Stefan Will
Production exécutive : Selim Güntürkün
Direction artistique : Ceyda Yüceer
1re assistante réalisateur : Damla Kırkalı
Costumes : Öykü Ersoy
Coiffure et maquillage : Esma Keskin
Mixage son : Nardi van Dijk
Étalonnage : Sakis Bouzanis
Casting : Ezgi Baltaş
Production : Ay Yapim, Liman Film
Coproduction : Gloria Films Production, Match Factory Productions, Circe Films, Horsefly Productions, 4 Films, Zola Yapim
Producteurs : Nadir Öperli, Kerem Çatay
Coproducteurs : Fatih Sakız, Laurent Lavolé, Viola Fügen, Michael Weber, Stienette Bosklopper, Maarten Swart, Yorgos Tsourgiannis, Anita Juka
Producteurs associés : İrem Akbal, Maya Scherr-Willson
Distributeur (France) : Memento Films Distribution

Sortie salles (France) : 15 mars 2023