La contribution de la Fédération de Polynésie française.
Le processus de construction d'un Manifeste, aboutissement et point de départ pour la Ligue, a intégré de nombreuses contributions. Voici celle de la Fédération de Polynésie Française.
Comment faire société ?
Une telle réflexion ne peut prendre corps qu’après analyse de la société existante. La prise en compte d’une lente élaboration au cours du temps, des ruptures, des bouleversements, des heurts, des phases de stabilité met en évidence un sens donné par l’homme à son lendemain. Cette quête constante d’un meilleur ou d’un mieux s’est traduite aussi par des non-sens, des dérapages parfois à dimension inhumaine mais vite corrigés par le temps. Pour la Ligue, idéal et optimisme vont de paire même si le quotidien actuel est empreint de morosité. Cette réflexion ne peut que s’installer dans une perspective républicaine et démocratique. Les quelques épiphénomènes passéistes à consonances féodales ne peuvent remettre en cause une dynamique historique où interfèrent l’individu et le collectif sur des bases autres.
Il appartient à la Polynésie, sur un socle de valeurs propres et universelles, de bâtir son propre avenir tout en intégrant les retombées des différentes phases de son histoire inscrite dans l’homme de Polynésie d’aujourd’hui.
La Polynésie, véritable laboratoire ethnico-culturel, poursuit son cheminement dans le temps où cohabitent douleurs, progrès, contradictions : le propre de toute société en mouvement qui s’inscrit dans un contexte mondial.
L’histoire locale faite d’apports culturels et ethniques nombreux n’a pas engendré, comme aux Antilles, un traumatisme lié à une période coloniale esclavagiste. Une lente sédimentation inclusive sur plus de deux siècles a engendré une véritable intégration des autres composantes ethniques dans le socle polynésien. Droit du sol, droit du sang sont intimement mêlés avec cette capacité d’oublier ou de faire semblant d’oublier ses origines lointaines occidentales ou autre. En schématisant il apparaît que cette stabilité apparente soit liée à un partage des rôles :
- Monde politique et administration : pré carré des individus fruits du métissage
- Industrie naissante : domaines, des investisseurs d’origine occidentale
- Commerce chasse gardée de la communauté chinoise
- Hôtellerie liée aux grands chaînes internationales avec toutefois un secteur d’hôtellerie familiale
- Secteur primaire : agriculture et pêche essentiellement « maohi »
Ce partage des secteurs très schématique est source de stabilité pour l’heure actuelle mais il n’est pas dit que cet équilibre apparent perdure. La crise économique touche de plein fouet notre économie mais ce modèle issu de l’histoire et de l’accélérateur de temps qu’a été le C.E.P, se craquelle. Il va falloir faire preuve d’imagination, les contradictions nous rattrapent. Un phénomène de paupérisation s’amorce.
1. En 2010 « Faire société », c’est différent, plus complexe et plus difficile.
La Polynésie Française vit à l’heure occidentale et les distances géographiques, atténuateurs d’évènements et de bouleversements, n’ont plus la même incidence qu’au siècle dernier.
Le cadre politique «l’ Autonomie interne » est poussé à l’extrême dans la mesure où seuls les droits régaliens sont de compétence d’Etat. L’autonomie, levier de responsabilité, n’a pas été utilisée avec suffisamment de rigueur. Les dérapages nombreux dans la gestion des affaires du pays ont entraîné le discrédit de la classe politique dans sa grande majorité.
Le « progrès » tel qu’il nous est proposé nous place à la remorque de l’occident. Ce « modèle » s’est imposé graduellement et les dépendances se sont accrues dans tous les secteurs. La colonisation, fut-elle douce, est à l’origine de cette mutation. Les valeurs chrétiennes constituent à l’heure actuelle, pour partie le socle de notre société. La république est lointaine et la démocratie, la vraie, reste à inventer ; elle n’est pas le fruit de l’histoire locale. Elle fonctionne, de manière formelle et ce sont les appartenances, les liens familiaux, les intérêts, qui font les majorités. On ne se bat pas pour un idéal en Polynésie, on gère un quotidien avec le souci, pour ce qui est des gestionnaires, de ne pas s’oublier dans la grande distribution.
Notre société est bloquée :
- Démographie importante et marché local étroit
- Besoins sans cesse croissants et dépendance accrue de l’extérieur
- Potentiel culturel fort mais absence d’une politique culturelle basée sur le long terme
- Ressources naturelles halieutiques importantes mais pillées…
Cette analyse contraste avec la carte postale ; la Polynésie ne vit pas, elle survit ; elle additionne les jours aux jours avec beaucoup de fatalisme. Mais demain, de quoi sera-t-il fait ?
