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Film de la compétition long métrage de fiction de la 45e édition de Cinemed, festival du cinéma méditerranéen de Montpellier du 20 au 28 octobre 2023 : La Bella estate de Laura Luchetti
Avec Creatura d'Elena Martín, La Bella estate de Laura Luchetti constitue une audacieuse exploration du désir féminin à partir d'une construction narrative aussi inédite, troublante et inventive au sein de la compétition long métrage de fiction proposée par Cinemed pour l'édition 2023.
Le défi était grand pour Laura Luchetti de s'affranchir à la fois du film à costumes, de ladite fidélité à une période historique et surtout au texte original de la nouvelle éponyme (1949) de Cesare Pavese. La force de la cinéaste repose sur sa profonde implication à s'approprier un récit où rien n'est laissé au hasard avec une subtilité comparable au travail de la couturière dont le passage de l'aiguille qui donne la forme à un vêtement reste invisible aux yeux extérieurs. Ainsi, cette apparente sage adaptation d'un auteur émérite de la littérature italienne du XXe siècle révèle une attention dans chaque scène à interroger un personnage dans le cadre social où elle évolue. La découverte de la sexualité pour cette jeune femme devient une fine exploration de l'interprétation des désirs qui la traverse où le regard de l'autre sur elle nourrit les passions. Or, dans une société construite sur une hiérarchie sociale dans un ordre extrêmement patriarcal sous un fascisme tout-puissant, écouter ses désirs en cultivant son innocence à l'abri des forces répressives de l'époque est un enjeu révolutionnaire d'une fulgurante intensité. Cette logique de l'orientation des regards dans une société hiérarchisée, impose aux plus humbles l'exclusion de l'attention du regard. Dès lors, la classe aisée concentre les regards à laquelle où l'élaboration des vêtements conçus par des mains anonymes doit continuer à mettre en scène cette concentration du désir vers une élite. Devenir modèle est alors inconsciemment la possibilité de subvertir l'ordre social, d'accéder par l'art à d'autres sphères humaines interdites, le tout avec l'élan d'une innocence qui ose exprimer sa soif d'expériences.
Les choix subtils de mise en scène de Laura Luchetti entièrement dévolus à l'épanouissement de sa protagoniste permet à cette dernière d'être résolument moderne dans son appréhension du monde. L'apparente légèreté du récit n'en oublie pas moins d'évoquer le danger omniprésent du fascisme des chemises noires fascistes comme des maladies vénériennes mortelles auquel la confronte la liberté d'une émancipation féminine individuelle en dehors de l'ordre répressif patriarcal. La narration s'écarte d'une narration basée la nécessité du drame pour encourager une nouvelle voie où la bienveillance est possible et légitime à l'image de la relation merveilleuse, bien que secondaire dans l'histoire, nourrie entre le frère et la sœur.
La confirmation de l'émancipation de la narration et conséquemment de l'appréhension du monde du personnage principal trouve dans la mise en scène de Laura Luchetti également une sorte d'acmé lorsque la chorégraphie des corps s'emporte au son de la mélodie envoûtante de Walzer für Niemand (2013) chantée par Sophie Hunger. Une histoire de révolution douce mais non moins profonde où les graines de l'affirmation du féminin ne cessent de fleurir dans une transmission ininterrompue où les époques se conjuguent et se renforcent dans leur dialogue : telle est la merveilleuse expérience filmique de La Bella estate.
La Bella estate
de Laura Luchetti
Fiction
111 minutes. Italie, 2023.
Couleur
Langue originale : italien
Avec : Yile Yara Vianello (Ginia), Deva Cassel (Amelia), Nicolas Maupas (Severino), Alessandro Piavani (Guido), Adrien Dewitte (Rodrigues), Anna Bellato (Gemma), Cosima Centurioni (Rosa), Andrea Bosca (le docteur Andrea), Gabriele Graham Gasco (Massimo), Federico Calistri (Ferruccio), Chiara Turetta (Tin), Matteo Accardi (Pino)
Scénario : Laura Luchetti, d'après le roman de Cesare Pavese
Images : Diego Romero
Montage : Simona Paggi
Son : Vito Martinelli
1er assistant réalisateur : Stefano Ruggeri
2nd assistant réalisateur : Rodolfo De Maistre
Décors : Giancarlo Muselli
Maquillage : Marco Martucci
Coiffure : Pablo Cabello
Casting : Florinda Martucciello
Scripte : Chiara Pandolfo
Sociétés de production : Kino Produzioni, Rai Cinema, Lucky Red, 9,99 Films
Production : Luca Legnani, Giovanni Pompili
Producteur associé : Daniele Gentili