Après Edith Canat de Chizy le mois dernier, nous accompagnons aujourd’hui Bernard Cavanna dans une classe du Lycée Raymond Queneau, à Yvetot. Bien qu’à 1h30 en train de Saint Lazare, entre Rouen et Le Havre, Yvetot reste une commune rurale. Jean-Joël Duchesne, le professeur de musique, plaisante (à moitié) sur sa situation, au cœur du pays de Caux, qui, dans l’ennui bovarien, éloigne d’autant ses élèves de la vie culturelle des grandes villes.
La personnalité de Monsieur Duchesne, pince sans rire, franche et forte, oblige toutefois les élèves à s’affirmer, à prendre position, à s’exprimer. Et même si, ce matin, la quarantaine d’élèves de section musique que rencontre Bernard Cavanna s’avère bien silencieuse, dans l’assistance, l’attention est palpable — et, à la pause, certains n’hésiteront pas à lier conversation avec le compositeur.
Autodidacte et inclassable, talentueux et fantasque, on se perd en qualificatifs pour cerner la musique et la personnalité de Bernard Cavanna. La seule chose qu’on puisse dire sans trop se mouiller, c’est que son humour dévastateur enrichit grandement sa musique, en renforçant paradoxalement la force de son expression et la sincérité de son discours.
Sans perdre de temps en salamalecs, il fait écouter aux élèves cinq courts extraits musicaux. Pas de lui : de ce qu’on appelle aujourd’hui, à défaut d’un terme plus adapté, « musique du monde » — en réalité ce qu’on pourrait considérer comme « musique classique » de partout et d’ailleurs, dans le sens d’une tradition pérenne et toujours renouvelée.
D’abord, c’est un chant tibétain, qui donne lieu à une petite explication sur les chants diaphoniques (chant traditionnel des moines tibétains, qui au moyen de leurs voix produisent deux notes à la fois : la fondamentale, très grave, fait entrer en résonance une harmonique plus aigue), mais aussi à un petit laïus sur l’occupation chinoise du Tibet.
Puis ce seront tour à tour de courts extraits de :
Une musique pygmée
Une musique japonaise
Une musique indienne
Une musique écossaise
À la fin de cette petite séance, le compositeur met au vote les préférences des élèves.
Et les résultats sont, sur 40 élèves :
6 voix pour la musique tibétaine
1 voix pour la musique pygmée
4 voix pour la musique japonaise
8 voix pour la musique écossaise
5 voix pour la musique indienne.
(16 suffrages non exprimés)
Sans surprise, c’est donc la tradition la plus proche d’eux que les élèves préfèrent. Mais le propos de cette petite séance n’est pas là : d’emblée, Bernard Cavanna veut décaler la posture d’écoute des lycéens. C’est une leçon de tolérance — non seulement au regard de la diversité culturelle, mais de la diversité des univers musicaux, quels qu’ils soient —, qui insiste sur la nécessité de s’extraire de sa coquille pour tenter d’appréhender les codes de lecture des diverses propositions musicales. Exagérant un brin la démonstration pour plus d’emphase, Bernard Cavanna tente de leur faire comprendre qu’il y a aussi peu en commun entre les divers univers musicaux contemporains proposés dans le cadre du Grand Prix Lycéen des Compositeurs, à l'initiative de la Lettre du Musicien, qu’entre les diverses traditions musicales à la surface du globe.
Une question, enfin, permet au compositeur de parler de sa propre musique et de l’œuvre, le Karl Koop Konzert, concerto pour accordéon et orchestre, créé à Lille en 2007 par Pascal Contet et l’Orchestre National de Lille dirigé par Grant Llewellyn (CD AEON AECD1104). Et les extraits écoutés en début de séance lui permettront de mieux illustrer son propos…
Très détendue, la conversation se clôt sur quelques petits conseils aux aspirants musiciens pour se trouver un langage propre et sortir des chemins battus — qu’ils soient ceux de la variété, du jazz, de la tonalité ou du contemporain…
Prochain épisode : Philippe Hersant, à Nevers...