Billet de blog 26 août 2010

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Charles Conte

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Eloge du courage

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Entretien avec Cynthia Fleury Philosophe, professeure à l’American University of Paris, l’auteure de l’ouvrage remarqué Les Pathologies de la démocratie et publié chez Fayard en 2005, récidive. Mais avec La Fin du courage , ce sont désormais les valeurs morales qui sont au centre du débat. Cet entretien, réalisé par Jean-Michel Djian, est paru dans le mensuel de la Ligue de l'enseignement "Idées en mouvement" (Août-septembre 2010).

Les Idées en mouvement : En traitant si radicalement la question du courage posez-vous au fond d’abord celle du découragement ?

Cynthia Fleury : Dans le livre, je forme l’hypothèse qu’un sujet, comme une société, connaît au moins une fois dans sa vie cette phase quasi initiatique d’érosion, où la confrontation avec le sens de la vie, l’absurde d’un ordre établi, n’est plus surmontable. Mais c’est justement à ce moment-là qu’il faut faire le pari du courage. Si l’acte courageux isolé peut exister indépendamment de l’épreuve du découragement, l’éthique du courage, quant à lui, s’édifie très souvent à l’aune du découragement. Et c’est lorsque celui-ci prévaut que l’on fait l’épreuve de la nécessité du courage… Il y a une intelligence (ou une théorie) du courage. Elle fait de l’individu l’agent de sa vie. Et si cette épreuve du découragement est si structurelle à celle du courage, c’est principalement pour trois raisons : la première c’est parce que, comme le souligne Jankélévitch, « le mérite est raison inverse de la perfection en acte », autrement dit on n’est jamais aussi près du courage que lorsqu’on est découragé. La deuxième, c’est parce que le courage est sans victoire. Ce n’est pas le résultat qui énonce la véracité de ce courage. L’acte courageux est sa propre finalité. La troisième, enfin, c’est parce qu’il n’y a pas de capitalisation possible. « Ce qui est fait reste à faire », dit Jankélévitch. Ce n’est pas parce que j’ai fait que je suis dispensé de faire demain. En quoi la pratique démocratique participe-t-elle à nous affranchir du courage ? Les vieilles démocraties jettent parfois comme une sorte de voile sur leur propre fonctionnement. Se crée alors l’illusion paisible de la

durabilité ou de la spontanéité. On finit par croire que c’est l’automatisme de la démocratie (cette machine alimentée par les institutions) qui se charge seul de la promotion et du renforcement des droits démocratiques. Mais la démocratie, c’est tout le contraire ! C’est toujours un camp contre un autre, un camp progressiste versus un camp plus conservateur par exemple. La démocratie se pérennise par ses combats. De plus, comme l’établit le modèle tocquevillien, la pratique de la démocratie en dénature les principes mêmes puisqu’elle les transforme en passions. Or, le principe de la liberté, ce n’est pas la passion de la liberté ! Idem pour le principe de l’individuation. Il n’existe pas de « passion » pour l’individualisme. Pourtant, les démocraties libérales organisent une deuxième supercherie : celle de faire croire que le meilleur agent de protection de l’individu, c’est l’individu lui-même. Alors que l’on sait que l’individu sans structures collectives de défense devient plus vulnérable. Découpler l’émancipation individuelle de l’émancipation collective n’a que peu de sens. Résister à cette scission, c’est faire preuve de courage. Et qu’est-ce que le courage en temps de paix ? C’est aussi l’une des questions du livre. Le courage peut-il s’enseigner ? En quoi les enseignants sont-ils (ou pas) des modèles de courage ? Il n’y a de courage que seul. Mais il n’y a d’éthique durable du courage que collective. Et là, bien sûr, les enseignants, mais aussi les parents, les médias, les politiques, sont convoqués. Car il existe un continuum du courage. L’exemplarité, cela se fabrique aussi à plusieurs. C’est tout le paradoxe de la (non) mimésis du courage : il relève du « seuil inaugural de la décision » et en même temps le courage se nourrit d’actes, même ordinaires. Il y a comme une sorte d’entraînement au courage. D’autre part, reconnaissons que, pour enseigner aujourd’hui, il faut avoir du courage. Les conditions de travail ne sont pas toujours adéquates et quantité de choses viennent parasiter l’enseignement. Le courage est donc une nécessité. Mais je crois aussi que c’est un impératif moral. On peut s’évertuer à penser qu’enseigner reste un métier comme un autre mais je ne le crois pas, ou ne désire pas le croire – ce qui revient au même. Je persiste à défendre l’exceptionnalité du moment de l’école, primaire, secondaire ou supérieure. Et l’enseignant doit être ce tiers dont le truchement sert notre dynamique d’autonomisation. Quand un philosophe comme Michel Onfray charge, comme il le fait dans son dernier ouvrage, une icône comme Freud, fait-il preuve de courage ? Les philosophes (dont vous êtes) ne sont-ils pas au fond les nouveaux moralistes que l’on consulte pour revisiter le « vrai » ? Désacraliser les idoles, déconstruire les idées, déboulonner les idéologies, restent toujours l’activité de l’intellectuel ou du philosophe. Concernant la psychanalyse, l’affaire est plus complexe dans la mesure où la psychanalyse n’a jamais vraiment été populaire. Les intellectuels la défendent, mais ce qui forme la masse des individus, sans compter les politiques, la critiquent ouvertement, voire la dénoncent. L’amendement Accoyer (qui rend obligatoire la détention de diplômes officiels et reconnus pour exercer la fonction de psychothérapeute, 2009, ndlr) en est un avant-goût. Depuis cette polémique, je vois surtout une communauté réagissant comme si elle était assiégée – alors que l’assaut est faible – et quantité de personnes vilipendent à souhait l’idole blessée, parce qu’elles ont enfin trouvé leur alibi intellectuel. Maintenant, je n’ai pas lu le livre. Michel Onfray, je crois, ne manque pas de courage. Il est cependant certain qu’il prend le risque de rompre avec la communauté des intellectuels. Mais peut-être, sans le prévoir, se retrouve-t-il du côté du consensus un brin populiste contre la psychanalyse. Maintenant la philosophie, la psychanalyse, la vie intellectuelle, se nourrissent de grandes querelles.

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