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Billet de blog 17 janvier 2012

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Mort du grand claveciniste, organiste et chef d'orchestre Gustav Leonhardt

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Illustration 1
Gustav Leonhardt

Gustav Leonhardt s'est éteint hier, lundi 16 janvier, à l'âge de 83 ans.

Sans Gustav Leonhardt, le monde musical actuel serait certainement très différent de celui qu’on connait — et ce n’est pas là une affirmation faite à la légère, qui pourrait s’appliquer à tous les musiciens, ni même à tous les compositeurs. Loin de là. L’élever au rang de monument serait à la fois amplement mérité et assez inexact, tant la dynamique qu’il a imprimée au monde musical, par son approche historique de la musique, sa rigueur d’interprète et sa sensibilité d’artiste, reste encore vivace et fertile et continue d’animer ses collègues — et même quelques compositeurs d’aujourd’hui. Ce statut lui siérait d’ailleurs bien peu, lui qui cultivait à tous égards l’humilité, dans son jeu comme dans sa posture, et dont les efforts étaient sans cesse mis au service de la musique et du texte. Mais ceux qui se réclament de lui, de son héritage et de sa démarche sont trop nombreux pour ne pas l’ériger au rang de pionnier.

Bach: St. Matthew Passion, BWV 244 - Erbarme Dich © Christoph Prégardien, David Cordier, Etc.; Gustav Leonhardt: La Petite Bande, Tölz Boys Choir

Né à ‘s-Graveland aux Pays-Bas en 1928, Gustav Leonhardt se forme d’abord dans son pays puis à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle auprès d’Eduard Müller. Il fait ses débuts à Vienne en 1950, dans l’Art de la Fugue, de Jean-Sébastien Bach et enregistre dès 1953 ses premiers disques (avec d’emblée l’Art de la Fugue et les Variations Goldberg). Gustav Leonhardt ouvre ainsi la brèche de la redécouverte de la musique baroque, de l’instrumentarium d’époque et des techniques de jeu correspondantes. On serait tenté de dire « authentique », mais ce terme, qui imposerait une norme contraignante, correspond plus à un idéal vers lequel on tend qu’à une réalité. Gustav Leonhardt ne se contente d’ailleurs pas de recherches, il double sa réflexion historico-musicologique d’une sensibilité musicale unique ainsi que d’un véritable génie visionnaire dans ses lectures des grandes pages du répertoire — une démarche de « recréation » qui le place, encore aujourd’hui, à la pointe de ce mouvement qu’il a contribué à faire naître (l’école néerlandaise du baroque lui doit beaucoup, sinon l’essentiel). 

Artisan, avec Nikolaus Harnoncourt, de la première intégrale discographique des Cantates de Bach en 1968, ses enregistrements sont, tous ou presque, des références absolues, des must have de toute discothèque qui se respecte : citons par exemple sa monumentale Passion selon Saint Matthieu, avec la Petite Bande (DHM), sa fabuleuse Offrance musicale, avec Robert Kohnen et les frères Kuijken (SEON) et ses enregistrements solos : Art de la Fugue, Variations Goldberg, Suites anglaises et françaises, Clavier bien tempéré — sans parler de ses disques consacrés à Frescobaldi, Couperin, Rameau…

Bach: Musikalisches Opfer, BWV 1079 - Ricercar A 3 © Gustav Leonhardt

Sa figure d’interprète reste, on le voit, inséparable de Johann Sebastian Bach — dont il a fait l’un de ses chevaux de bataille pendant toute sa carrière et qui, avouons-le, par sa position de monument incontournable de la musique occidentale de tradition écrite, est l’un des meilleurs vecteurs de promotion du baroque tel que dépoussiéré par ces recherches organologiques. Leonhardt a même incarné le compositeur au cinéma, dans le film Chroniques d’Anna-Magdalena Bach de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.

Au clavecin comme à l’orgue ou à la baguette, il y a dans ses lectures de Bach à la fois un métier incomparable et une capacité à se laisser surprendre par les trésors voilés que cette musique lui réservait encore et toujours — et nous avec. La réserve et l’austérité toute apparente des phrasés ne sont là que pour mieux mettre en lumière l’extraordinaire richesse des contrepoints, la lumineuse ardeur de ses lignes.

Affaibli par la maladie, c'est à Paris qu'il a donné son dernier récital. Dans le Théâtre des Bouffes du Nord, qu'il appréciait autant pour son acoustique que pour son épure, lumineuse. Affaibli, mais toujours aussi génial, il avait dessiné, avec cette intelligence, cette élégance et cette finesse qui l'ont toujours distingué, le contexte musical dans lequel sa figure tutélaire avait éclose.

En guise de point d'orgue, au milieu de ses élèves, il a gratifié son public, pour la dernière fois, d'un Canon des Variations Goldberg.

Que dire d'autre, sinon laisser parler le maître...

Bach: Goldberg Variations, BWV 988 - Variatio 21 Canone Alla Settima. A 1 Clav. © Gustav Leonhardt

Et maintenant : place au silence.

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