C’est d’un nouveau contrat social et politique dont la Polynésie a besoin.
La ligue de Polynésie en prise directe avec les réalités locales se reconnaît dans le cadre d’une république, laïque, sociale et démocratique oeuvrant en collaboration étroite avec la France et l’Europe.
2. Sortir des oppositions stériles et inventer une nouvelle combinaison entre le « je » et le « nous ».
Le « nous » n’existe plus hormis le « nous » d’appareils. Un secteur toutefois n’a pas été emporté dans la tourmente de la modernité, il s’agit du secteur foncier. La propriété indivise constitue un obstacle d’importance. Les « promoteurs-investisseurs » se lamentent de ne pas disposer d’espaces constructibles. Ce frein économique au développement, selon leur approche, subit de nombreux assauts. Ce rempart, aux lois du marché, résistera-t-il longtemps ? De plus en plus, l’indivision cède la place à la propriété individuelle, et ce ne sont que les querelles internes des ayant droits qui ralentissent ce processus.
Le vide laissé par l’écroulement du système féodal à dimension pyramidale, avec castes et corporations, se comble, pour laisser place à une démocratie d’apparence, ayant pour corollaire, la place de plus en plus importante prise par l’individu. Somme toute une évolution vécue ailleurs mais décalée dans le temps.
Le second volet, faisant l’originalité de la société coloniale, relève de l’organisation du travail au quotidien. Les corporations ont laissé place au « pupu » : tressage, couture ;tarodière, construction de maison, de bateaux, de pirogues… . Une formule peut résumer ce mode de fonctionnement : travail collectif au bénéfice de l’individu, avec processus de rotation, tant et si bien que chaque individu, à tour de rôle, devient bénéficiaire du travail collectif. Organisation intéressante, basée sur des compétences individuelles, mais entraînant, là encore, un contrôle de l’individu par un appareil cette fois religieux mais lui aussi pyramidal.
Ce mode de fonctionnement a fait son temps ; il s’essouffle, malgré quelques tentatives de réamorçage qui se heurtent à l’intervention de l’argent dans le système de production. La Polynésie est passée, d’une économie vivrière d’autosuffisance, aux lois du marché international qui se font sentir, bien qu’atténuées, dans la moindre île. La recherche d’argent est omniprésente, et pour cela, l’individu vend sa force de travail. Schéma connu, là encore. La fragilité du système actuel est évidente, et le monde politique a opté pour une fuite en avant, vers un « progrès » hypothétique, un leurre, allant à l’encontre de la qualité de la vie.
L’absence de volonté politique, de repères, de perspectives, engendre une apathie où les préoccupations journalières, le quotidien constituent le seul cadre de réflexion. L’absence de choix entre :
- Indépendance-aventure, rigueur, recentrage sur les valeurs « maohi »
- Autodétermination, gabegie, occidentalisation
fait que le fatalisme, présent dans le discours individuel, imprègne toute la société.
Mais alors comment harmoniser un « je » fataliste à un « nous » volontaire, dynamique qui reste à inventer ?
Du questionnement, découleront les perspectives. Le caractère d’urgence d’une consultation ne semble pas être retenu tant au niveau national que local ; tout référendum sur ce point crucial est exclu. Les tenants et les aboutissants de cette situation sont connus. La partie se joue de manière fine, la façade, jusqu’à présent suffisante, se craquelle. Les pressions et les antagonismes pourraient engendrer à brève échéance une rupture pour une rupture, un chaos avec violence, essentiellement au niveau de l’agglomération ; la population des archipels éloignés ne pouvant jouer les premiers rôles de par les distances. La Polynésie a déjà vécu de telles « flambées », vite rattrapées, par les appareils en place : administratifs, politiques et religieux.
Le vivre ensemble fonctionne ; la pluralité de la Polynésie admise dans le quotidien doit se lire dans les institutions, toutes les institutions. La parité homme, femme, effective, au niveau de l’Assemblée de Polynésie n’engendre par pour autant un souffle nouveau. Le « ras le bol », affiché au sein de la population, pourrait prendre des formes graves pour peu que nos élus restent sourds à ses appels.
La refondation de l’Ecole n’est pas à l’ordre du jour ; elle reste pourtant un enjeu pouvant, de par sa vocation éducative : infléchir les comportements individuels sur le long terme. Le « copier-coller » reste le référent constant malgré quelques tentatives timides ne remettant rien en cause. L’école n’est pas égalitaire, elle ne fait que consolider « l’ordre établi » ; les exceptions, confortant le système en place, lui servent de justifications.
