Billet de blog 25 octobre 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cinemed 2023 : "A Morte de uma cidade" de João Rosas

Alors qu'une ancienne imprimerie au cœur de Lisbonne est détruite en vue de la construction d'un hôtel de luxe, le réalisateur prend sa caméra et commence à filmer les travailleurs, ces personnes invisibilisées qui travaille dans l'ombre d'une construction dont ils sont exclus du devenir.

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Illustration 1
A Morte de uma cidade de João Rosas © Terratreme Filmes

Film de la compétition long métrage documentaire de la 45e édition de Cinemed, festival du cinéma méditerranéen de Montpellier du 20 au 28 octobre 2023 : A Morte de uma cidade de João Rosas

Le principe fondateur du cinéma consiste entre autres choses à explorer des univers auxquels la vie courante ne nous permet pas d'accéder. Il se trouve en outre que le cinéma documentaire en prise directe avec la société est capable de prendre le pouls de la société pour en saisir les enjeux souvent invisibles par des volontés résolument politiques. C'est en cela que le film de João Rosas A Morte de uma cidade part d'une initiative perspicace, celle de placer une caméra à un endroit déterminant pour raconter à la fois l'évolution en cours d'une ville et la violence d'une organisation sociale qui laisse en marge les personnes qui réalisent un travail colossal en vue de réaliser d'extraordinaires bénéfices selon l'idéologie de la manne immobilière entre les mains de quelques privilégiés.

Si l'autorisation de tournage a pu se faire sous le prétexte de filmer un lieu en transformation dans une idéologie patrimoniale de l'espace, João Rosas s'intéresse bien davantage aux travailleurs dans leur singularité dans une activité continue harassante, non sans danger, sans protection masques, gants, lunettes officiellement affichées comme des obligations ne sont jamais en usage sur le chantier) ni possibilité de constituer un réseau d'appartenances solidaires puisque les uns et les autres sont du jour au lendemain renvoyés individuellement sur un nouveau chantier. Là où l'ouvrage collectif pouvait permettre de dépasser la soumission vis-à-vis d'un travail dont les fruits sont exclus aux travailleurs, l'uberification de la société néolibérale montre qu'elle s'est encore largement immiscé dans le monde de la construction immobilière.

Les travailleurs sont exclusivement, du moins c'est ce que montre la caméra, masculins et pour une grande partie, il s'agit d'une population fraîchement immigrée qui assume cet emploi assurément peu valorisé, surexploité, souspayé pour survivre et en espérant prétendre économiquement à des jours meilleurs à l'horizon.

Ainsi, la violence du processus global du marché économique, en se concentrant ici sur le patrimoine immobilier qui reste un pouvoir économique particulièrement notable actuellement, repose sur le principe d'utiliser cyniquement des hommes à leur propre exclusion, puisque ces nouveaux bâtiments les excluront toujours davantage d'un Lisbonne réservé à une population nantie. On découvre dès lors que les pressions politiques sur les frontières et l'accès limité à la possibilité d'accéder à une identité administrative qui légaliserait la possibilité de vivre en un lieu donné, sert particulièrement bien l'exploitation de toute une main d'œuvre dès lors corvéable à merci.

João Rosas filme les travailleurs dans l'exercice de leur travail en commentant ses images qui sont aussi le résultat de rencontres et de conversations qui restent hors champ, puisqu'il s'agit avant tout de filmer ici un travail invisibilisé. Il faut le temps long du film en deux parties, destruction et construction, pour saisir toute l'ampleur du monde décrit. Il découle implicitement de ces images le constat d'une dépense d'énergie énorme à mille lieues des discours officiels de l'enjeu de réduire la dépense énergétique, avec ces immeubles entièrement détruits alors que les archéologues cherchent longuement les quelques traces du passé capables de créer des portes sur une longue histoire pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Ici, le patrimoine repose sur un effacement permanent afin de ne pas chercher à éclairer le monde d'hier et de ses impasses, dans une fuite en avant permanente. Flmer les travailleurs plutôt que les concepteurs devient un acte politique fort, alors que sont la plupart du temps félicités les architectes les jours d'inauguration avec des politiques dans une accointance incestueuse alors que les ouvriers ne sont jamais invités, ni à poser ladite première pierre sous le feu des projecteurs, ni même à trouver une place dans ces espaces nouvellement construits. Quand le château de Versailles sera rendu aux mains de ceux qui l'ont construit ?

Illustration 2

A Morte de uma cidade
de João Rosas
Documentaire
116 minutes. Portugal, 2022.
Couleur
Langue originale : portugais
Scénario : João Rosas
Images : João Rosas
Montage : Raul Domingues, João Rosas
Son : Nuno Carvalho
Société de production : Terratreme Filmes
Production : João Matos, Leonor Noivo, Luisa Homem, Pedro Pinho, Susana Nobre, Tiago Hespanha
Contact:
Terratreme Filmes
Campo Grande 111 - 1700-089 Lisbonne - Portugal
Téléphone 351 212 415 754
Mail pedroperalta@terratreme.pt
Website http://www.terratreme.pt/

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