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Cédric Lépine : Est-ce que le désir de faire du cinéma est venu de la fréquentation des salles de cinéma ?
Jean-Baptiste Durand : Non, ce désir est apparu en faisant des films. Lorsque j'étais aux Beaux-Arts de Montpellier, on nous a fait toucher à divers médiums comme la peinture, la sculpture, la vidéo, le son, la photographie, etc. J'ai ainsi fait des films dans le cadre de mes études et j'ai eu un vrai plaisir à le faire.
C. L.: Les premiers courts métrages que tu réalises sont portés par quelles histoires ?
J-B. D.: Ma propre observation des rapports humains est le point de départ de mes films et les failles et les faiblesses d'une personne nourrissent mon désir de cinéma. Ma fascination pour un personnage va ainsi me conduire à vouloir davantage le construire, avant de l'insérer dans un récit pour voir comment il réagit.
C. L.: Pour la réalisation de Chien de la casse, tu as fait le choix dans une réalité locale précise de diriger des acteurs professionnels.
J-B. D.: J'ai en effet souhaité faire interpréter mes personnages par des acteurs professionnels parce qu'ils ont droit à leur incarnation en fiction. Je pense que chaque personnage a droit à une interprétation professionnelle, jusqu'à l'idiot du village joué ici par l'extraordinaire Bernard Blancan. Même dans les silhouettes parlantes, j'ai fait le choix de comédiens. C'est pour moi là un geste politique : les pauvres ont droit à des acteurs professionnels pour les incarner ! On a trop longtemps prêté aux provinciaux le fait qu'ils pouvaient avoir au mieux l'intelligence du cœur alors que je voulais montrer que mes personnages sont intelligents tout courts.

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C. L.: Comment un lieu géographique précis t'inspire dans ta mise en scène ?
J-B. D.: J'ai choisi la vallée de l'Hérault avec un village qui organiquement donnait à voir l'errance, la perdition et en même temps la beauté de ce que je cherchais. Le village est monté sur des remparts avec une circulation piétonne. Cette sorte de labyrinthe qui tourne en rond est absolument magnifique. Le lieu a enfanté les personnages. J'avais en tête que Chien de la casse était un road-movie qui tourne en rond avec des personnages qui marchent et roulent mais finissent toujours par se retrouver à la même place haute. Dans ce village que je connais bien puisque ma mère y habite, j'avais la sensation physique que c'était le bon lieu.
C. L.: C'est aussi un acte politique fort d'affirmer l'idée de faire du cinéma sans s'assujettir au centralisme étatique de la capitale.
J-B. D.: Tu le verbalises ainsi et c'est vrai que je ne suis moi-même pas reparti et revenu. Je suis évidemment toujours en mouvement mais je ne suis jamais passé par Paris parce que j'aurais eu nécessairement le regard de celui qui revient même si je n'y étais passé qu'un an. Je ne compte pas partir du lieu où j'habite actuellement. Je pense qu'il était important de rester sur place pour réaliser Chien de la casse, autrement j'aurais eu le regard de celui qui revient dans son village natal. Je dois ajouter qu'au moins 95% de l'équipe vient de la région même si les trois rôles principaux n'en sont pas issus. Cela participe aussi d'un geste contemporain où habiter Paris n'est plus une nécessité pour faire du cinéma. J'ai l'impression que l'on donnera de la densité artistique en prêtant son écoute aux artistes qui n'habitent pas tous à Paris. Pour avoir étudié l'architecture aux Beaux-Arts, je sais très bien que l'on est formaté par les architectures du lieu où l'on réside. Ainsi, Guiraudie n'aurait jamais pu faire son cinéma s'il était passé quinze ans au sixième étage d'une tour à Paris.