Billet de blog 20 déc. 2009

Jean-Claude Charrié
Abonné·e de Mediapart

Pour mieux « faire société »

Pour mieux « faire société »Quelles politiques publiques ?Quelles pratiques démocratiques ?Quelles solidarités ?Quelles combinaisons entre principe de Progrès et principe de Précaution ?

Jean-Claude Charrié
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour mieux « faire société »
Quelles politiques publiques ?
Quelles pratiques démocratiques ?
Quelles solidarités ?
Quelles combinaisons entre principe de Progrès et principe de Précaution ?

Ainsi avons-nous décidé de nous mobiliser sur 4 thèmes de réflexion pour répondre à la question « Comment faire société ? » (aujourd’hui).
D’autres thèmes auraient certainement été possibles, peu importe l’essentiel est bien de reprendre et de partager la parole.
Petites contributions personnelles à propos des politiques publiques… pour lancer le débat.
« Quelles politiques publiques pour mieux faire société ? ».


Est-il possible d’embrasser individuellement un tel sujet, et de tenter une réponse qui prétendrait épuiser la question ?
A l’évidence non, et c’est bien pourquoi l’appel à contribution le plus ouvert possible se justifie.
Et corollairement il est possible me semble-t-il de proposer à titre personnel et donc de mettre en discussion, un choix, ou des choix de priorités.
Mais il faut alors convenir au préalable du cadre d’exercice de ce projet de réflexion collective.


S’agit-il de débattre de politiques publiques locales ? nationales ? voire internationales ?
Au droit des priorités, je serais personnellement tenté de discuter des politiques internationales tant il me semble que les enjeux contemporains essentiels ne peuvent être désormais affrontés, avec quelque chance de succès, qu’à cette échelle. Ces enjeux d’ailleurs sont bien planétaires, LA crise est venue nous le confirmer s’il en était besoin.
Mais, puisqu’il s’agit aussi d’engager un débat qui puisse être quelque peu utile, autant le circonscrire au périmètre d’exercice de cette souveraineté que partagent tous ceux qui sont conviés à débattre et à délibérer, les citoyens de la république de France.
Et nous verrons alors, si les priorités envisagées interpellent tel ou tel échelon ou niveau territorial, en fonction des répartitions de compétences en usage. Sans exclure pour autant et par avance l’hypothèse de la remise en cause de ces répartitions comme élément de réponse.
Tout ceci précisé voici donc l’opinion que je soumets au débat contradictoire.


Parmi les politiques publiques de notre République, la plus emblématique du projet républicain et de l’espérance démocratique qu’il porte, est me semble-t-il sa « politique éducative », qui visait à son origine (si ce n’est réelle du moins symbolique, avec les lois Ferry) l’émancipation des citoyens par leur éducation, afin d’instituer en effet la souveraineté du peuple par le plein exercice de la liberté de jugement et d’opinion.
Et je crois que cette priorité, accordée à l’éducation aux premiers temps de notre IIIe République, doit être renouvelée, comme condition essentielle du « faire société », et du « mieux ».
Mais il convient sans doute d’exercer quelques regards critiques préalables.

On ne doit pas oublier en particulier de tempérer cette représentation idéalisée des origines, en remarquant qu’il s’agissait certainement et tout autant d’accompagner, dans un contexte de compétition des capitalismes nationaux en pleine expansion, la mutation d’une société profondément rurale vers l’industrialisation.
Autrement dit de fournir à l’industrie la main d’œuvre indispensable, adaptée, normalisée, formatée, sans laquelle le fordisme par exemple n’aurait su advenir quelques années plus tard. Ceci renvoi donc à une autre généalogie de cette politique publique d’éducation, qui n’a rien à voir avec les nobles motifs de notre république et l’utopie démocratique héritée des lumières. Elle trouve en France son principal initiateur en la personne de François Guizot, ministre de l’instruction publique dès 1832 (voir fiche Wikipédia). Cette généalogie dont Max Weber nous livre quelques clés dans « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (re F. Guizot).
L’autre aspect encore plus ambigu et bien plus ambivalent de cette politique éducative originelle, s’incarne dans l’indéniable mouvement d’affirmation simultané de la nation, du patriotisme nationaliste et du colonialisme, qu’elle accompagne, et auquel elle contribue au premier chef, au moment même ou s’affirme à l’inverse l’internationalisme comme nouvel horizon de l’expression politique du principe de progrès. Cette conjonction est assez troublante, qui projette face à face deux héritages ou produits de l’universalisme : l’éducation de tous et la solidarité.
Depuis, l’histoire et la recherche (Bourdieu et tant d’autres) nous ont éclairés.
Et aujourd’hui, la mondialisation nous a rattrapés et la technologie aussi (encore une fois je ne peux que renvoyer aux travaux de Bernard Stiegler – entre autres ; « Prendre soin de la jeunesse et des générations » chez Flammarion), qui renouvèlent complètement la donne.
Autrement dit il y aurait tout lieu et en urgence, de mettre prioritairement à jour la politique publique d’éducation, définitivement dépassée à la fois dans ses formes, ses contenus et ses résultats face aux exigences du moment.
Disant cela il n’est pas question pour moi d’imaginer que les questions de solidarité, de continuité et d’accessibilité des services publics, d’équité fiscale, de justice, d’emploi etc. etc. puissent être négligées ou reléguées au second plan.
Mais il est clair qu’il s’agit de distinguer différentes fonctions des politiques publiques, différents registres de l’intervention publique.
Et il me semble qu’à ce titre, il y a bien à distinguer en effet l’éducation.
Autrement dit de ne pas traiter la question éducative sur le même plan que les questions sociales ou économiques, et tout autre objet politique.
Et conséquemment de ne pas l’inclure dans le même registre de hiérarchisation, de ne plus en faire une politique publique parmi d’autres, et en compétition avec les autres dans l’ordre des priorités.
L’éducation ne relève en effet ni des fonctions régaliennes de l’état, ni me semble-t-il de ses missions d’intendance du bien public.
De là à prétendre qu’elle ne relève pas des compétences publiques, on sait que c’est un penchant naturel et une tentation récurrente qui ne peuvent satisfaire ni le principe d’égalité en droits des citoyens, ni l’intérêt général bien compris.
L’éducation représente en fait bien plus qu’une mission ou une fonction d’état.
Elle est tout à la fois :
- consubstantielle à l’ambition démocratique.
- essentielle à l’être humain en tant qu’être de culture et produit de ses rapports à autrui.
- projection d’une société vers son avenir.
L’éducation est tout à la fois une espérance, une obligation, et un miroir.
Elle est l’humanité en action, à la fois fin et moyen de son devenir.
Elle est la société en devenir des individus en devenir.
Aussi je ne crois pas qu’il puisse y avoir pour « mieux faire société » d’alternative que de reconnaître et d’affirmer l’éducation :
- comme LA priorité à tous les échelons territoriaux de la décision publique,
- comme LA finalité de l’engagement public dans tous ses domaines d’intervention,
- comme LE motif de mobilisation de tous les partenaires de l’intervention publique.
Il ne s’agit pas d’assigner à tous la fonction éducative, mais de concevoir simplement qu’un enfant apprend d’abord en copiant le spectacle que nous lui donnons tous à voir.
Et du point de vue de cette évidence il ne nous a pas encore été donné de lire une seule projection politique qui témoigne sincèrement de sa reconnaissance.
Il nous reste donc à l’inventer.

Cette contribution a été également publiée sur mon blog personnel il y a quelques jours, où elle a donné lieu à commentaires qui peuvent être prolongés ici. Lien pour les consulter.

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