Œuvre méconnue de Luigi Cherubini(1760-1842) — et plus ou moinsreniée par son auteur — Ali-Baba ou lesQuarante Voleurs (1833) est l'ultime incursion dans le lyrique de celui quifut, en tant que directeur du conservatoire de Paris, l'un des principauxacteurs de la scène musicale de la capitale au début du XIXème siècle. Reprenantà peu de chose près le fameux conte arabe, c'est l'une des partitions les plusambitieuses et les plus vastes jamais entreprises par le compositeur, mais sonsujet l'aurait davantage destinée à une forme d'opéra bouffeou d'opéra comique (avec des passages parlés et des passages chantés, ce quirelèverait aujourd'hui du genre de la « comédie musicale ») qu'à cellede tragédie lyrique, commeun joyeux opéra seria. Et le publicparisien de l'époque, qui a encore très présent en mémoire les succès de la Muette de Portici d'Auber (1828), de Guillaume Tell de Rossini (1829) ou de Robert le Diable de Meyerbeer (1831), boudera cette fantaisiste turquerie. Laquelle sera abandonnée au bout de onzereprésentations seulement.
Ali Baba de Cherubini par l'Opéra Studio de l'Opéra du Rhin
Si l'Opéra national du Rhinexhume pour nous, en ce début d'hiver, cet ouvrage injustement oublié, c'estqu'il sied parfaitement aux besoins de l'une de ses activités les plusessentielles, au regard de la vie musicale aujourd'hui. Car une maison d'opérane peut aujourd'hui se contenter de la production et de la diffusion des œuvresdu répertoire, non plus que de la création (et l'Opéra du Rhin met un pointd'honneur à ouvrir chacune de ses saisons par une œuvre contemporaine,généralement en coproduction avec le Festival Musica).Si elle veut non seulement être actrice du monde musical, mais aussi pérenniserson public, une maison d'opéra doit également prendre à cœur ses missions pédagogique et sensibilisatrice :la formation de jeunes chanteurs et musiciens — ainsi que des autres métiers dela scène, comme les décors, les costumes, les lumières, sans parler de la miseen scène et de la danse — d'une part, et, d'autre part, les actions pédagogiquesauprès du jeune public, et même du public adulte, qui ignore trop souvent lesjoies du lyrique.
Chaque saison, à la période des fêtes,l'Opéra du Rhin présente donc une production exceptionnelle, emblématique deses activités pédagogiques. Comme l'Aladinde Nino Rota l'an dernier — on était déjà dans les Mille et une nuits, ou du moins dans la version élargie tellequ'elle a été diffusée au XVIIIème siècle* —, Ali-Baba est donc cette année interprétée, dans la fosse, par desélèves du Conservatoire de Strasbourg, dans les chœurs, par les enfants de lamaîtrise de l'Opéra (qui incarne ici les quarante voleurs avec un plaisirévident et partagé), et sur le plateau par les jeunes chanteurs de l'OpéraStudio - l'atelier lyrique de formation de formation de chanteurs de l'OnR.
Pour les besoins du projet, les trois heuresdu gigantesque opéra bouffe de Cherubini ont été ramenées à une petite heure etdemie beaucoup plus digeste, grâce aux efforts du directeur musical VincentMonteil, et surtout de Pierre Thilloy, qui en a réalisé les arrangements etorchestrations. Compositeur de son état, Pierre Thilloy a réduit l'orchestreromantique à une formation plus restreinte, qui fait la part belle auxpercussions et aux cuivres. Un peu trop belle, peut-être : cette nouvellepartition paraît, en ce soir de première, d'une grande lourdeur, sansinspiration — et, surtout, dénuée de toute cette épice qu'on aime tant dans lesturqueries opératiques (comme l'Enlèvementau Sérail, de Mozart,et autres ouvrages du même acabit).
Ce genre d'exercice — qui laisse reposertoute la responsabilité d'un spectacle sur des non professionnels et/ou desartistes en formation — n'est naturellement pas sans risque. Et la jeunesse,comme le manque d'expérience, des exécutants se ressentent ce soir fortement.
Si la maitrise de l'opéra est très agréable,d'une justesse et d'une vivacité scénique remarquables, il n'en va pas de mêmedes musiciens dans la fosse — certes mal servis, on l'a vu, par l'arrangementde Thilloy — qui sont souvent faux, et dont l'équilibre sonore et la mise enplace laissent profondément à désirer. Sur le plateau, on retiendra surtout le majestueuxbaryton Jean-Gabriel Saint-Martin, qui incarne un majestueux Ours-Khan, capitainedes voleurs. Entrant dans sa seconde année de formation à l'Opéra Studio, sa maitriseet sa présence sont impressionnantes — et l'on ne peut qu'espérer que ses camaradesplus jeunes, nouveaux venus de la promotion 2010-2011 de l'Opéra Studio, acquièrenttant d'assurance et s'épanouissent ainsi au terme de leur formation. Parmi cesjeunes talents prometteurs, citons toutefois la soprano Hanne Roos, trèsagréable Délia (en alternance avec Emilie Brégeon), et surtout la mezzo-sopranoÈve-Maude Hubeaux, qui transcende le rôle pourtant délicat de Morgiane,l'esclave servante de Délia et de son père Ali-Baba (Yuriy Tsiple). Les autres apprentischanteurs pâtissent en vérité de la platitude relative de la mise en scène deMarkus Bothe et de la mollesse de sa direction d'acteur, qui les laissent biendépourvus face aux grands vides de leurs airs. Au surplus, les diversestentatives de burlesque — dont témoigne la présence sur scène de plusieurspersonnages muets, dont un crocodile complètement absurde — font trop souvent longfeu.
Cette introduction au monde fabuleux del'opéra n'en est pas moins efficace, et les nombreux enfants présents dans lasalle semblent malgré tout enchantés de ce cadeau de noël opératique. Et c'esttant mieux !
Prochaine production de l'Opéra Studio :la joyeuse pantalonnade Don Pasqualede Donizetti - accompagnée cette fois de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse,dirigée par la jeune et talentueuse Ariane Atiakh et mise en scène par NicolaGlück, en mars prochain.
> Colmar, Théâtre municipal, le 15 décembre 2010
> Prochaines représentations : Strasbourg, Auditoriumde la Cité de la Musique et de la Danse, le 5 janvier 14 h 30 et 20 h et le 7janvier à 20 h, Mulhouse - La Sinne 29 et 30 janvier
Photo : Alain Kaiser
* C'est une chose que l'on sait peut, mais Aladin, tout comme Ali-Babaet les aventures de Sinbad le marin,ne fait pas partie des manuscrits originaux des Mille et une nuits (cf. LesMille et Une Nuits, traduction et préfaces de René R. Khawam, Phébus, Collectionlibretto (4 vol.), 2001). Les troiscontes font partie d'un ajout plus tardif (on peut d'ailleurs remarquer leurdécalage dans le ton résolument moins érotique de ces trois histoires parrapport au reste du manuscrit original). Nous les associons toutefoiscommunément au fameux recueil car c'est cette mouture élargie qui seralargement diffusée au XVIIIème siècle, et que l'on connaît encore aujourd'hui.