Billet de blog 12 décembre 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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La Chute des feuilles (Giorgobistve) d'Otar Iosseliani

Les vendanges viennent d'être réalisées dans un petit village en Géorgie et le jus de raisin attend sa transformation pour devenir du vin. Deux jeunes sortis d'études en œnologie entre en fonction dont l'un découvre des malversations pour produire plus de vin au détriment de la qualité.

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La Chute des feuilles Giorgobistve d'Otar Iosseliani © Carlotta Films

Sortie du coffret Blu-ray: La Chute des feuilles au sein de l'intégrale des films d'Otar Iosseliani

Ce premier long métrage réalisé par le cinéaste géorgien le plus connu en France, Otar Iosseliani, se trouve dans le coffret Blu-ray exceptionnel réalisé par Carlotta Films regroupant l'ensemble des œuvres filmiques du cinéaste, incluant courts et longs, en fictions et en documentaires.

Dans le premier disque figurent ainsi ses premiers courts métrages qui naviguent déjà entre fiction et documentaire. Ainsi, Aquarelle (Akvarel, 1958) commence par la dispute d'un couple en situation précaire qui va poser un regard différent sur leur foyer en découvrant la représentation de leur maison dans un musée. Ce court métrage est ainsi programmatique de la philosophie d'Otar Iosseliani consistant à voir autrement les petites choses élémentaires de la vie quotidienne du côté des plus humbles grâce à sa représentation artistique.

Dans Le Chant de la fleur introuvable (Sapovnela, 1958), le cinéaste développe sa première œuvre en couleur au bénéfice d'un homme cherchant la beauté en cultivant ses fleurs. Il s'ensuit une exploration expérimentale de l'image associée à la réalité documentaire de l'expression de la nature tout en dénonçant l'intervention extérieure, telle une censure idéologique, qui met fin à cette exploration esthétique.
Avril (Aprili, 1961) quant à lui est le premier récit développé sur la longueur avec 47 minutes de bobines, avec l'histoire d'amour d'un jeune couple mis à rude épreuve dans un monde du travail organisé avec rigueur. La beauté des plans mis en perspective permet de découvrir le milieu urbain où les personnages évoluent tandis que le cinéaste développe un humour burlesque notamment dans le travail des ouvriers et plus largement dans l'organisation sociale qui n'est pas sans rappeler à la même époque le cinéma de Jacques Tati.
La Fonte (Tudzhi, 1964) est résolument un documentaire muet qui répond aux reproches que le régime de censure soviétique lui a fait à propos d'Avril où il se moquerait du monde ouvrier qu'il ne connaît pas, ce qui est l'inverse de sa démarche. La Fonte est ainsi issu de deux années passées pour Otar Iosseliani en tant qu'ouvrier dans le milieu éprouvant d'une usine sidérurgique où le travail mais aussi les moments de pause et de sociabilité entre les ouvriers font partie intégralement de sa vision de ces hommes qui sont aussi ses amis en dehors du regard caméra. La subversion du cinéaste consiste ici à ne pas aveuglément chanter les louanges du productivisme.
Tel est aussi encore en prolongement de ses précédents courts métrages le contexte du récit porté dans La Chute des feuilles (1966) qui débute par une approche documentaire du travail de récolte du raisin en milieu rural avant sa transformation en alcool. C'est alors que débute la fiction avec deux jeunes personnages antagonistes entrant sur le marché du travail, dont l'un carriériste prêt à fermer les yeux sur toutes les crapuleries qu'on lui demande alors que l'autre incarne la probité et la candeur à défendre l'honnêteté et le fruit du travail des plus humbles. En effet, dans une idéologie soviétique de croissance économique exceptionnelle pour devenir le champion de la réussite économique face à l'adversaire capitaliste, le vin est dilué pour accroître la production au détriment de la qualité dudit vin. Cette histoire construite à partir d'une réalité locale devient l'opportunité d'un regard critique sur l'ensemble du régime imposé à la Géorgie, avec une opposition non pas anti-soviétique mais plutôt résolument asoviétique comme l'explique Otar Iosseliani lui-même dans l'entretien retranscrit dans le livret qui accompagne cette édition.

