Billet de blog 21 octobre 2024

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cinemed 2024 : entretien avec la réalisatrice Sofia El Khyari

Au sein de la mise en valeur du cinéma marocain autour du focus intitulé "L'audace du jeune cinéma marocain",la 46e édition de Cinemed donne une place choix au cinéma d'animation de Sofia El Khyari autour de la projection de ses quatre courts métrages ainsi qu'une exposition intitulée « Aux sources de l'imaginaire » mettant en lumière les étapes de fabrication de ses courts.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Sofia El Khyari © Sofia El Khyari

Cédric Lépine : Quelle est votre démarche de cinéaste et artiste plasticienne ?

Sofia El Khyari : Je pars toujours de quelque chose que j'ai ressenti pour faire un film, quitte à les amplifier. Cela me permet d'approfondir des sujets personnels et d'apporter aussi de la sincérité. Parler de soi devient aussi forcément politique : je suis un être politique que je le veuille ou non.

En revanche, je ne suis jamais dans l'autobiographie pure et dure. J'utilise la forme du conte pour explorer des approches plus métaphoriques. Il s'agit de partir du personnel pour mieux s'en extraire. J'aime bien prendre des symboles de l'enfance qui convoquent tout un imaginaire de l'inconscient universel et d'y injecter des thèmes plus profonds sous la superficialité naïve qui peut s'en dégager.

C. L. : En plus de cette culture universelle qui vous imprègne, en quoi l'enracinement marocain vous inspire ?

S. El K. : Quand on a grandit dans un endroit, même si on en a été déraciné pendant longtemps, on en garde une empreinte : que je le veuille ou non, cela transparaît dans mon travail. C'est plus évident dans Ayam (2017) où j'avais envie de jouer avec les codes de l'art islamique, en passant de l'abstrait au figuratif et inversement, allant de la calligraphie à la géométrie sacrée. Cela se retrouve aussi dans Le Grain de ta peau (2016) où le dialecte marocain est présent dans des moments où l'on rentre vraiment dans l'intime. La voix fait ainsi corps avec le film. Je vois vraiment l'écran comme une peau et la manière traditionnelle de faire le film d'animation est une invitation à rendre présent le corps.

Tous mes films sont en outre traversés par le rêve tout autant que la sollicitation du toucher. Je pense que nous sommes actuellement en train de perdre le travail artisanal qui est pourtant essentiel. Je ne pense pas que nous puissions faire l'expérience du monde et de la matière sans passer par la pratique manuelle. L'exposition permet ainsi de ramener la matérialité de l'univers que je développe dans mes films. Par exemple, on ne réalise pas que les films ont été faits manuellement. Lorsque l'on me demande quels logiciels j'ai utilisé, je rappelle que j'ai tout a été fait à la main et que je conserve toutes les images originales chez moi.

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Ayam de Sofia El Khyari © Sofia El Khyari

C. L. : Dans quel ordre invitez-vous le public à découvrir l'exposition et les films ?

S. El K. : Je conseille d'aller d'abord voir les courts pour se plonger dans l'exposition qui est une extension de l'univers de mes films. Cette installation pour Cinemed permet de montrer les sources de mon travail. Entre la projection et l'exposition, j'aime bien l'idée que l'expérience de la temporalité est différente. Ainsi, au cinéma on se retrouve dans une relation chronologique aux images sur un support en deux dimensions alors que dans une galerie on peut jouer avec la dimension supplémentaire qu'est l'espace et créer une temporalité complètement différente. Ce qui est intéressant, c'est qu'après l'exposition, le public peut se retrouver avec une lecture totalement différente des films.

Je trouve que le court métrage en animation offre une plus grande liberté d'expression et ainsi les plus beaux films d'animation que j'ai vus étaient des courts métrages.

Les films de Florence Miailhe ont été mon premier impact en animation. J'ai rencontré également Michèle Cournoyer dont le travail m'a beaucoup apporté. Au Maroc, j'ai rencontré Farida Benlyazid à plusieurs reprises, selon moi la première réalisatrice du cinéma marocain : cette transmission vient d'une admiration que j'ai pour les autres générations.

C. L. : Pourquoi votre cinéma ne s'enferme jamais sur une seule technique d'animation ?

S. El K. : En effet, je n'aime pas me mettre de barrière quant à ma créativité et je crois que l'animation permet cette liberté où chaque technique me permet de raconter quelque chose de spécifique. J'éprouve un vrai plaisir à expérimenter plusieurs formes de récits et de matières : je peux ainsi passer du sable à la pellicule à d'autres matières. Ainsi, dans Le Corps poreux j'étais réellement dans un laboratoire pour filmer à travers un microscope, faisant de moi un savant fou en pleine expérimentation. C'est ensuite que je cherche à trouver une harmonie pour partager un récit à un public.

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L'Ombre des papillons de Sofia El Khyari © Sofia El Khyari

C. L. : Comment passez-vous de la légèreté dans vos films à l'inquiétante étrangeté ?

S. El K. : Je cherche avant tout à faire passer des émotions et aller vers des sentiers non prémédités. Ainsi, la légèreté d'un papillon au premier abord n'évoque pas des choses graves. C'est la force du dessin de se confronter ainsi au body horror sans que ce soit une expérience éprouvante. Avec la forme symbolique à la fois du conte et du dessin, j'arrive à passer des choses fortes et difficiles de manière poétique.

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