Le principe du Grand Prix Lycéen des Compositeurs est diaboliquement simple : amener les lycéens vers les avant-gardes musicales par le biais d’un prix de compositeur — un peu comme le prix Goncourt des lycéens invite les jeunes qui y participent à la lecture.
Depuis sa création en 2000, cette initiative de la Lettre du Musicien a peaufiné son mode de fonctionnement. Première étape, aux alentours de la rentrée scolaire, un petit groupe de journalistes et professionnels du secteur se réunit pour choisir une dizaine de CD monographiques consacrés à des compositeurs vivants (et de préférence francophones) parmi ceux qui sont sortis dans l’année écoulée. Cette cuvée 2012 comprenant un échantillon varié, et quasi représentatif des différentes esthétiques et générations qui animent aujourd’hui la scène française. Dans le désordre : Franck Bedrossian, Edith Canat de Chizy, Bernard Cavanna, Hugues Dufourt, Philippe Hersant, Philippe Manoury et Bruno Mantovani. Sur chacun des volumes choisis, une œuvre, ou un mouvement d’œuvre, est retenue.
Deuxième étape, dès le mois de novembre, les 4000 élèves des 200 classes des 92 lycées participant au projet commenceront — sous la direction de leurs professeurs de musique ainsi que, dans certains cas, leurs professeurs de lettres, d’arts et d’histoire — à écouter, étudier et analyser chacune des œuvres choisies.
La troisième étape, qui se déroule simultanément à la deuxième et vient la compléter, consiste en une série de rencontres entre des élèves et les compositeurs, organisées par l’organisation du Grand Prix.
Enfin, les élèves votent (chaque classe donne deux noms, sans ordre de préférence) pour désigner un lauréat, lequel est dévoilé lors d’un grand concert fin mars, qui réunit tous les compositeurs et tous les lycéens que peut contenir le Théâtre du Chatelet.
Même s’il s’agit moins d’une compétition que d’un travail d’ouverture et de sensibilisation aux musiques d’aujourd’hui et à la création en général, le lauréat du Grand Prix Lycéen des Compositeurs se verra commander une nouvelle œuvre, qui sera créée lors du grand concert de l’année suivante. Ainsi, le 22 mars prochain au Chatelet, on pourra, en plus de découvrir le Lauréat 2012, entendre une création de Thierry Machuel, Lauréat 2011, qui lui passera le flambeau.
Nous avons voulu suivre pour vous toutes les étapes de ce prix, et nous vous ferons donc vivre ici une rencontre d’élèves pour chaque compositeur. Honneur aux dames — qui sont d’ailleurs, on peut le déplorer, sous représentées dans cette sélection comme dans le microcosme de la création musicale —, nous commençons notre tour de France des lycées avec Edith Canat de Chizy, qui présente Times, œuvre pour grand orchestre composée en 2009 pour le Concours de direction d’orchestre de Besançon. Avec elle, nous allons à la rencontre des élèves de trois établissement de Nancy : les lycées Claude Daunot, Frédéric Chopin et La Malgrange (qui, soit dit en passant, sont aussi les seuls lycées privés engagés dans ce Grand Prix).
Née en 1950, violoniste de formation et licenciée d'Art et Archéologie et de Philosophie à l'Université de Paris Sorbonne, Edith Canat de Chizy a suivi des études musicales somme toute assez classiques : au Conservatoire national supérieur de Paris, d’abord, puis au Groupe de recherches musicales (GRM), où elle s'initie, avec Guy Reibel, à l'électroacoustique. Élève d'Ivo Malec, elle fait aussi en 1983 la rencontre décisive de Maurice Ohana à qui elle consacre avec François Porcile une monographie en 2005 aux éditions Fayard. Menant de front sa carrière de compositrice et son engagement de pédagogue, elle s’est affirmée, depuis une trentaine d’années, comme une des figures incontournables de la scène musicale française.
Les adolescents qu’elle trouve en face d’elle sont, comme souvent dans les classes qui participent au Grand Prix, élèves de sections qui les destinent aux métiers de la musique et du son. Des élèves qui ont été apparemment bien préparés par leurs professeurs, puisqu’ils ont chacun à la main une feuille couverte de questions concoctées en classe : certaines sont très naïves (à quel âge avez-vous composé pour la première fois ?), d’autres cachent une grande pertinence sous des dehors simplistes (Où composez-vous, composez-vous tous les jours ? Pourquoi avoir choisi de composer de la musique contemporaine ? En tant que compositeur, le principe du concours vous paraît-il pertinent ?), d’autres encore témoignent d’une véritable réflexion (les sources d’inspiration, l’aspect pratique du métier de compositeur) et même de connaissances assez pointues (aimez-vous la polytonalité ?). Si certaines interrogations peuvent apparaître presque provocatrice (que pensez-vous de la musique actuelle qu’écoutent la plupart des jeunes, techno, électro ? Pourquoi ne pas écrire la musique plus harmonieuse ?), l’essentiel de préoccupation se résume toutefois à l’accessibilité de la musique contemporaine — ce qui est, finalement, le cœur du sujet…
C’est avec une grande fluidité que le dialogue s’engage. Et si une certaine gêne demeure, les efforts pour une entente (et une écoute) mutuelle sont patents. Reste à savoir si le discours de la compositrice, qui rappelle l’importance du silence pour que naisse une musique véritable, sera réellement entendu… Dans un cas comme dans l'autre, il faut évidemment saluer ce Grand Prix qui connait un succès grandissant.
Prochain épisode : Bernard Cavanna, à Yvetot…
Edith Canat de Chizy
Times (2009)
BBC Symphony Orchestra
Kazuki Yamada, direction
CD AEON 1105
Agrandissement : Illustration 4
Besançon, la "Ville du temps", m'a inspiré le titre de cette, pièce pour grand orchestre, commande du Festival de Besançon pour la finale du Concours International des Jeunes Chefs d'Orchestre.
D'un ostinato rythmique obsédant marquant le début de l'œuvre, jusqu'au temps suspendu de la fin, la partition explore les diverses dimensions du temps, utilisant de complexes superpositions rythmiques menées au paroxysme, les ruptures, les suspensions, les silences, etc. De la scansion parfois insupportable et inexorable du temps à la dimension du "hors-temps" se crée ainsi une texture animée de courants divers et de dynamiques fluctuantes, ponctuée de brusques impacts.
Cette réflexion sur le temps en révèle toute la relativité et prend racine dans mon propre univers où ce questionnement est continuellement présent.
Edith Canat de Chizy