Deuxième volet de la réflexion pour « mieux faire société ».
Deuxième contribution (également déjà publiée et commentée sur mon blog).
La mode, la grande mode est à la « démocratie participative ».
Aujourd’hui « leitmotiv » assumé de leaders politiques célèbres et célébrés, la démocratie participative est en réalité dans les tuyaux depuis bien avant la dernière élection présidentielle, elle trouve ses racines si je ne me trompe dans la décentralisation, du moins dans sa forme et son acception moderne.
Et nul doute qu’ils sont forts nombreux, tous les élus et toutes les élues qui « s’en réclament ».
De quoi s’agit-il ?
Tout simplement d’associer. D’associer le citoyen à la prise de décision, d’associer la « société civile » à l’exercice politique, d’associer la mythique démocratie directe à la désormais suspecte démocratie représentative.
Pour une étude très sérieuse de la chose, je ne saurais trop recommander les travaux de Pierre Rosanvallon, en particulier « La légitimité démocratique » (Septembre 2008 au Seuil).
En contrepoint, je vous propose, beaucoup plus brièvement ici, de rester au raz des pâquerettes et de la chose vécue, de notre quotidienne citoyenneté en quelque sorte.
Au-delà de l’association des gens aux décisions qui les concernent, il s’agit bien en effet de légitimité.
Les prémices de cette affaire sont peut-être à rechercher du côté par exemple du Conseil Economique et Social inscrit dans notre constitution de 1958 (lui-même lointain héritier à en croire Wikipédia d’une initiative de la IIIe République en 1925).
Puis il y eut aussi et vivent encore, les « commissions extramunicipales », les « conseils de quartier », « les assemblées de ceci ou de cela »… toutes formes qui doivent beaucoup à notre gauche nationalement minoritaire pendant les si longues années de règne du Général, puis de Pompidou, puis de Giscard.
Ce fut une éternité, un tunnel pendant la traversée duquel la gamberge est venue au secours de l’impatience et/ou de la frustration.
Et l’imagination prenant le pouvoir faute de l’exercer, les esprits en surchauffe n’ont pas manqué de produire, d’inventer, de construire et d’argumenter.
C’est ainsi qu’ont été convoqués au sacre de la démocratie participative, tous les archétypes de la rhétorique démocratique tout court : contre pouvoirs, équilibre des pouvoirs, démocratie directe … tous concepts procédant de l'exercice critique légitime d'une minorité.
Et c’est à partir de ces constructions théoriques, de ces représentations principielles qu’il me semble intéressant d’apprécier les interprétations concrètes qu’il nous est donné d’en expérimenter ou d’en voir se développer, concrètement.
La Démocratie Participative en actes. Donc.
Quelques uns en parlent beaucoup en effet, la plupart s’y essayent, chacun revendique d’en être le champion. Mais, de qui s’agit-il ? Qui sont ces discoureurs, ces expérimentateurs, ces médaillés ?
Les élus.
Les élus, leurs supporters et les salariés de leurs services.
Et, que désignent-ils par la chose ?
Des dispositifs qu’ils conçoivent, des modalités qu’ils agencent et des pratiques qui sont les leurs.
Deux questions de fond se posent immédiatement :
- Que devient la fonction du politique (et que devient le mode représentatif), s’il n’est plus à la source du choix des politiques publiques et ne devient que l’interprète de la volonté supposée populaire, ou mise en scène comme telle ? (c’est une question déjà largement posée et débattue, et faut-il par exemple conclure à la professionnalisation des fonctions ?)
- Peut-on réellement parler de participation quand les conditions de son exercice ne procèdent pas de son exercice ? (et c’est aussi un débat largement ouvert à travers les questions du populisme, de l’instrumentalisation etc. etc.)
Je ne saurais en faire le tour ici, par contre l’approche toujours très concrète me semble intéressante à creuser à titre de corollaire signifiant.
Tous les dispositifs mis en œuvre comme modalités de la démocratie participative requièrent la mobilisation de réels moyens (valorisés d’ailleurs comme autant de preuves de la réalité et de la sincérité de la démarche – une sorte d’auto justification en quelque sorte) relativement conséquents à y regarder de près.
Il faut effet, pour mettre en œuvre ces dispositifs, mobiliser essentiellement des compétences, c'est-à-dire de « la main d’œuvre », en ingénierie, communication, animation, coordination … Soit le recrutement direct de professionnels par les exécutifs des collectivités territoriales, ou la sous-traitance à des cabinets spécialisés, et dans tous les cas l’ouverture de marchés secondaires (ou induits) pour toutes les filières du secteur de la communication (du papier à l’internet) .
