Penser le travail, le constituer en élément du droit et le montrer finalement. Tel est le pari audacieux du festival Ciné-Droit, qui accueille jusqu'aujourd'hui dans la ville de Sceaux un riche débat universitaire et une série de projections centrées sur la question très actuelle du travail.
«Tripalium». L'étymologie du mot «travail» n'est pas des plus enthousiastes. Il s'agit à l'origine d'un instrument de torture utilisé sur les esclaves déviants dans la Rome Antique. Aussi le bourreau, s'il est performant dans son oeuvre, devient-il dans les formules de la langue un «bourreau de travail», au sens épique du terme.
La notion, qui est au coeur de l'édition 2011 du festival Ciné-Droit organisé par la ville de Sceaux, a connu dans l'histoire une évolution sémantique importante. Élisabeth Roudinesco, qui préside cette année les festivités, n'a pas manqué de le souligner dans son discours d'ouverture: d'une désignation strictement négative, le travail a évolué vers une considération déshonorante au temps de la féodalité, puis finalement vers un moyen d'émancipation, fut-elle accouchée de l'aliénation la plus totale, dans la société industrielle naissante telle que l'analysent Hegel ou Marx.
Le mot «travail», nous dit-elle, intervient aussi dans des formules où celui-ci agit à l'insu du sujet. Ainsi peut-on parler d'un «travail de deuil» au lendemain d'une perte qui affecte, ou encore, avec Freud, d'un «travail du rêve» qui s'active aux confins de l'inconscient. On ne cesse d'ailleurs jamais de travailler, pas même au moment de se retirer de la vie active telle qu'elle est définie dans notre société: à l'heure de la retraite, «par quoi remplacer le travail ? Par du travail. Non pas au sens de salariat ou d'emploi mais au sens d'activité travailleuse».
Qu'en est-il du droit dans son rapport au travail ou plutôt à l'emploi? Pour Antoine Lyon-Caen, professeur de droit à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense, «le droit n'explique rien, il permet de comprendre. C'est un immense système de nomination». La définition par le droit d'un statut pour celui qui travaille marque néanmoins le passage fondamental du travail vers l'emploi. Bernard Friot, professeur émérite à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense, rejoint cette idée dans son intervention: «le droit est l'institution légitime de transformation de l'activité en travail».
Mais cela ne s'est pas pour autant construit dans le sens des intérêts de ceux qui travaillent. Robert Castel préfère à cet égard se souvenir des méfaits les plus terribles de la subordination légitimée par un cadre légal plutôt que des contreparties émancipatrices qui l'accompagnent. Le rapport de force entre employeurs et employés, bien qu'il ait évolué avec le déclin de la société industrielle traditionnelle, demeure largement défavorable aux subordonnés. Les conditions de travail se sont même détériorées à mesure que la précarité s'est installée dans notre société, à la mort des Trente Glorieuses et avec elles du plein emploi. Aujourd'hui au contraire, «nous allons vers une société de pleine activité qui n'est pas une société de plein emploi». La pénibilité s'accroît donc impunément, confortée par un cadre légal. La montée vertigineuse du chômage depuis le début des années 1970 place le travailleur dans une situation de moindre potentialité revendicatrice. Le seul «droit au travail» mobilise toute son attention, quitte à renoncer dans la crainte au «droit du travail».
Une dernière notion, fondamentale dans la pensée du sociologue Robert Castel, mérite une place de choix dans cette réflexion. Il s'agit de la «reconnaissance sociale» dans le travail que le droit n'appréhende d'aucune manière. Pourtant, selon l'auteur des Métamorphoses de la question sociale, c'est un des éléments les plus déterminants de la pénibilité dans l'emploi.
Le droit ne voit pas tout. Le cinéma, autour duquel s'articule le festival, apparaît donc comme un ultime recours revendicatif pour la classe laborieuse. Montrer les difficultés rencontrées dans le monde du travail, comme le font remarquablement les frères Dardenne dans leur film Rosetta (1998), aussi bien que Ken Loach dans The Navigators (2002), permet à nos sociétés de mieux tenir compte des enjeux modernes liés à l'activité. Maigre butin en vérité.