Billet de blog 21 janv. 2010

Charles Conte
Chargé de mission à la Ligue de l'enseignement
Abonné·e de Mediapart

À quoi sert le débat sur l'identité nationale ?

Charles Conte
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Un texte de Joël Roman, paru dans Idées en mouvement

La Ligue débat de l'identité nationale sur son site laïcité.

La contribution de Joël Roman:

Il est désormais clair que le fameux débat sur l'identité nationale n'en est pas un, et qu'il ne s'agit que d'une opération politique plutôt nauséabonde. Le chef de l'État lui-même, au prétexte de « recadrer le débat », a donné dans une tribune du Monde sa caution officielle aux interprétations les plus tendancieuses.


Pour ceux qui nous gouvernent, ce débat concerne au premier chef l'immigration, et plus particulièrement les musulmans. Selon le président de la République, notre identité nationale souffre de deux maux : les immigrés et l'Islam. Injonction est faite aux Français issus de l'immigration, surtout s'ils sont musulmans, de rentrer dans le rang, de se faire discrets, de s'assimiler. Certains avancent l'idée qu'ainsi, à la veille d'une défaite électorale annoncée, Nicolas Sarkozy et son zélé serviteur Éric Besson tenteraient de couper l'herbe sous le pied du Front national. Mais c'est là faire preuve d'une indulgence coupable. C'est parce qu'il tient de tels propos que le Front national est un fourrier de haine qui tourne le dos au pacte républicain et qu'il est détestable. Entonner la même chanson de la part des dirigeants de la droite classique devrait susciter la même réprobation. C'est en outre grave et cela aura des conséquences : car c'est une bonne partie de nos concitoyens qui se trouve ainsi stigmatisée, désignée comme de mauvais Français, mise au ban de la Nation. Et c'est nous tous qui sommes ainsi humiliés et offensés.


L'identité nationale c'est le conflit


Car l'identité nationale n'est pas cet héritage compact de traditions et de coutumes, agglomérant religion, institutions politiques et produits du terroir que nous propose Nicolas Sarkozy. Elle est le résultat d'une identification, laquelle s'est longtemps opérée dans la confrontation. La lutte des deux France à l'intérieur, avec pour enjeu la légitimité de la Nation (justement, la France catholique et la France républicaine, qu'on ne peut assimiler aussi benoîtement), la guerre contre l'Allemagne ont activé la revendication de l'identité nationale. Si aujourd'hui l'affrontement des deux France est apaisé et la guerre avec l'Allemagne surmontée dans le projet européen, il est bon que l'identité nationale soit en sommeil, que le drapeau ne soit agité que sur les stades. Veut-on rallumer une guerre, pour vibrer aux accents identitaires ? Et contre qui ?


Inquiétude dans la mondialisation

Les flots de haine et de bêtise suscités par le débat sur l'identité nationale n'en sont pas les scories, les dérives plus ou moins douteuses ; c'en est le centre, c'en est le sens, c'en est l'effet recherché. Que pouvait-il produire d'autre ? Un brainstorming de marketing touristique ? Mais cela, il y a bien longtemps que les collectivités locales s'en chargent, et à cette aune, l'identité nationale c'est la diversité. Pareil pour la cuisine ou la gastronomie. Une réassurance contre la crise et les périls de la mondialisation ? Alors demandons aux 200 plus grandes fortunes de France, aux 3 000 plus hauts salaires, aux 20 000 mieux lotis de notre société de s'engager solennellement à rapatrier leurs avoirs spéculatifs à l'étranger et de s'acquitter de leurs impôts rubis sur l'ongle, et on aura efficacement conforté l'identité nationale dans la mondialisation. Demandons aux entreprises qui délocalisent d'intégrer les normes sociales et environnementales qui sont les nôtres et de les appliquer à leurs entreprises à l'étranger. Bref, si l'enjeu réel est celui de la solidarité nationale à l'heure de la mondialisation, ce n'est pas d'un débat sur l'identité nationale dont nous avons besoin, mais bien de meilleures garanties que cette solidarité est mise en œuvre.


Dira-t-on que la mondialisation menace nos productions culturelles, le rayonnement de notre langue et de notre culture ? Alors c'est de davantage de moyens au service de la diffusion de cette langue et de cette culture dont nous avons besoin, au lieu de fermer à tour de bras les centres culturels français à l'étranger, de diminuer jusqu'à la portion congrue les moyens de RFI, cette jadis puissante voix de la France dans le monde. Bref, il faut changer de politique culturelle à l'étranger, du tout au tout, faire l'inverse de ce que fait ce gouvernement.


Qu'est-ce que l'identité ?


Nicolas Sarkozy a raison quand il invoque les inquiétudes nées de la mondialisation : mais on ne voit pas en quoi un débat sur l'identité nationale y pourrait quoi que ce soit, alors que des mesures politiques spécifiques, si. Sauf à penser que « cette sourde menace que tant de gens dans nos vieilles nations européennes sentent, à tort ou à raison, peser sur leur identité, nous devons en parler tous ensemble de peur qu'à force d'être refoulé ce sentiment ne finisse par nourrir une terrible rancœur ». Autrement dit, faisons de ce débat le grand défouloir des fantasmes collectifs, et offrons lui en pâture les victimes expiatoires qu'il réclame : les immigrés et plus spécifiquement les musulmans. Comme si l'Islam n'était pas désormais bien installé dans le paysage français et qu'il faille encore le considérer comme une manifestation culturelle exogène, alors qu'il est la deuxième religion du pays depuis plusieurs décennies. Comme s'il fallait traiter tout musulman comme « celui qui arrive ».


Aujourd'hui, notre identité se décline selon de multiples axes et niveaux, elle est tantôt sociale, tantôt culturelle, tantôt religieuse ou tantôt politique, elle est à la fois locale, régionale, nationale, européenne et même mondiale. Certains, parmi nous, ressentent légitimement une double fierté nationale (française et algérienne, par exemple) ce qui est leur droit, et cela nous enrichit. C'est dans le mouvement collectif du faire ensemble que ces différentes identités se confortent et se confrontent. Pas en semant de manière irresponsable des germes de suspicion et de division.
Joël Roman

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