Jusqu'à cette année, Orgues en Baïgorry était, comme son nom l'indique clairement, un festival d'orgue. En Baïgorry. Plus précisément, il s'était organisé autour de l'instrument que le facteur d'orgue Remy Mahler a réalisé en 1999 pour l'église de Saint-Etienne-de-Baïgorry, dans les montagnes du Pays Basque, non loin de Saint-Jean-Pied-de-Port. C'était donc un festival d'orgue, ce qui signifie généralement quelques concerts épars (moins de cinq par an, en l'occurrence !) donnés durant l'été par quelques solistes de renom variable, pour un public souvent réduit aux rares connaisseurs de l'instrument, donc pour le moins clairsemé.
Un festival associatif, en somme, qui, après dix années d'existence, se voyait à un tournant de son histoire, devant un choix essentiel : persévérer dans cette voie (et vivoter, ou plus vraisemblablement dépérir, suffoqué par la suppression des diverses subventions allouées) ou prendre un nouveau départ.
En devenant Festival de Basse-Navarre, et en s'adjoignant comme directeur artistique Benjamin François, bien connu des auditeurs de France Musique pour son émission Organo Pleno, Orgues en Baïgorry a pris son parti. Sa douzième édition, placée sous le signe des « Passages », marque une véritable volonté de s'émanciper de son statut antérieur, sans renier ses sources : l'orgue en pays Basque.
La soirée d'ouverture du festival, en l'église de Saint-Palais, est révélatrice de ce second souffle : si le concert s'organise comme un hommage à l'organiste Jehan Alain (1911-1940), cet hommage dépasse le cadre strict de l'orgue — même si celui-ci est merveilleusement bien représenté par Vincent Warnier, sur le magnifique Cavaillé-Coll de l'église de Saint-Palais. C'est un hommage théâtro-musical — le comédien Olivier Achard incarnant pour l'occasion le grand organiste en lisant quelques unes de ses lettres — qui permet tout à la fois de parcourir une littérature d'orgue hautement virtuose (la Toccata de Louis Vierne ou l'exceptionnel Jardin suspendu de Jehan Alain lui-même), ainsi que le répertoire strictement cultuel de l'instrument, mais en faisant appel à une ou deux voix - celle, remarquablement souple et maîtrisée, de la soprano Isa Lagarde et celle, plus tendre et plus chaude, de la soprano Angèle Chemin.
L'occasion de découvrir la personnalité hors norme - à tous égards - de ce grand artiste, trop tôt disparu : il meurt (héroïquement) sous les balles allemandes quelques heures après l'armistice de 1940, à l'âge de 29 ans.
Et, puisque l'on parle des balles allemandes, la journée du 13 août du festival fut également passionnante, consacrée aux voix étouffées par le régime nazi. Dégénérée... c'est là l'adjectif infâme dont les affublait certaines musiques (presque toute, à bien y réfléchir). Le jazz - dégénéré. L'avant-garde dodécaphoniste - dégénérée. Dégénérée, toute musique qui n'entrait pas dans un moule ariano-wagnéro-brucknerien. Dégénérée, toute œuvre d'un artiste juif, ou politiquement mal vu. Dégénérées également, ces écoles esthétiques nées de l'expressionnisme finissant - dérivées de la Seconde École de Vienne et autres recherches ethnomusicologiques qui ont animé le début du vingtième siècle.
Dans l'après midi, l'historien de la culture Philippe Olivier revient pour nous avec une érudition fascinante sur l'exil auquel ont été forcés les rares artistes à avoir échappé aux camps - et les marques cruelles que cet exil a parfois laissé chez eux. Et sa conférence, qui s'enrichit de précieuses digressions (saviez-vous que les nazis se sont emparés de Jean-Sébastien Bach, déclarant sans scrupule aucun que le Cantor de Leipzig annonçait par sa musique pas moins que la venue du Führer himself ?) n'est qu'un prélude à un concert de mélodies, donné par le pianiste Clément Mao-Takacs et la luxembourgeoise Monique Simon - mezzo-soprano au timbre rond, aux accents touchants, à l'agilité admirable, aux aigus confondants et à la diction exemplaire.
> Saint-Palais, le 12 août 2011, Saint-Etienne-de-Baïgorry, le 13 août 2011
> Festival de Basse-Navarre, jusqu'au 28 août
http://www.festival-basse-navarre.com/