Film de la sélection « Buñuel, cinéaste mexicain » de la 33e édition du Festival Biarritz Amérique Latine 2024 : Viridiana de Luis Buñuel
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Pour son premier retour en Europe et plus particulièrement dans son Espagne natale devenue franquiste, Luis Buñuel signe une charge sans complaisance à l'égard de deux piliers de la dictature : la religion et la haute bourgeoisie. Cependant, le film n'est pas pour autant anticlérical comme cela pouvait l'être dans son premier long métrage iconoclaste L'Âge d'or (1930) mais poursuit l'obsession du désir dont la répression opérée par la forme catholico-bourgeoise développe des pathologies particulièrement lourdes.
En ce sens, Viridiana est le pendant espagnol de sa radiographie à l'humour noir particulièrement épicé du cas symptomatique de la frustration d'Eros se transformant en expression de Thanatos d'un représentant du patriarcat dans La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (Ensayo de un crimen, 1955) mais avec Viridiana (1961), il déplace le regard pour le placer du côté de la victime, agneau christique convoité par les pulsions sexuelles masculines autour d'elle.
Cette manifestation du désir connaît une forte expression notamment dans la fétichisation des pieds et des jambes, comme un leitmotiv du film associant à la fois une enfant jouant à la corde à sauter comme Viridiana elle-même. Il suffit à Luis Buñuel de se servir du montage faisant se succéder ce plan sur ces pieds, doublé du voyeurisme de la bonne qui est le prolongement du désir de son maître, avec un gros plan sur le visage de Don Jaime lui-même tentant de sublimer son désir par la musique. Cependant, l'innocence imposée et mise en scène par les codes bourgeois et catholiques se révèlent inappropriés et Don Jaime malgré tout le respect des codes sociaux qu'il incarne, révèle un homme dont les désirs sont à la fois incestueux et pédophiles, qui n'hésitent pas à détourner les symboles sacrés, comme une robe de mariée ou encore un crucifix se transformant en couteau, pour tenter de trouver de la cohérence dans ses pulsions inassouvies.
Rien de gratuit ici dans la mise en scène, où une corde à sauter n'a rien d'innocent puisqu'elle passe allègrement et sans avec une ironie amère du statut de jeu pour enfant à un instrument de mort, devenant ensuite ceinture qui se retrouvera évoquée dans une tentative de viol comme si l'âme de Jorge la possédait par transmigration pour passer enfin à l'acte réprimé par la mort. Ainsi, jusqu'à l'orgie finale, Luis Buñuel se donne un malin plaisir pour détourner des codes sociaux fondés sur la frustration qui aboutissent sur des situations sociales explosives, notamment dans les rapports de classe où la religion catholique qui encense la pauvreté comme vertu se retrouve face à ses propres incohérences et hypocrisies.
Luis Buñuel démontre avec vigueur que le cinéma qui est un art d'associations d'images possède une force subversive inhérente qu'il suffit d'encourager pour transformer un récit d'apprentissage faussement innocent en charge politique réinterrogeant l'ensemble du pouvoir par le désir à la manière de Sade et de son héroïne éponyme Justine.
Viridiana
de Luis Buñuel
Fiction
90 minutes. Mexique, 1961.
Noir & Blanc
Langue originale : espagnol
Avec : Silvia Pinal (Viridiana, jeune novice), Francisco Rabal (Jorge, fils naturel de Don Jaime), Fernando Rey (Don Jaime, hidalgo veuf, oncle de Viridiana), José Calvo (Don Amalio, un mendiant), Margarita Lozano (Ramona, servante de Don Jaime), José Manuel Martín (El Cojo, le mendiant boiteux), Victoria Zinny (Lucia, la fiancée de Jorge), Luis Heredia (El Poca, un mendiant), Joaquín Roa (Don Zequiel, un mendiant), Lola Gaos (Enedina, une mendiante), Teresa Rabal (Rita, la fille de Ramona), Juan García Tienda (José, le mendiant lépreux), Sergio Mendizábal (El Pélón, un mendiant), Alicia Jorge Barriga (La Erena, la mendiante naine), Maruja Isbert (la mendiante chantante), Milagros Tomas (Refugio, un mendiant), Palmira Guerra (la jardinière, une mendiante), Joaquin Mayol (Paco, un mendiant), Francisco René (Moncho, le vieux domestique de Don Jaime)
Scénario : Luis Buñuel et Julio Alejandro, d'après le roman Halma de Benito Pérez Galdós (1895)
Images : José F. Aguayo
Montage : Pedro del Rey
Musique et direction musicale : Gustavo Pittaluga
Son : A. García Tijeras
Assistants réalisateurs : Juan Luis Buñuel, José Puyol
Décors : Francisco Canet
Scripte : Concha Hidalgo
Production : Gustavo Alatriste, Ricardo Muñoz Suay et Pere Portabella
Sociétés de production : Unión Industrial Cinematográfica (UNINCI), Producciones Gustavo Alatriste, Films 59