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Billet de blog 5 août 2011

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À l’Empéri: directement des musiciens aux mélomanes

Parmi le gros millier de festivals qui animent l'hexagone durant l'été, on peut choisir entre les grosses machines institutionnelles - qui drainent en masse fonds, publics et stars internationales (comme Aix-en-Provence, Montpellier, Orange, La Roque d'Anthéron) —, les festivals thématiques — comme les festivals consacrés au baroque (Ambronay, Sablé, Sinfonia en Périgord) —, ou les festivals associatifs, qui visent à la mise en valeur d'un lieu - plus ou moins modestes, ceux-ci sont l'essentiel du paysage musical estival français. Naturellement, ces catégories ne sont nullement exclusives ou exhaustives...

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Parmi le gros millier de festivals qui animent l'hexagone durant l'été, on peut choisir entre les grosses machines institutionnelles - qui drainent en masse fonds, publics et stars internationales (comme Aix-en-Provence, Montpellier, Orange, La Roque d'Anthéron) —, les festivals thématiques — comme les festivals consacrés au baroque (Ambronay, Sablé, Sinfonia en Périgord) —, ou les festivals associatifs, qui visent à la mise en valeur d'un lieu - plus ou moins modestes, ceux-ci sont l'essentiel du paysage musical estival français. Naturellement, ces catégories ne sont nullement exclusives ou exhaustives...

Et puis, un peu à part, on peut choisir un festival de musiciens. On en compte peut-être une petite trentaine de spécimens en France, quarante maximum.

La particularité de ces festivals est d'être fondés par des musiciens, et dirigés, animés et portés à bout de bras par ces mêmes musiciens. L'un des principaux modèles reste bien entendu le fameux Festival de Prades, même si celui-ci n'a pas été créé par Pablo Casals lui-même, mais par quelques-uns de ses amis qui voulaient lui faire ce plaisir. Le festival Musique à l'Empéri en est aujourd'hui un specimen emblématique. Créé par trois amis, Eric Le Sage (pianiste), Paul Meyer (clarinettiste) et Emmanuel Pahud (flûtiste) il fêtera l'an prochain ses vingt ans.

Les festivals de musiciens sont généralement aussi le résultat de l'attachement des musiciens fondateurs à un lieu particulier — prenant là encore exemple sur la rencontre de Casals et de la si belle abbaye Saint Michel de Cuxa, niché au fond de la vallée du Conflent, dans les Pyrénées Orientales. Pour le trio Pahud/Meyer/Le Sage, ce sera le Château de Empéri.

Les festivals de musiciens comptent indéniablement parmi les plus riches et les plus intéressants pour un mélomane. Tout simplement parce que les artistes n'y dépendent de rien ni personne, ou presque : ils jouent ce qu'ils ont envie de jouer, avec les gens avec qui ils ont envie de jouer. Ils font partager leurs coups de cœur, et font généralement entendre ce que les autres festivals ne proposent pas, par frilosité ou par ignorance. Le plaisir du public est, certes, au centre de leurs préoccupations, mais il est suivi de très près, dans leur liste de priorité, par leur propre plaisir, que les autres manifestations musicales laissent trop souvent de côté.

L'éventail du répertoire parcouru y gagne nettement, grâce à un notable regain de motivation mais aussi grâce à la vision singulière de leur art qu'ils proposent à leurs auditeurs. Ces musiciens portent en effet sur la musique un regard bien différent de celui des autres directeurs de festival, quand bien même ceux-ci seraient acteurs du monde musical. Ils la vivent de l'intérieur, quotidiennement. Ils ont pour elle des sentiments bien plus profonds et familiers, une oreille de technicien esthète doublée d'un regard d'amoureux, toujours curieux et surpris par cette amante généreuse.

Les musiciens profitent donc de ce lieu de liberté qu'ils se sont ménagé pour défendre la musique qu'ils aiment, les compositeurs tombés en désuétudes, ou les œuvres rares des plus grands — celles qu'on joue peu, parce qu'on leur préfère les chefs-d'œuvre mille fois joués et interprétés. Les programmes qu'ils conçoivent ensemble sont ainsi extrêmement audacieux et riches en surprises. Ainsi, à Musique à l'Empéri, nous avons pu entendre trois Lieder "Des Todes Tod" Op. 23a pour voix de femmes, deux altos et deux violoncelles, œuvre pour le moins atypique mais d'une grande beauté de Paul Hindemith, que l'on découvre en outre grâce aux accents de la voix sobre et chaude d'Andrea Hill, jeune mezzo-soprano souple et équilibré, aux timbres désarmants de naturels et de tendresse, d'expressivité et de réserve. Son dialogue avec le premier alto Amihai Grosz est de toute beauté, grâce au captivant mariage des timbres.

Mais nos amis musiciens ne se contentent pas de si peu, loin de là. Leur situation privilégiée, et la passion qui les anime, les amènent également à nous jouer quelques petits bijoux oubliés, qu'ils exhument à force d'insatiable curiosité. On peut avec eux découvrir ou redécouvrir les Lieder Op. 91 pour mezzo-soprano, alto et piano de Johannes Brahms — deux Lieder que l'on entend si rarement habituellement, la présence de l'alto la rendant plus difficile à monter que d'autres œuvres du même genre — toujours portés par l'admirable duo formé par Andrea Hill et Amihai Grosz, avec au piano Kirill Gerstein, ou encore la très belle Suite paysanne hongroise de Bartók, par Emmanuel Pahud, toujours avec le sensible Kirill Gerstein au piano.

Tout ça ne les empêche évidemment pas d'interpréter, avec une rare sensibilité, les grandes pages du répertoire, pour notre plus grand plaisir, comme le Sextuor op. 18 de Brahms.

Quant aux musiciens invités, ils rivalisent de talent. La cooptation marche à plein régime dans ces petits festivals. Leur prestige grandissant, et l'ambiance amicale et bon enfant qui règne durant les séances de travail et les après concerts, attirent nombreux les amis et collègues. Les concerts y gagnent en variété : on peut entendre, en une seule soirée, quatre, voire cinq formations différentes !

Cette manière de faire a bien quelques défauts. Cette même diversité de formation réduit d'autant le travail que l'on peut accorder à une pièce unique — ce qui, dans certains cas, peut donner des résultats un peu décevants.

Mais comment le leur reprocher ce petit plaisir, finalement si peu coupable ? Ces musiciens font déjà tant pour les mélomanes !

Et puis, bien sûr, il y a la musique contemporaine, qu'un musicien d'aujourd'hui ne manquera jamais une occasion de défendre. Résidence de compositeur, avec commande et création à la clef, ou simplement programmation d'une œuvre qu'on a aimée. Cette année, on a pu par exemple entendre une admirable Baïkal de Jocelyn Mienniel, œuvre aux frontières des continents et des genres, interprétée avec une rare intensité par François Salque (violoncelle) et Vincent Peirani (accordéon)...

> Château de l'Empéri, Salon-de-Provence, les 1er et 2 août 2011

> Musique à l'Empéri, jusqu'au 7 août

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