Un texte de Jean-Michel Bérard, Françoise Blime, Jean-Yves Dupuis, Robert Jammes, adhérents individuels de la Ligue.
Cette contribution porte sur le Manifeste en cours d'élaboration, aboutissement de la réflexion collective sur la question de congrès.
Si la partie introductive du manifeste public n’appelle pas de véritables remarques, il nous semble qu’un certain nombre des idées avancées par la suite appellent, à tout le moins, une discussion approfondie.
2 : « l’individualisme est un produit démocratique qui porte en lui, à certaines conditions, l’adhésion aux cadres collectifs »

Si la notion d’individu est légitime dans notre réflexion, en tant qu’instance juridique à laquelle sont rattachés, dans nos sociétés démocratiques, des droits dits « imprescriptibles », lesquels ont pour fondement la reconnaissance d’une égale dignité entre des êtres doués de raison (cf. les déclarations des droits de l’homme), c’est justement l’honneur de la démocratie d’avoir traité l’homme en tant qu’individu , en l’extrayant des divers cadres sociaux qui ne lui donnaient qu’une existence collective (corporations, classes sociales etc…) et en tant que citoyen. tant bien entendu que l’homme est ici une dénomination générique qui englobe aussi les femmes qui avaient encore un plus grand besoin d’être reconnues en tant qu’être humain doué de jugement et de pouvoir de décision, leur capacité de citoyennes ayant d’ailleurs, été reconnue tardivement en France.
Mais cela n’entraîne ; en aucun cas, la légitimation de l’individualisme qui fait de l’intérêt de chacun la suprême valeur dans les domaines politique, économique et moral. Penser que c’est l’addition de ces intérêts particuliers qui aboutira à créer l’intérêt général est le credo des théories des néolibéraux, qui tentent de remettre au goût du jour les théories d’Adam Smith. Même si la dernière crise économique a contraint, momentanément, les tenants de cette thèse qui aboutit, en réalité à donner libre champ « au renard dans le poulailler » et à faire triompher la loi du plus fort, nul doute qu’avec une pincée de régulation, elle ne ressurgisse bientôt.
Bref, les deux termes « individu » et « individualisme » sont à opposer et non à rapprocher, car ils ne font pas partie du même univers de valeurs. Si le premier qui a permis de rompre avec le droit divin et d’instaurer une articulation rationnelle entre droit individuel et intérêt de la société est au fondement même de la démocratie, le second relève de l’univers de pensée du libéralisme économique.
Pour nous, l’individualisme n’est donc, en aucun cas, un produit démocratique et nous nous demandons quelles pourraient être les conditions qui pourraient pousser un individualiste à « adhérer aux cadres collectifs. »
En outre, l’individualisme qui serait la caractéristique essentielle de notre société nous paraît devoir être défini. Il ne faut certainement pas confondre le penchant naturel à privilégier son intérêt personnel et la revendication d’une existence autonome.
Bref, nous doutons que nos expatriés fiscaux deviennent un jour d’ardents militants de la réhabilitation de l’impôt, dont vous dites plus loin, à juste titre qu’il est l’un des fondements du vivre ensemble.
« la république multiculturelle ».
Vous prêchez des convaincus, mais, ici encore, il paraît dangereux de ne pas réfléchir à la

véritable signification du multiculturalisme et aux dangereuses dérives auxquelles il peut conduire. Le problème est de savoir comment maintenir des valeurs communes face aux demandes de dérogation formulées au nom de la culture et de la religion. L’enjeu porte sur le degré de reconnaissance des identités particulières et des références culturelles devant être accordé, au sein de l’espace public, à tous quels qu’ils soient. Il faut, en effet, avoir bien conscience que le multiculturalisme mal compris peut déboucher sur un relativisme des valeurs, revendiqué par tous les communautarismes et tous les régimes dictatoriaux et met donc en danger l’idéologie des droits de l’homme.
De ce point de vue, il est d’ailleurs révélateur que le multiculturalisme traverse une crise sérieuse, y compris dans les pays anglo-saxons, traditionnellement plus tolérants à l’égard de certaines revendications qui seraient jugées inacceptables par un français élevé dans les valeurs universalistes de la République. Rappelons une anecdote éclairante : l’archevêque de Canterbury ne trouvait en rien choquant d’envisager d’introduire dans la loi anglaise des éléments de la loi islamique, tout en prenant soin de préciser que la lapidation, les amputations etc.. ne pourraient être envisagées. Quand on se situe dans une position défensive, toute digue dressée sur la voie des concessions est destinée à être, à son tour sapée. La seule question qui vaille est de savoir si les valeurs de la République-droits de l’homme et citoyenneté- doivent être rangées au rang de vieilles lunes qu’il faut adapter à l’époque moderne ou gardent une valeur universelle.
« Les sociétés désireuses de poursuivre sur la voie de l’émancipation doivent prendre conscience du défi que leur lance l’intransigeance religieuse. Cesser de confondre les questions de discrimination, d’intégration et de sécularisation. ..Le multiculturalisme n’est pas armé pour répondre à ce défi qu’il envisage sous l’angle du culturel sans voir sa portée idéologique. » Caroline Fourest : La dernière utopie. Grasset.
Sans doute la laïcité qu’il faudrait ouvrir ou positiver selon certains adeptes du vocabulaire de la publicité est-elle une des manières d’aborder sereinement cette question. A condition de ne pas accepter de la voir ranger parmi les croyances possibles - telle une religion, voire une philosophie, parmi d’autres ! - ni surtout de la confondre avec la vertu de tolérance, mais de l’entendre comme un principe régulateur et fondamental de gouvernement dans une société démocratique qui doit assurer à la fois le respect de la liberté de conscience individuelle et la la paix sociale.
« repenser les solidarités »
Certes le principe solidaire pour les risques santé, dépendance et retraite doit prévaloir mais il est indispensable que ce principe ne s’applique pas qu’aux seuls individus mais aussi au monde économique ce que votre formulation paraît ignorer. En outre, la CSG ne concerne pas les retraites sur lesquelles une réflexion de fond doit être menée. Cette question gagnerait à être abordée dans une large perspective économique plutôt qu’à être traitée au niveau des déclarations de principe.
« La République associationiste »
Nous nous « associons » volontiers à cette position mais il nous semble cependant nécessaire de tempérer l’acte de foi que vous exprimez. Il existe tout de même des associations qui, contrairement à ce que vous avez l’air de poser en principe, ne visent pas l’intérêt général. Il n’est que de penser aux associations qui poussent comme champignons à l’automne lorsqu’il s’agit de défendre tel ou tel site contre l’installation d’éoliennes, de radars destinés à assurer une meilleure sécurité routière quand ce n’est pas la construction de logements sociaux. On pourrait aussi citer les associations de « contribuables » qui n’ont d’autre objectif que de faire baisser la pression fiscale qu’ils jugent excessive. Comme quoi, l’association d’égoïsmes particuliers ne crée pas toujours du vivre ensemble. Le mode d’organisation de l’association n’est pas à lui seul une garantie. Enfin, il paraît nécessaire de rappeler que, même si les associations doivent définir leur politique propre, il est indispensable que l'État définisse de grands objectifs par rapport auxquels se situer, faute de quoi l’éparpillement des actions créera peut être du « vivre ensemble » mais dans des milliers de territoires juxtaposés. L’espoir de la démocratie créée par la base, porté, entre autres, par les anarcho-syndicalistes et les

mouvements autogestionnaires, reste jusqu’à ce jour utopique.