Billet de blog 19 août 2020

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alexis.nouss

Professeur de littérature générale et comparée, Aix-Marseille Université

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Nous prendre pour des cons, finement

Rassurez-vous, le texte qui suit ne peut pas être pire que le jeu de mots du titre.

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Il y aurait tant à dire sur les péripéties loufoques (mais non moins dangereuses !) de l’épidémie rien que dans notre petit pays. Fin 2019 : comme Tchernobyl, le nuage viral s’arrête à nos frontières si droites dans leurs bottes ; janvier : ce n’est qu’une grippe ; février : lavez-vous les mains peuple de cradingues ; mars : en fait on a pas de masques, oups ; avril : sortir c’est mal ; mai : sortir c’est faire preuve de patriotisme économique ; juin : oh non, on ne veut plus de ce « monde d’avant » mais on continue à l’ancienne les réformes ultra-libérales et la casse des restes de l’État social. Sans oublier l’injonction morale de l’applaudissement aux soignants, chouchous malheureux des politiques gouvernementales depuis ces trente dernières années (petit florilège : fin de la pénibilité au travail, pénurie générale, fermeture des hôpitaux de proximité, privatisation galopante des maisons de retraite, etc.)

Bref, j’arrête le tir et me recentre là où je peux me targuer de savoir quelques petits trucs : l’université. Les facs et en particulier celles qui ont le malheur d’enseigner les sciences humaines sont depuis longtemps la cinquième roue du carrosse en ce qui concerne le flouze. En juin 2020, à Aix-Marseille Université, la nouvelle est tombée et sans demander l’avis de personne : les services VP-recherche (recherche de quoi d’ailleurs ? d’austérité ? de fonds de tiroir ?) ponctionnent les DU de la dotation 2020 de leurs unités au titre de la solidarité COVID - on appréciera l’appellation -, à hauteur d'un tiers de la moyenne des dépenses en missions et réceptions sur les deux dernières années, avec un plafonnement à 25% du total de la dotation. Combien d’autres services, départements, universités, sont touchés ? Et solidarité de quoi franchement ? Les trois kopecks que les sciences humaines grappillent par-ci par-là vont-ils réellement permettre d’acheter les doses de vaccin nécessaires au tout-puissant Sanofi ? L’argent ne devrait-il pas aller se chercher là où il se trouve vraiment (et en masse !), par exemple chez les quelques familles sur-possédantes en toute impunité, dans les (très) généreux fonds du fumeux CICE ou encore dans la lutte contre l’évasion fiscale ?

La fermeture des campus, des lieux de recherche et des bibliothèques universitaires a déjà mis à mal la formation et la poursuite d’études de plusieurs milliers d’étudiants un peu partout dans le pays, à commencer par les précaires économiques et les étrangers. Quoiqu’en dise le fameux « nous sommes prêts » blanquérien, le monde de l’éducation s’est dépatouillé tout seul, et l’université n’a pas attendu une circulaire pour organiser cahin-caha la rentrée 2020-2021. Parce que pognon ou pas, confinement ou non, savon ou pas savon, les profs (enfin je veux surtout dire les 128 000 vacataires payés à l’heure avec un an de retard et sans qui le système s’effondre) ne laisseront pas tomber les étudiants.

Mais j’en reviens à la « ponction » au nom de la solidarité Covid, puisqu’elle s’inscrit dans la continuité des restrictions précédentes et annonce celles à venir. Elle n’est que l’arbuste de Jonas qui cache chichement la nouvelle loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Au programme, moult réjouissances que je vous laisse découvrir sur cette synthèse fort bien faite de Sud Éducation (et ce n’est pas parce que ce sont de vilains gauchistes que ce qu’ils disent est capillotracté : la loi est bel et bien ce qu’elle est). Évidemment, avec les campus fermés et les rassemblements de tout genre annulés depuis mars, cette réforme glissera comme un pet sur une toile cirée, et nous l’aurons tous dans le baba.

Tous, dites-vous ? Alala, ces universitaires et leur manie de tout rapporter à leur petite personne, comme si ce qui arrivait dans ces campus farcis de hippies à sarouel fumant le chichon allait impacter le reste du pays.

Comment dire ? Qu’on le veuille ou pas, qu’on soit bac+4 ou bac – 4, si ça pue dans l’éducation, ça pue pour tout le monde. Sans même parler de la gravité de la situation internationale concernant la continuité pédagogique en général, le confinement / déconfinement a permis de faire entrer un peu plus l’université française dans son processus de privatisation suivant le modèle anglo-saxon (déjà amorcé avec la fusion des facultés, la loi LRU et la sous-traitance de services multiples), avec ce soupçon de conservatisme qui fait toujours plaisir aux mémés à bigoudis chauffants trouvant que François Fillon ferait un gendre idéal (je pense bien sûr à la réforme des frais d’inscription pour les étudiants non-Erasmus). En clair, la génération actuelle de jeunes chercheurs dont je fais partie est la dernière à se diplômer dans ce qui reste de l’université libre et grosso merdo accessible. Cette même génération qui a pu se faire poser un appareil dentaire pendant ses années ingrates grâce à la Sécu, qui a bénéficié du planning familial, du pass culturel CROUS, etc. Idem, tout cela est voué à disparaître pour de bon. Ou plutôt non, sera définitivement et seulement accessible à une unique petite élite capable de payer frais de scolarité, assurances, mutuelles et Grand Tour.

Tandis que les pangolins prennent leur revanche, que les incendies chatouillent les orteils des campeurs et que la montée des eaux a un avant-goût de Déluge, nous continuons et continuerons à subir la réforme des retraites, celle du chômage et de ParcoursSup , le plan Ségur, le LPPR, la 5G, les flashballs et Jean-Michel Apathie. À moins que nous ne décidions d’associer au masque chirurgical si tristement jetable celui de Zorro et de faire justice nous-mêmes.

Illustration 1
L'acteur Guy Williams, respectant avec élégance les règles de distanciation sociale en 1957.

Eva Raynal (Aix-Marseille Université / INU Champollion)

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