Et, depuis quelques décennies la constitution d’une nouvelle corporation des « agents de la démocratie participatives », ou « experts en démocratie participative », à taux de croissance inflationniste, qui vient s’intercaler comme interface entre les élus et leurs électeurs.
Deux constats complémentaires :
- Du point de vue de ses agents, la « démocratie participative » n’est ni plus ni moins que la rente à laquelle est adossée la croissance de leurs effectifs
- Cette rente procède et est symptomatique de la marchandisation de l’exercice démocratique lui-même, qui devient donc un marché comme un autre, intégré par l’économie néolibérale. (Ici, il faut je crois réécouter ou relire Laval et Dardot « La nouvelle raison du monde »)
Et une remarque adjacente : la démocratie participative n’est pas aussi directe que le laisse entendre son nom. Il y aurait même comme un léger parfum de tromperie sur la marchandise.
Pour le vérifier, la question alors est de savoir si au-delà de la tromperie il y a préjudice, et victime du dit préjudice.
La première approche de cette question peut-être purement prosaïque, et se limiter à la mesure de la mise et des résultats. Combien coûte la démocratie participative et que rapporte-t-elle ?
Il doit être possible en effet d’en mesurer le coût, encore que le débat sur les limites du périmètre à mesurer promettrait d’être passionnant si d’aventure nous nous y risquions.
Quant au rapport, si l’on se réfère à la première question de fond pointée ci-dessus (Que devient la fonction du politique …?) on ne peut exclure qu’il consiste surtout en la dépolitisation et la dévalorisation des fonctions électives. Soit à leur légitimation au seul droit de leurs qualités d’exécution et non plus d’interprétation et d’anticipation de la volonté générale (« gouverner c’est prévoir » a-t-on pourtant coutume de dire).
Et en référence à la deuxième question (Peut-on réellement parler de participation quand les conditions de son exercice ne procèdent pas de son exercice ?) il est clair que le rapport est fondamentalement conservateur en ce que, le principe de démocratie participative étant exclusif de sa propre contestation (participer c’est accepter) il présuppose en réalité l’acceptation implicite du cadre de son exercice.
Mais là n’est pas l’essentiel, encore que l’on puisse certainement échanger bien longtemps et beaucoup plus savamment avant d’épuiser ces sujets.
Je voudrais en fait aborder la question sous un autre angle, celui de notre culture politique commune, de son évolution, de ses potentialités au droit du principe de progrès et donc des perspectives que nous pouvons envisager et mettre en discussion pour « mieux faire société ».
Que manque-t-il à notre culture politique, à nos traditions républicaines qui justifie cet engouement, cet avènement de la démocratie participative comme nouvelle panacée de l’utopie ?
A en rester à l’énoncé même « démocratie participative », il manque d’évidence, des instances, des lieux, des moments, des modalités de participation des citoyens à la décision.
Notre démocratie serait donc si imparfaite qu’il faille recourir à ce pléonasme achevé ?
Où se cache la tromperie ?
Je crois qu’elle se cache une fois encore (c’est il me semble très souvent le cas) dans une confusion (ou des confusions) et un déni associés.
La confusion c’est cet amalgame si paradoxal et pourtant si prégnant de l’utopie démocratique à son inscription territoriale. C’est la communion entre démocratie et nation si puissamment incarnée par notre République, mais tellement pervertie par le renoncement à l’universalisme qu’elle tourne en effet à la confusion.
Et pourtant, tout avait été dit ou presque, et dès les premiers temps : Article 4 de la constitution de 1793 « …Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. »
Il y a en germe, dans le renoncement à cette ambition universaliste originelle, dans l’assimilation de la démocratie à la nation territorialisée, tous les renoncements à l’utopie démocratique.
Et la désolante supercherie du débat d’état (avec mobilisation du corps préfectoral pour faire bonne mesure et lever toute ambiguïté) sur « l’identité nationale » en est la plus flagrante illustration.
