Film de la rétrospective Abdellatif Kechiche de la 44e édition de Cinemed, festival cinéma méditerranéen de Montpellier 2022 : Vénus noire d'Abdellatif Kechiche
Dans cette première plongée dans un film historique, Abdellatif Kechiche adapte une histoire vraie, celle de Saartjes Baartman venue d'Afrique du Sud au début du XIXe siècle et exhibée en tant que « Vénus hottentote » à la fois au public de foire, à celui d'un tribunal londonien, à la noblesse française et aux éminents membres de l'académie des sciences en France. Le poids de l'idéologie raciste qui justifiait à l'époque la politique colonialiste en Afrique de la France est analysé à travers différents tableaux où sont appréhendés les publics.

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Comme pour un polar, Abdellatif Kechiche commence par une scène post mortem avant de suivre une véritable descente aux enfers d'une femme littéralement exhibée comme animal de foire autour également de ses résistances pour préserver sa fragile intégrité mise à mal, violée sans cesse. La succession des expositions publiques en guise de trame narrative vient questionner au cœur du film la responsabilité du regard à la fois du public et de celui qui met en scène. Ainsi, la reconstitution historique passe ici au second plan par rapport à des préoccupations immédiatement connectées avec le monde contemporain. Car au nom de l'Art et de la Science, de violents crimes contre l'humanité et l'intégrité se perpétuent encore et Kechiche vient interroger cette mauvaise conscience.
L'acte de participer à une mise en spectacle n'est pas anodin puisqu'il repose sur le contrat tacite d'accepter une narration extérieure aux intentions plus ou moins obscures dans un premier temps. En filmant avec une grande attention la diversité des visages et plus particulièrement des regards tout au long de son film, Kechiche interroge avec perspicacité l'implication de chacun, chacune dans l'exposition quotidienne du spectacle du monde dont la modernité use et abuse dans l'ère de l'immédiateté et l'omniprésence de l'information. Si les cercles des publics du film sont séparés par classes sociales au XIXe siècle en France comme en Angleterre, l'idéologie colonialiste semble pouvoir se disséminer partout comme une épidémie qui remet encore difficilement en cause l'esclavage, du moins dans sa transformation à l'ère de la transition via l'industrialisation et des nouvelles formes d'asservissement de nouvelles mains-d'œuvre.
La force du cinéma d'Abdellatif Kechiche est d'exposer dans le temps nécessaire de longues séquences où tout un microcosme est mis en scène pour comprendre les différentes interactions interindividuelles qui aboutissent à un spectacle inhumain du monde. Les comédiens et comédiennes interprètent ici leurs personnages avec une présence physique qui n'a pas besoin de justification psychologique pour être compris selon le principe que l'authenticité de la mise en scène des émotions qui se lisent sur des visages filmés au plus près et qui fait encore la marque de fabrique de Kechiche dans les films qui ont suivi Vénus noire et que l'on soit tout droit issue de la leçon de cinéma que constitue Faces (1968) de John Cassavetes. Le cinéaste livre également en exergue l'inspiration de sa mise en scène issue du théâtre où sans cesse l'interprétation n'a de sens que dans l'appréciation immédiate du public. Film unique et qui livre aussi beaucoup des préoccupations de Kechiche, Vénus noire est aussi celui où il met en scène le regard du public comme personnage notable de son intrigue. C'est là un point de vue audacieux qui n'a pas fini de prolonger les réflexions dans une vertigineuse mise en abyme de l'appréciation du spectacle du monde contemporain.
Vénus noire
d'Abdellatif Kechiche
Fiction
162 minutes. France, Belgique, 2010.
Couleur
Langues originales : rançais, anglais, afrikaans, néerlandais
Avec : Yahima Torres (Saartjie Baartman, la Vénus hottentote), André Jacobs (Hendrick Caezar), Olivier Gourmet (Réaux, le forain), François Marthouret (Georges Cuvier), Elina Löwensohn (Jeanne), Michel Gionti (Jean-Baptiste Berré), Jean-Christophe Bouvet (Charles Mercailler, le journaliste), Jonathan Pienaar (Alexander Dunlop), Rémi Martin (le permier client du bordel), Nicolas Abraham (l'avant-dernier client de Saartjie), Jean-Jacques Moreau (Henri de Blainville), Cyril Favre, Dominique Ratonnat et Didier Bourguignon (les aides naturalistes), Ralph Amoussou (Harry), Alix Serman (Alex), Patrick Albenque (Zachary Macaulay), Christian Erickson (Lord Ellenborough), Nigel Hollidge (Maître Gazely), Paul Bandey (le procureur général), Phillip Schurer (Peter van Wageninge), Robert Dauney (Thomas Gisborne Babington), Paul Ryan (Le Blanc), Natania Van Heerden (Leslie Stanzler), Yvonnick Muller (le traducteur du tribunal), Geoffrey Carey (le prêtre), Richard Hadley (l'huissier), Richard Temple (l'huissier britannique), Christopher King (le journaliste tribunal), Jean-Louis Dupont et Gaël Thiebaut (les scientifiques), Cathy Darietto (Mme Campanile), Christian Prat (M. Campanile), Monique Brun (la tenancière du bordel), Jean-Marc Guisti (le médecin du bordel), Violaine Gillibert (Géraldine Rivière), Olivier Loustau (le hussard), Jeanne Corporon, Violaine De Carné, Maria Beloso-Hall, François Genty, Rosalie Symon, Nicholas Mead, Mélodie Richard, Maïe Degove et Alain Naron (les invités bourgeois), Gilles Matheron (Théobald de Méry), Baptiste Zadounaïsky (l'homme du tribunal)
Scénario : Abdellatif Kechiche, Ghalya Lacroix
Images : Lubomir Bakchev
Montage : Ghalia Lacroix, Albertine Lastera, Laurent Rouan, Camille Toubkis
Musique : Slaheddine Kechiche
Son : Nicolas Waschkowski
1re assistante réalisatrice : Sylvie Peyre
Décors : Mathieu Menut, Florian Sanson
Costumes : Fabio Perrone
Casting : Anne Fremiot, Monya Galbi
Scriptes : Claire Dumaze, Betty Greffet
Production : MK2 Productions
Coproduction : France 2 Cinéma, CinéCinéma
Producteurs : Charles Gillibert, Marin Karmitz, Nathanaël Karmitz
Distributeur (France) : MK2 Diffusion
Sortie salles (France) : 27 octobre 2010