La vie économique basée essentiellement sur une « économie de comptoir » mérite une réflexion d’importance axée sur trois composantes fondamentales ; l’eau, la terre, la mer. Des initiatives venant des pouvoirs publics voient le jour. La recherche, élément essentiel dispose d’un pôle d’importance : l’université de Polynésie Française. Les forums programmés font apparaître des domaines pouvant déboucher sur une dynamique économique :
- Énergie renouvelables
- Eau
- Aquaculture
- Molécules des profondeurs
- Agriculture durable
- Évaluations de l’intérêt pharmacologique de quelques plantes médicinales…
Autant d’axes de réflexion qui, pris en compte par le politique et intégrés dans un processus de développement durable, pourraient permettre à la Polynésie de diversifier son économie. Perle et tourisme sont soumis aux modes et aléas climatiques ; seule la diversification permet de mieux « encaisser » les fluctuations des marchés internationaux.
Des perspectives politiques lisibles
- Un pôle de recherche
- Une école refondée
- Une dimension multiculturelle reconnue
-Une économie diversifiée et
s’appuyant sur le développement durable
autant de composantes permettant une nouvelle définition d’un « nous » affichant une volonté du vivre ensemble, de construire ensemble.
3. Pour faire société la Ligue demande à la Polynésie de :
a) Repenser ses choix, de clarifier ses pratiques, ses orientations politiques et économiques.
À l’évidence nous bénéficions d’atouts majeurs, une société multiculturelle, un potentiel économique à diversifier, un sentiment d’appartenance, un vivre ensemble qui s’oppose à tout communautarisme, une image à entretenir, une population jeune et de plus en plus diplômée.
La Ligue de Polynésie, consciente des enjeux, doit être perçue comme une force de propositions, de sensibilisation et d’engagement.
Aux conclusions des Etats généraux, vaste consultation de la société civile, nous ajoutons les points suivants :
1- Identification, prise de mesure des besoins exprimés, hiérarchisation. Cette démarche entamée depuis la naissance de la Ligue sur le territoire n’a pas toujours porté ses fruits. Les enquêtes portant sur l’échec scolaire particulièrement ont souvent été tournées en dérision et constituent, au vu des réactions, un élément de réflexion perturbateur ce qui a entraîné une modification de formulation. La « non-réussite scolaire », formulation beaucoup plus souple, permet de relativiser le constat et n’appelle pas pour autant à la refondation de l’école.
2- L’outil école doit intégrer dans son fonctionnement la notion d’une large citoyenneté. L’enfant doit être reconnu, pris en compte dans sa commune, dans son archipel, dans son pays, dans sa nation. L’enfant citoyen de la planète TERRE, un objectif à intégrer dans la démarche éducative.
3- L’égalité réelle des chances, plus qu’un slogan, est l’un des sujets prioritaires de recherche et réflexion d’une véritable politique en matière éducative. À quand une véritable évaluation de la mise en œuvre de la charte de l’éducation ? Processus indispensable dans la mesure où ce texte qui devait constituer un référent a été complètement dénaturé et dilué dans un quotidien fait essentiellement d’apports extérieurs et de recettes.
La collectivité territoriale avec le concours de la société civile doit définir une stratégie en vue de répondre aux besoins exprimés.
Selon notre lecture :
- L’intérêt général veut que la Polynésie se dote d’un système éducatif performant intégrant les retombées de la recherche pédagogique internationale : Canada, Belgique, France..., et notre contexte socio-culturel original en vue de bâtir un lendemain sur un socle de :
- valeur locales,
- nationales
- et universelles.
- L’intérêt général veut qu’une politique en matière de sauvegarde de l’environnement voit le jour : Environnement géographique, humain, culturel avec volonté affichée de préservation et de valorisation du patrimoine. Les langues polynésiennes langues d’enseignement ou langues enseignées ? La Ligue rejette ce « ou » exclusif et se positionne sur « ou » inclusif, encore faut-il définir les champs d’utilisation.
- L’intérêt général veut qu’une politique de santé voit le jour basée sur l’information et une mise en œuvre prioritairement dans les structures collectives. Nous subissons de plein fouet, comme toutes les collectivités, ultramarines, les méfaits de la désorganisation des régimes alimentaires. Seule l’éducation est à même de rebâtir un équilibre.
- L’intérêt général veut qu’en matière de vie économique le facteur humain ne soit pas considéré comme une variable d’ajustement.
