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Cédric Lépine : Comment en êtes-vous venue à rendre hommage à Jean-Louis Comolli en réalisant ce film ?
Dominique Cabrera : Jean-Louis Comolli était un ami de longue date. Avec lui j’ai écrit un scénario et j’ai fondé l’association Addoc. Nous avons aussi en commun une naissance en Algérie, nous, Pied-noirs de gauche. Nous avions des atomes crochus, parce que c’était lui, parce que c’était moi et puis nous sommes perdus de vue. Un jour, il y a 4 ou 5 ans, nous nous sommes recroisées.
On s’est téléphoné d’abord, puis je lui ai dit que j’avais plutôt le goût de reprendre des déjeuners avec lui. Il a dit “d’accord mais si c’est filmé”. Je ne savais pas pourquoi, mais peut-être que l’on peut le comprendre en regardant le film. Dans le film, il dit : “le cinéma est un sauveur, un sauveteur, il est là pour garder des relations”. Je me suis prise au jeu. C’était d’abord une expérience.
Il y a quelque chose de très intéressant pour moi dans l’idée de filmer des conversations et d’essayer d’être attentive à la manière dont elles se déroulent dans la vie. L’idée était de filmer des conversations sans organiser un film comme aurait été un hommage à Comolli. Ce n’est pas du tout ce qui était prévu.
Jean-Louis Comolli ne voulait pas que je filme mais plutôt que j’écoute. Ainsi, je l’ai écouté et j’ai demandé à une jeune cheffe opératrice, Karine Aulnette, d’être à la caméra et Isabelle Le Corff à l'écriture du scénario car elle était en train de composer un livre d’entretien avec lui sur sa vie. Elle m’a donc aussi aidé dans la production et en impliquant ses étudiants dans le projet. Le film a changé petit à petit de forme, d’abord centré sur le cinéma, puis sur l’Algérie, mais finalement, puisque Jean-Louis Comolli allait vers sa fin en y étant très conscient, cela l’a rendu plus léger de projeter l’idée d’un film qui, au fond, ferait sentir les vibrations de l’être qu’il était.

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C. L. : Vous vous êtes sentie investie de porter sa parole ?
D. C. : C’est quelqu’un que j’aimais beaucoup et j’étais très heureuse de pouvoir faire ce film pour lui. Je n’avais pas prévu ce film, mais un peu comme un peintre, j’avais un modèle qui se présentait et qui commençait à se passionner pour ses tableaux. Ce n’était pas tellement porter sa parole de JLC, sa parole et sa pensée, puisque si on la cherche, on la trouve. Là j’avais une personne sur le pas de la porte qui disait au revoir et j’avais envie de faire sentir cette vibration avec le cinéma.
C. L. : Que représente ce titre pour vous ce Monsieur Comolli que vous saluez dans le titre ?
D. C. : C’était un peu une plaisanterie. J’aimais beaucoup chez Jean-Louis Comolli son humour et dès que je le croisais, je disais “bonjour monsieur Comolli”. C’était donc mon premier mot à son égard. Un autre titre possible aurait été : “Jean Louis Comolli, à suivre” car il finissait souvent ses articles aux Cahiers du cinéma par “À suivre”.
C. L. : Voyez-vous dans la fonction du documentaire ce rôle de créateur d'archives pour les générations suivantes ?
D. C. : Jean-Louis Comolli était une sorte de Pic de la Mirandole et je n'avais pas la possibilité sous la forme d'un film de parler de toutes ses activités. Je souhaitais que de nos discussions restent de la personnalité, de la manière d'être et des fragments de la pensée de Comolli. Qu'il s'agisse de petites choses comme de plus grands comme il en parle magnifiquement dans ce film, qu'il s'agisse de cinéma documentaire, de la politique, l'engagement mais en laissant transparaître quelque chose de ce qu'il était. J'ai vraiment cherché à ce que le film soit vivant et non pas qu'il soit installé. Je ne cherchais pas à saisir une pensée abstraite, je préférais peindre quelqu'un dans sa vie. Dans sa réflexions, il y a des échappées où l'on sent sa vie d'artiste.
C. L. : Vous venez aussi dans le cadre d'une présentation d'un film en cours de fabrication qui s'intitule Des femmes comme les autres.
D. C. : J'ai déjà un scénario, des corps, des matières, des visages puisque Yolande Moreau et Hélène Vincent ont accepté les rôles principaux. Ma mère qui vit à Montpellier brode et je l'ai beaucoup observée. Cela fait 5-6 ans que je me passionne pour la broderie. Je me suis beaucoup rendu compte que la broderie à l'heure actuelle était investie d'un nouveau langage où l'on sort des motifs traditionnels pour aller vers une utilisation plus libre. J'ai commencé à imaginer une histoire où deux vieilles dames dont l'une est dans la reproduction des motifs alors que l'autre projette sur la toile son imaginaire. C'est ainsi l'histoire de la naissance d'une artiste de l'art brut qui dédie sa vie à ce qu'elle brode. Le film est l'histoire de deux femmes âgées que l'on ne voit pas : ce sont les invisibles de la ville. Je cherche à les saisir comme des être plein de richesses et d'imaginaires.
Ce sont deux femmes de la classe moyenne qui ont le sentiment d'avoir été flouées par l'époque puisqu'elles ont vécu des promesses d'émancipation et de prospérité dans les années 1960 et 1970 qui ne sont pas réalisées. Ce film a été inspiré par Montpellier que j'aime énormément à travers sa beauté classique et sa mixité sociale.

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Nous arriverons en force pour présenter le projet puisque je serai avec ma coscénariste Anna Zisman qui est de Montpellier, Béatrice Thiriet la compositrice de la musique du film avec laquelle j'ai travaillé sur mes autres films et qui viendra faire écouter quelques morceaux, Raymond Sarti le chef décorateur avec lequel j'ai déjà organisé des expositions de broderie contemporaine et ma productrice Gaëlle Bayssière. Un film est un élan d'intentions et nous allons durant cette rencontre projeter un imaginaire afin d'attraper des sentiments, des sensations et des réalités. Cela ressemble à ce que font les dessinateurs et les peintres sous la forme de croquis. J'aime dans le cinéma sa capacité à saisir une époque puisque le moment présent s'engouffre dans le film. Il faut ajouter que durant la rencontre la brodeuse Laurence Farley brodera en direct et d'autres parts j'ai fait des vidéos qui sont mes rêveries autour de la broderie qui seront projetés, ainsi qu'un abécédaire de la ville puisque je me suis promené dans la ville à la recherche de mots.
Une retranscription de Caroline Paty Fabris et Cédric Lépine