Les origines de la nation sont assez claires. Sans faire appel à Lévi-Strauss il n’est que de se souvenir de nos jeux enfantins. Quand, jouant aux cow-boys et aux indiens, il nous prenait de vouloir incarner les valeureux combattants cheyennes, nous apprenions à la recherche de quelques rudiments d’information sur nos héros, qu’en langue cheyenne, « cheyenne » voulait tout simplement dire « être humain » et que la « nation cheyenne » désignait l’ensemble des êtres humains, par opposition à tous les autres, qui n’en étaient pas. Et Lévi-Strauss en effet a pu constater et témoigner (page 21 de "Race et histoire" collection folio/essais) de cet espèce d’invariant, commun à tous les peuples vivant en symbiose avec leur environnement et dans un relatif isolement, qui consiste pour chacun d’eux à se désigner comme nation, en tant que « peuple légitime occupant » du territoire auquel il appartient (et non pas du territoire qui leur appartient). La lente émancipation des représentations humaines de cette origine symbiotique a peu à peu inversé le sens de l’appartenance, elle n’en a pas fondamentalement bouleversé la signification. La nation, s’est bien toujours l’appartenance au territoire et à la communauté des résidents.
Et il me semble que lorsqu’il s’est agit de remplacer le souverain de droit divin, par le peuple souverain, ce n’est qu’en vertu de cette vieille légitimité de l’appartenance au sol, qui avait jusque là traversée les millénaires pour venir en avant-dernière instance s’incarner sous l’ancien régime dans la figure du serf appartenant au fief de son seigneur et par extension dans celle du sujet à son roi (avec droit de vie et de mort pour icelui).
Cette origine est lourde de sens, elle dit en particulier l’indétermination politique essentielle du souverain, au sens moderne que nous donnons au mot politique. L’apolitisme en quoi il consiste, l’apolitisme qui le fonde puisqu’aussi bien son exercice politique n’a d’objet que dans la confrontation aux autres souverains, à ces autres peuples de l’au-delà de son propre territoire. A l’interne, ne s’exerce que l’autorité, reçue en héritage et exclusivement légitimée par lui.
Et il convient donc d’apprécier à sa juste mesure et dans toutes ses conséquences l’extraordinaire ambition proclamée à travers ce fameux article 4 de 1793.
En même temps qu’elle consacre la république naissante à l’idéal universaliste des lumières, elle instaure conséquemment l’émergence politique de la question sociale.
Dans une république universelle, en se substituant à l’obsolète querelle des nations, la question sociale devient objet du politique et son unique objet.
Et l’apolitisme de l’appartenance au souverain en tant qu’instance délibérative se double de l’engagement politique du citoyen en tant que partie ou fraction du souverain délibérant.
Ainsi, son inscription territoriale ne légitime en rien le politique, seule peut le légitimer son inscription sociale.
D’où la rengaine, réactionnaire (au sens littéral) à tous le moins conservatrice, bien connue et rabâchée à longueur de campagnes électorales municipales : le vote pour une élection locale n’est pas un vote politique. Et la tentation permanente, par extension, d’en appliquer le principe à tous les autre scrutins, jusques et y compris à l’élection présidentielle où il ne s’agit plus de choisir entre deux projets, mais entre deux méthodes de gestion (voire d’intendance).
Sur la base d’une confusion, nous sommes bien là dans le déni de la question sociale, en réalité dans le déni du politique.
Et pour revenir à nos moutons de la démocratie participative, cette dernière n’est en fait qu’une tautologie. Elle ne se justifie en effet que par la négation que suppose son énoncé ; la négation des instances d’association, de représentation et d’expression des citoyens, regroupés selon les affinités que dessine la saisie citoyenne et authentiquement politique de la question sociale.
Autrement dit la négation même du fait politique qui s’incarne dans les corps intermédiaires au premier rang desquels : les partis politiques, les syndicats et les associations.
Curieuse façon en vérité de vouloir associer les citoyens à la prise de décision en occultant les outils dont ils se sont dotés pour structurer leur parole, animer le dialogue civil, exprimer leurs solidarités et leurs opinions, instruire la délibération populaire du souverain.
Curieuse façon qui commence par la négation implicite de conquêtes démocratiques historiques : les libertés d’opinion, d’expression et d’association.
Alors, « quelles pratiques démocratiques pour mieux faire société ? » !
Commençons d’abord et simplement par respecter et honorer la politique pour ce qu’elle est.
N'affublons l'utopie démocratique d'aucun faux nez.
Réhabilitons les corps intermédiaires dans leurs fonctions et à tous les échelons territoriaux de la souveraineté en exercice.
Après l’éducation n'est ce pas la deuxième condition d’une authentique participation démocratique et du « mieux faire société » ?