Billet de blog 22 octobre 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cinemed 2023 : "Nuit noire en Anatolie" (Karanlık Gece) d'Özcan Alper

Ishak est de retour dans son village sept ans après un drame secret qui le lie à tout un groupe d'hommes. Rongé par la culpabilité, il va chercher à rompre le silence pesant et criminel.

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Illustration 1
Nuit noire Karanlık Gece d'Özcan Alper © OutPlay

Film de la compétition long métrage de fiction de la 45e édition de Cinemed, festival du cinéma méditerranéen de Montpellier du 20 au 28 octobre 2023 : Nuit noire en Anatolie d'Özcan Alper

Au centre de l'intrigue de son film dont il est aussi le coscénariste, Özcan Alper a placé l'homophobie comme le tabou qui étouffe et gangrène toute une société ici éminemment masculine alors que les femmes sont peu visibles, comme reléguées à l'espace matrimonial de la gestion du foyer. Quant aux hommes, ils se retrouvent au café à boire, à participer à des moments de chasse où la victime n'est pas toujours animale. De ces rencontres, s'exacerbent des masculinités sous tension pour tout individu qui dérogerait à la règle implicite de ce qui fonde une identité. Les hommes de ce village isolé du district d'Ibradi de la province d'Antalya Province au sud de la Turquie, sont repliés sur eux-mêmes et peu ouverts sur l'extérieur qui leur fait peur, que ce soit par des remarques racistes sur l'Afrique, l'homophobie ou l'étranger associé à un terroriste. Ainsi Özcan Alper opère une radiographie de cette société masculine où l'espoir reste malgré tout dans la prise de conscience individuelle par rapport à un phénomène grégaire qui adopte des attitudes peu tolérantes et assurément violentes.

Ladite nuit noire du film est le principe initiateur qui permet d'ouvrir un film dans un climat de tension forte avant de laisser tout le récit développer deux temporalités : l'avant et l'après ce drame, pour en comprendre l'origine et ses conséquences sept années plus tard. Si dans un premier temps cet entrelacement hélicoïdal peut perturber, c'est à bon escient pour provoquer un trouble dont les lumières symboliseront la prise de conscience et une possible réconciliation qui passe par un sacrifice pour permettre les conditions d'un deuil.

L'homophobie est latente et crée le climat de la violence omniprésente autour d'un patriarcat qui n'est pas remis en cause. L'expression de l'homosexualité est ici extrêmement pudique et passe dès lors par des scènes évocatrices refusant des images explicites. Ainsi, l'échange autour d'une complicité musicale autour d'instruments à cordes est d'une grande sensualité comme la scène de la baignade qui exprime bien un désir d'innocence dans le jeu alors qu'elle est interdite et réprimée.

Le réalisateur utilise à merveille un espace géographique minéral qui exprime la rigueur des personnages empêchés dans l'expression de leurs émotions, incapables dès lors de libérer sainement leur besoin de tendresse. Ce paysage composé de roches recèle aussi de nombreux gouffres qui sont autant de lieux de danger et d'interdits où un homme vient aussi bien concrètement que symboliquement pénétrer les liens secrets afin de retrouver un homme aimé. En guise de dénouement, le cinéaste se permet d'inviter le mystère du mysticisme pour où le sacrifice d'un homme est censé résoudre l'intolérance de toute une société patriarcale.

Illustration 2

Nuit noire en Anatolie
Karanlık Gece
d'Özcan Alper
Fiction
113 minutes. Turquie, 2022.
Couleur
Langue originale : turc

Avec : Berkay Ates (Ishak), Pinar Deniz (Sultan), Cem Yigit Uzümoglu (Ali), Deniz Sen Hamzaoglu (Osman), Sibel Kekilli (Sirma), Taner Birsel (Ferhat), Suleyman Kabaali (Resat), Tarhan Karagöz (Muhtar), Firat Kaymak (Nurettin), Ozan Çelik (Erol), Özgür Cem Tugluk (Sükrü), Sefa Tantoglu (Cengiz), Ceylan Ertem (Leyla), Günes Hayat (Nesibe), Ogulcan Ali, Mustafa Ates, Fatmana Barut, Murat Dogan, Ibrahim Gülsoy, Ramazan Bulut, Muhammet Sevket Karakus, Okan Koç, Mert Kurdal, Necip Memili, Ali Meriç, Özkan Mese, Hikmet Midik, Oguz Sahan, Remzi Sarican, Omer Tasli, Abdullah Tufan, Yasar Furkan Yigit, Cem Yilmazer, Umut Ögünç
Scénario : Murat Uyurkulak, Özcan Alper
Images : Yunus Roy Imer
Montage : Osman Bayraktaroglu, Umut Sakallioglu
Musique : Cansun Küçüktürk
Son : Stefan Bück, Taylan Gecit, Orhan Kocalan, Serkan Koseoglu, Yalin Ozgencil, Mine Pakel
Direction artistique : Elif Tasçioglu, Elif Öner
Maquillage : Ragna Jornitz, Pinar Sultan Tombak, Cigdem Uzundag
Costumes : Baran Ugurlu
Casting : Songül Kararslan
Sociétés de production : La Fabrica Nocturna Cinéma, Nar Film
Société de coproduction : ArtHood Films
Production : Soner Alper, Bülent Makar, Marina Perales Marhuenda, Xavier Rocher, Ersin Çelik
Coproduction : Said Nur Akkus, Necati Akpinar, Marina Perales Marhuenda, Xavier Rocher
Production exécutive : Mehmet Gungoren, Ibo Karatay, Basri Uluc
Distributeur (France) : Outplay
Sortie salles (France) : 24 janvier 2024

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