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Billet de blog 10 novembre 2012

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Extravagant Artaserse

Le nom étonne : Leonardo Vinci, compositeur ? Leonardo était-il compositeur en plus d’être peintre, inventeur, sculpteur, biologiste, philosophe, architecte ? Rassurons-nous, c’est d’un autre Leonardo Vinci qu’il s’agit.

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© Enfant sage

Le nom étonne : Leonardo Vinci, compositeur ? Leonardo était-il compositeur en plus d’être peintre, inventeur, sculpteur, biologiste, philosophe, architecte ? Rassurons-nous, c’est d’un autre Leonardo Vinci qu’il s’agit. Né en 1696 en Calabre et formé à Naples, Leonardo Vinci-là souffre aujourd’hui d’une méconnaissance injuste, due en partie aux circonstances pour le moins troubles — mais romanesques, tout porte à le croire — de sa mort (il aurait été empoisonné suite à une sombre histoire de mœurs). Il a pourtant largement contribué au renouvellement du théâtre lyrique italien, mêlant l’ardeur débridée et les contrastes hautement expressifs de l’opéra napolitain — d’où il vient — à la pompe de l’Opéra Seria romain — où il triomphera. Ainsi de cet étonnant Artaserse, véritable terrain de jeu pour les stars du lyrique qu’étaient alors les castrats, que nous redécouvre l’Opéra National de Lorraine. Avec à la clef quelques-uns des plus grands contre-ténors de notre scène musicale — Philippe Jaroussky, Max-Emmanuel Cencic, Franco Fagioli, Valer Barna Sabadus, Yuriy Mynenko — et l’un des plus fabuleux ensembles baroques qui puissent s’entendre aujourd’hui, le Concerto Köln.

Cette production, mise en scène par le hongrois Silviu Purcärete, a d’ailleurs tenu à rappeler par petites touches l’illustre homonyme : on voit ainsi dans la toile de fond du décor une imitation de la célèbre étude du corps humain de Leonardo — même si elle semble ici plutôt se rapporter à l’écartèlement moral qui tourmente les différents personnages qu’à la perfection des proportions — ainsi que quelques lointaines reproductions de peintures de scènes antiques.

Avouons-le : la référence tombe un peu à plat — comme un jeu de mots éventé — et vient s’ajouter aux (trop) nombreux trucs et gadgets non exploités qui tissent d’un bout à l’autre cette production dominée par un empirisme désordonné et un manque flagrant de suite dans les idées. Au début du spectacle, le plateau est presque nu. On peut, comme souvent dans les mises en scène opératiques aujourd’hui, voir les coulisses — une forme de distanciation brechtienne qu’ici aucun jeu n’exploite. Même chose pour ce plateau tournant au milieu de la scène qui manque d’écraser les pieds des chanteurs quand il se met en route. Et que dire de ces panneaux glissants de cour à jardin puis de jardin à cour pour voiler et dévoiler les personnages ? Leur logique est soit trop simpliste, soit trop ésotérique, pour être pertinente. Les costumes, quant à eux, pourraient donner quelque espoir : mais nul fil rouge qui nous permette d’y deviner autre chose qu’un caprice — au demeurant sympathique, mais inutile du point de vue dramaturgique. En outre, dans le premier acte, les robes portées par les deux chanteurs (hommes) incarnant les deux jeunes premières (rôles originellement écrits pour des castrats et interprétés ici par les contre-ténors Max Emmanuel Cencic et Valer Barna Sabadus) insistent sur les traits masculins de ceux qu’elle habille, ce qui ne fait en réalité que souligner un certain ridicule. Dans le second acte, tous les costumes et perruques sont identiques pour les hommes (ils sont quatre sur scène ! difficile de les différencier parfois…). Et dans le troisième acte, le costumier Helmut Stürmer semble avoir laissé libre court à sa plus folle imagination — ce qui, bien que source de bien des rires et plaisirs, reste sans aucun rapport avec la tragédie qui se déroule sous nos yeux. On finit par se demander ce qu’il y a de si drôle dans cette triste histoire qui inviterait le costumier et le metteur en scène à tant d’extravagances.

Illustration 2
Franco Fagioli, Juan Sancho, Philippe Jaroussky, Max Emanuel Cencic © Opera National de Lorraine

Heureusement : il y a la musique. Sur le plateau, la distribution est quasi idéale — aux contre-ténors déjà cités s’ajoute le ténor Juan Sancho, excellent dans le rôle d’Artabano régicide et père relativement indigne. Si, de Philippe Jarroussky à Yuriy Mynenko, en passant par Max-Emmanuel Cencic, Franco Fagioli, Valer Barna Sabadus, tous sont excellents, et font preuve d’une virtuosité époustouflante, d’une très belle maîtrise de la partition et de sa variété d’èthos, on peut parfois reprocher à certains un certain manque de souplesse dynamique, du moins au début du spectacle —Jarroussky, Fagioli ou Cencic sont ainsi parfois mal à l’aise dans les nuances plus douces. S’il fallait choisir, la palme irait certainement, ex-aequo, à Yuriy Mynenko, jouissif dans le rôle du vrai méchant Megabise, et Valer Barna Sabadus, que la douceur chaleureuse de son timbre et la grâce presque féminine de son port altier rendent idéal pour incarner la princesse Semira.

Le clou du spectacle reste quand même le Concerto Köln qui, sous la direction de Diego Fasolis, fait des miracles avec la partition haute en couleurs de Vinci. D’une verdeur à toute épreuve, d’une souplesse narrative à faire pleurer, l’orchestre est toujours sautillant, toujours dansant, toujours animé d’une inextinguible flamme intérieure, rendant pleinement justice aux orchestrations vives et animées de Vinci. L’un des principaux attraits de cet Artaserse — chronologiquement le premier opéra tiré de ce livret de Metastasio dont on connaît pas moins de 40 adaptations lyriques ! — est d’apprécier la manière dont Vinci était alors en passe de renouveler le genre : en ce sens, le dernier acte est un véritable feu d’artifice — avec notamment un magnifique duo d’amour (rares étaient à l’époque les ensembles vocaux dans les opéras) — et le Concerto Köln sait parfaitement en souligner les contrastes, notamment dans ces récitatifs accompagnés dont Vinci s’était fait une spécialité. D’un geste autoritaire, le chef tire de son orchestre un accord vengeur, un lamento plaintif, une exclamation outragée, un cri de victoire.

Quant au chœur final, qui réunit tout le casting, c’est un véritable Alleluia dont on se prend, même après 4h de spectacle, à espérer un bis…

Illustration 3
Valer Barna Sabadus, Yuriy Mynenko, Franco Fagioli, Philippe Jaroussky, Max Emanuel Cencic © Opera National de Lorraine

> Opéra national de Lorraine, le 6 novembre 2012

> Un enregistrement de l'oeuvre, avec cette  distribution (à l'exception de Yuriy Mynenko, remplacé par Daniel Behle) est sorti à l'automne chez Virgin Classics.

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