Billet de blog 15 décembre 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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"Brigands, chapitre VII" d'Otar Iosseliani

Du Moyen-Âge à la guerre des années 1990, en passant par l'arrivée soviétique dans le pays, la Géorgie a subi la violence de diverses oppressions avec des régimes brigands assassinant leurs opposants.

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Illustration 1
Brigands, chapitre VII d'Otar Iosseliani © Carlotta Films

Sortie du coffret Blu-ray: Brigands, chapitre VII au sein de l'intégrale des films d'Otar Iosseliani

Après avoir dressé 2000 ans d'histoire géorgienne marquée par l'oppression du voisin russe dans son épopée documentaire Seule, Géorgie (1994) de près de quatre heures, Otar Iosseliani est de retour avec Brigands, chapitre VII (1994) pour la première fois avec la fiction dans son pays d'origine. En utilisant un même acteur dans les trois époques distinctes et symptomatiques d'une forme d'oppression, le cinéaste s'oppose à toute tentation nostalgique faisant des temps passés une époque rêvée.

Or, si la Géorgie connaît au moment où il tourne son film une véritable guerre civile avec des révoltes indépendantistes et sécessionnistes soutenues par la Russie, Otar Iosseliani rappelle que les siècles passées n'ont rien d'admirable, de l'époque médiévale où un monarque avait le droit de vie et de mort sur la population et au début du XXe siècle où l'arrivée des bolcheviques avec leurs polices politiques imposa un véritable terrorisme étatique. Pour la première fois, le cinéaste se confronte à la violence politique dont son pays fut la victime au fil des siècles mais en conservant une pudeur dans la représentation de la violence.

Les histoires sont ici encore toujours multiples avec cependant trois périodes historiques qui s'entrecroisent avec des acteurs et actrices que l'on retrouve d'une période à l'ordre pour rappeler les similitudes dans la manière de s'accaparer le pouvoir et d'en jouir d'une manière éminemment toxique. Il ne s'agit pas non plus pour le cinéaste de faire œuvre d'historien avec une reconstitution précise des événements mais d'user d'une forme du burlesque avec les excès explicites de la mise en scène pour tourner en dérision la folie du pouvoir en exercice.

Malgré la difficulté et l'épreuve que constitue le fait de plonger dans une histoire peuplée de souffrances, Otar Iosseliani, le cinéaste doux rêveur épicurien, réussit à faire le procès du pouvoir en Géorgie qui aboutit chronologiquement à une guerre civile au temps présent du tournage.

Il s'agit là encore pour le cinéaste d'une parabole politique où différentes figures ne représentent jamais une personne historique précise mais plus largement une métaphore incarnée des personnages de ces époques. Il synthétise plusieurs situations, du film historique au film de guerre au présent, en utilisant des enregistrements sonores et un savant montage qui lui permet d'éviter des reconstitutions fastueuses et inutiles des décors. Car il s'agit moins de faire un spectacle du pouvoir à travers les âges, bien évidemment, que d'en dénoncer les crimes en tournant en ridicule ceux qui l'exercent. Ainsi, un roi, comme un dignitaire bolchevique ou encore une personne le doigt sur la gâchette de son fusil, peut se permettre de donner la mort de manière spontanée sans aucune intervention d'une justice supérieure.

Sans aucun doute, le septième long métrage de fiction d'Otar Iosseliani, comme le numéro du chapitre du titre le rappelle, est de toute évidence le sujet le plus grave du cinéaste, sans oublier que ladite gravité traverse tout son cinéma, car le cinéaste géorgien épris du burlesque d'un certain Tati, n'en est pas moins un faux candide au regard perspicace posé sur le monde qui l'entoure.

Illustration 2

Brigands, chapitre VII
d'Otar Iosseliani
Avec : Amiran Amiranashvili (Vano), Davit Gogibedashvili (Sandro), Giorgi Tsintsadze (Spiridon), Nino Orjonikidze (Eka), Aleqsi Jakeli (Victor), Niko Kartsivadze (Cola), Keli Kapanadze (Lia), Niko Tarielashvili (Nico), Marina Kartsivadze, Dato Tarielachvili, Kakhi Maisuradze, Emmanuel de Chauvigny, Narda Blanchet, Anne-Marie Eisenschitz
France-Suisse-Russie-Italie, 1996.
Durée : 122 min
Durée totale du coffret : 1805 min (30h05)
Sortie en salles (France) : 22 janvier 1997
Sortie France du coffret Blu-ray : 3 décembre 2024
Format image : 1,66 - Couleurs
Langues originales : géorgien, russe, français - Sous-titres : anglais, français.
Éditeur : Carlotta Films

Coffret contenant :
Blu-ray 1 :
Aquarelle (Akvarel, URSS, fiction, 1958, N&B et couleurs, 10’)
Le Chant de la fleur introuvable (Sapovnela, URSS, fiction, 1958, Couleurs, 16’)
Avril (Aprili, URSS, fiction, 1961, N&B, 47’)
La Fonte (Tudzhi, URSS, documentaire, 1964, N&B, 17’)
La Chute des feuilles (Giorgobistve, URSS, fiction, 1966, N&B, 95’)

Blu-ray 2 :
Vieilles chansons géorgiennes (Dzveli qartuli simgera, URSS, documentaire, 1969, N&B, 21’)
Il était une fois un merle chanteur (Iko shashvi mgalobeli, URSS, fiction, 1970, N&B, 81’)
Pastorale (Pastorali, URSS, fiction, 1975, N&B, 98’)

Blu-ray 3 :
Sept pièces pour cinéma noir et blanc (Lettre d’un cinéaste) (France, fiction, 1982, N&B, 21’)
Euskadi (France, documentaire, 1983, N&B et Couleurs, 54’)
Les Favoris de la Lune (France, fiction, 1984, Couleurs et N&B, 102’)
Un petit monastère en Toscane (France, documentaire, 1988, Couleurs, 57’)

Blu-ray 4 :
Et la lumière fut (France-Allemagne-Italie, fiction, 1989, Couleurs, 106’)
La Chasse aux papillons (France-Allemagne-Italie, fiction, 1992, Couleurs, 118’)

Blu-ray 5 :
Seule, Géorgie (France, documentaire, Couleurs et N&B, 1994, 236’)

Blu-ray 6 :
Brigands, chapitre VII (France-Suisse-Russie-Italie, fiction, 1996, Couleurs, 122’)
Adieu, plancher des vaches (France-Suisse-Italie, fiction, 1999, Couleurs, , 117’)

Blu-ray 7 :
Lundi matin (France-Italie, fiction, couleurs, 2002, 128’)
Otar Iosseliani tourne Lundi matin (2002, 54 min) un documentaire de Niko Tarielashvili

Blu-ray 8 :
Jardins en automne (France, fiction, couleurs, 2006, 121’)
Otar Iosseliani, le merle siffleur (2006, 92 min) un documentaire de Julie Bertuccelli de la collection « Cinéma de notre temps »

Blu-ray 9 :
Chantrapas (France-Géorgie-Ukraine, fiction, Couleurs et N&B, 2010, 122’)
Chant d’hiver (France-Géorgie-Ukraine, fiction, Couleurs, 2015, 116’)

le livre « Otar Iosseliani, l’art de la fugue » (220 pages) :
panorama critique de ses œuvres
projet de film inachevé
retranscription d’un séminaire tenu par le réalisateur à Bologne en 1997

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