La prise de conscience se fait de plus en plus large ces dernières années : le public de la musique dite « classique » vieillit inéluctablement. Si rien n'est fait sous peu, il se réduira à peau de chagrin : les mélomanes « de souche » regardant bien souvent de haut le non initié, celui-ci ose de moins en moins pousser la porte des salles de concerts. Toutes les institutions, quelle que quoi leur importance, commencent donc à investir dans la recherche et la sensibilisation de nouveaux publics : à Paris, la Cité de la musique a lancé l'orchestre DEMOS, sur le modèle des initiatives du London Symphony Orchestra. Quelques personnalités n'ont toutefois pas attendu l'urgence d'aujourd'hui pour agir et prennent le problème à bras le corps depuis longtemps. Parmi elles, Danièle Fouache, à l'origine de l'initiative Dix mois d'école et d'opéra, au sein de l'Opéra de Paris, une initiative qui fête cette année ses 20 ans, avec force tambours et trompettes !
Dix mois d'école et d'opéra, c'est, chaque année, pas moins de 1000 enfants, âgés de 4 à 20 ans, issus de 33 classes situées en zone d'éducation prioritaire d'Ile de France. C'est, au total, 360 classes issues de 202 établissements et plus de 15 000 élèves. Une véritable machine dans la gigantesque machine de l'opéra de Paris avec un nombre considérable d'activités organisées chaque semaine pour les scolaires ainsi que des heures innombrables de répétition. C'est aussi, une année sur deux, une création lyrique, interprétée, chantée et dansée par une petite centaine d'élèves — création qui, en 2008, fut européenne puisque faisant appel à des classes néerlandaise, italienne et hongroise.
Cette année, pour les 20 ans, le spectacle en question s'intitule Lumières — en référence autant aux deux de la rampe, qu'aux lumières de l'esprit par opposition aux ombres de la caverne platonicienne et à l'obscurantisme de l'inculture. Composé par Patrick laviron, sur un livret de Marie Dupleix, l'ouvrage est interprété des élèves d'une classe de 5ème du Collège Roger Martin du Gard d'Epinay, d'une classe de 4ème du Collège Paul Éluard de Garges-Lès-Gonnesse ainsi que par les petits violonistes de CE2 de l'école polyvalente rue des Poissonniers, Paris 18ème, ainsi que du Chœur des 20 ans, composé d'anciens participants, élèves, enseignants, encadrants — le tout accompagné par un petit ensemble instrumental, professionnel, cette fois.
Par son intrigue même — une joyeuse retrouvailles des muses antiques et d'Orphée, avec en prime un petit clin d'œil au mythe de la caverne —, ce spectacle illustre tous les objectifs du projet ou presque : découverte du lyrique, mais aussi et surtout de l'envers du décor, des différents métiers du spectacle, des problématiques de la création, et de l'interprétation. Avec au passage un petit air pétillant qui nous fournit description et nomenclature détaillées de(s) (l') opéra(s) de Paris. Car, et le nom du programme l'indique bien : il s'agit ici « d'école et d'opéra », et le projet se double d'un volet social, avec insertion professionnelle à la clef. Si le cadre en est l'Opéra de Paris, la sensibilisation de nouveaux publics au théâtre lyrique est un prétexte, sinon la cerise sur le gâteau. Et, pour l'essentiel des élèves accueillis, les diverses répétitions et générales auxquelles ils assistent ne sont qu'une toile de fond pour mieux se familiariser avec l'univers du spectacle et, par là, susciter les vocations, ou du moins d'ouvrir de nouveaux horizons à ces jeunes, souvent issus de milieux sociaux difficiles, en termes de métier et d'avenir.
L'opéra reste ainsi la clef. Et les spectacles réalisés par les élèves font souvent référence à une grande œuvre du passé, lyrique ou non. En 2008, lors du projet européen déjà mentionné, c'était Romeo et Juliette — avec des citations du ballet de Prokofiev. Cette année, c'est - tout naturellement - le mythe d'Orphée.
Au moyen d'un habile mise en abyme - le livret ne manque pas d'humour, même si celui-ci semble plutôt dirigé vers les adultes tant il est tissé de références culturelles -, Lumières emprunte ainsi tour à tour à Gluck et Offenbach quelques chœurs et arias que leur a inspiré l'histoire du premier des musiciens. Les nombreuses références à l'Orphée aux enfers d'Offenbach sont d'ailleurs, musicalement, les moments les plus réussis : le chœur Il s'approche, il s'avance est d'une vraiment fraîcheur pétillante, malgré une certaine lacune en puissance de ce chœur d'enfant, qui ne parvient pas à remplir l'énorme volume du Palais Garnier.
Alors, certes, on peut regretter le ton excessivement moraliste du texte — qui donne ce sentiment inconfortable de prendre les enfants pour des imbéciles — et on peut aussi regretter l'idée de faire jouer du violon à une vingtaine d'enfants de 7-8 ans — le violon étant sans doute l'instrument le plus ingrat qui soit, et qui sait, au reste, combien parmi eux poursuivront sur cette voie —, mais comment ne pas saluer toute initiative dans ce sens ?
Certains — les mêmes, sans doute, qui voudraient que la musique dite classique reste réservée à une poignée de privilégiés — pointeront du doigt la débauche de moyens mis en œuvre : achat d'instruments, costumes, décors, répétitions, etc. ; d'autres diront certainement, avec une pointe de dédain : « Une goutte d'eau ». Et ils auront raison. Mais que faire d'autre que de continuer à se battre ? Comment ne pas continuer à croire et à espérer en la lumière que l'art dégage, et qui, avec un peu de travail et d'encouragement, peut tous nous illuminer
Je sais : je suis un idéaliste, tout comme Danièle Fouache et toutes les personnes qui aujourd'hui s'engage dans des projets de sensibilisation artistique, quelles que soient leurs tailles ou leurs ambitions. Mais force est de constater que, les gamins, quant à eux, ont l'air de bien s'amuser.
> Palais Garnier, le 26 juin 2011
Crédit Photos : Photos Agathe Poupeney / Opéra national de Paris