Le héros candide qui découvre la réalité d'une société avec toutes ces contradictions, en conservant sans cesse le ton léger de la comédie, est une brillante synthèse du burlesque mais avec des partis pris de mise en scène qui confine toujours à l'humilité. Otar Iosseliani rend ainsi discrète mais bien omniprésente une caméra dont les mouvements et les cadres ne doivent naturellement jamais rien au hasard. Tel est le premier film déjà accompli et prometteur du cinéaste qui ouvre une brillante et singulière cinématographie.

Illustration 2

La Chute des feuilles
Giorgobistve
d'Otar Iosseliani
Avec : Ramaz Giorgobiani (Niko), Gogi Kharabadze (Otar), Marina Kartsivadze (Marina), Aleqsandre Omiadze (Head of wine factory), Baadur Tsuladze (Archili), Tengiz Daushvili (Nodari), Bukhuti Zaqariadze (Ilo), Akaki Kvantaliani (Daviti), Dodo Abashidze (Rezo), Otar Zautashvili (Shota), Ioseb Gogichaishvili (Bondo)
Géorgie – 1966.
Durée : 95 min
Durée totale du coffret : 1805 min (30h05)
Sortie en salles (France) : 7 novembre 1968
Sortie France du coffret Blu-ray : 3 décembre 2024
Format : 1,33 – Noir & Blanc
Langue originale : géorgien - Sous-titres : géorgien, anglais, français.
Éditeur : Carlotta Films

Coffret contenant :
Blu-ray 1 :
Aquarelle (Akvarel, URSS, Fiction, 1958, N&B et couleurs, 10’)
Le Chant de la fleur introuvable (Sapovnela, URSS, Fiction, 1958, Couleurs, 16’)
Avril (Aprili, URSS, Fiction, 1961, N&B, 47’)
La Fonte (Tudzhi, URSS, Documentaire, 1964, N&B, 17’)
La Chute des feuilles (Giorgobistve, URSS, Fiction, 1966, N&B, 95’)

Blu-ray 2 :
Vieilles chansons géorgiennes (Dzveli qartuli simgera, URSS, Documentaire, 1969, N&B, 21’)
Il était une fois un merle chanteur (Iko shashvi mgalobeli, URSS, Fiction, 1970, N&B, 81’)
Pastorale (Pastorali, URSS, Fiction, 1975, N&B, 98’)

Blu-ray 3 :
Sept pièces pour cinéma noir et blanc (Lettre d’un cinéaste) (France, Fiction, 1982, N&B, 21’)
Euskadi (France, Documentaire, 1983, N&B, 54’)
Les Favoris de la Lune (France, Fiction, 1984, Couleurs et N&B, , 102’)
Un petit monastère en Toscane (France, Documentaire, 1988, Couleurs, 57’)

Blu-ray 4 :
Et la lumière fut (France-Allemagne-Italie, Fiction, 1989, Couleurs, 106’)
La Chasse aux papillons (France-Allemagne-Italie, Fiction, 1992, Couleurs, 118’)

Blu-ray 5 :
Seule, Géorgie (France, Documentaire, Couleurs et N&B, 1994, 236’)

Blu-ray 6 :
Brigands, chapitre VII (France-Suisse-Russie-Italie, Fiction, 1996, Couleurs, 122’)
Adieu, plancher des vaches (France-Suisse-Italie, Fiction, 1999, Couleurs, 117’)

Blu-ray 7 :
Lundi matin (France-Italie, fiction, couleurs, 2002, 128’)
Otar Iosseliani tourne Lundi matin (2002, 54 min) un documentaire de Niko Tarielashvili

Blu-ray 8 :
Jardins en automne (France, fiction, couleurs, 2006, 121’)
Otar Iosseliani, le merle siffleur (2006, 92 min) un documentaire de Julie Bertuccelli de la collection « Cinéma de notre temps »

Blu-ray 9 :
Chantrapas (France-Géorgie-Ukraine, Fiction, Couleurs et N&B, 2010, 122’)
Chant d’hiver (France-Géorgie-Ukraine, Fiction, Couleurs, 2015, 116’)

le livre « Otar Iosseliani, l’art de la fugue » (220 pages) :
panorama critique de ses œuvres
projet de film inachevé
retranscription d’un séminaire tenu par le réalisateur à Bologne en 1997

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