Cette liste non exhaustive doit être intégrée dans une politique d’intérêt général dont nous avons abordé quelques aspects.
S’agit-il d’une demande à adresser aux pouvoirs publics ou d’une exigence ? Avons-nous le temps ou le degré d’urgence est tel qu’il faut trouver des solutions et les mettre en application. Notre lecture des réalités locales nous fait pencher vers une certaine radicalité attendue par la population. Le jeu démocratique fera que, les politiques arrêtées seront validées ou non par le temps.
L’intérêt général veut que, courage, imagination, détermination, gestion scrupuleuse des deniers publics soient les mots clefs à inscrire sur tous les frontons de nos ministères avec un souci transversal, le respect de la démocratie au niveau des mises en œuvre particulièrement.
b) Instaurer de véritables pratiques démocratiques.
Notre Polynésie, bicéphale, souffre de manquements graves à la démocratie, et les responsabilités reviennent tant au pays qu’à l’Etat. Aussi, ces deux partenaires doivent s’engager à se porter garant :
- de la stabilité politique
- de la stricte séparation des pouvoirs
- du fonctionnement démocratique des différents rouages de la vie politique
- du dialogue civil
c) Repenser notre système fiscal clef de la solidarité.
La conscience d’appartenance se construit aussi, avec la participation à la vie de la collectivité qui suppose :
- L’impôt de tous, sur tous les revenus, pensé sur une base progressive crée un sentiment d’appartenance. La prudence est nécessaire mais une orientation telle que celle là vaut mieux qu’un système fiscal basé sur des taxes (T.V.A et autres) qui frappent de manière identique tout consommateur, qu’importe son revenu.
- L’imposition des patrimoines
- L’imposition des transactions financières
d) Repenser la couverture sociale.
Le régime maladie de la Caisse de Prévoyance Sociale est largement déficitaire, et menace l’équilibre des différents secteurs de la couverture sociale. Les acquis récents masquent le devenir, qui, de jour en jour, devient plus préoccupant.
e) Promouvoir une politique de reconnaissance.
- D’utilité sociale des individus, des groupes ;
- De dignité des professions ;
- D’appartenance culturelle. Cette orientation ne s’appuie, en aucune manière, sur le communautarisme. Elle est basée sur un socle multiculturel, qui ne peut admettre l’expression d’un « je » dominateur où l’antériorité d’une présence culturelle entraînerait un sentiment de propriété et d’exclusion. Il nous faut apprendre à nous libérer des identités figées.
f) Promouvoir la consultation populaire.
Si le pouvoir de décision revient aux représentants élus, il importe, qu’avant décision, une pratique de consultation de la population voit le jour sur des problèmes de société. Nos politiques, doublés de « spécialistes » ont le sentiment de prendre en compte l’intérêt général. Ce sentiment, pour être fondé, doit s’appuyer sur une volonté populaire.
g) Evaluer l’engagement social et civique.
L’engagement social et civique contribue à la cohésion sociale.
La géographie éclatée de la Polynésie a eu pour corollaire, le sentiment d’appartenance d’abord à son île, son archipel, son pays, sa nation ; le degré d’intensité de ce lien s’estompe avec les distances. Cette attache viscérale à la terre, à son île d’origine est encore d’actualité, et constitue un puissant levier de solidarité lors des évènements climatiques ou autres qui détruisent les équilibres.
Cette propension mérite d’être cultivée. L’engagement social et civique, s’il relève de l’engagement au nom de la solidarité, dispose de nombreux champs d’application.
Il semble que les « politiques » n’aient pas évalué à sa juste mesure l’impact de cet engagement sur le lien social.
4. La Ligue de Polynésie s’engage
- A intégrer dans sa propre politique ces propositions et à œuvrer pour qu’elles deviennent réalités.
- A lutter contre toute dérive communautariste pouvant voir le jour.
- A combattre toute forme d’exclusion.
- A se mobiliser pour que « le service civique » devienne réalité.
- A promouvoir une politique laïque d’éducation.
- A promouvoir une politique basée sur un rapport étroit avec les collectivités locales concrétisé par voie de conventions.
- A contribuer à l’amélioration de la perception et du fonctionnement de l’école afin qu’elle devienne un véritable ascenseur social pour tous.
L’identité polynésienne n’est pas figée.
La réalité multiculturelle constitue une force. Le métissage est une force et nous appelons tous les polynésiens à œuvrer ensemble, face aux enjeux.
Document adopté par le Conseil d'administration en date du 15/03/10.